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Pollutions

Au nom du coronavirus, l’État libéralise l’installation des antennes-relais

Les ordonnances prises en application de la loi d’état d’urgence sanitaire autorisent les opérateurs téléphoniques à de nouvelles « installations radioélectriques » pour faire face à l’accroissement de l’usage du numérique. Cette dérégulation temporaire inquiète les associations de lutte contre les ondes.

Des antennes relais vont-elles pousser aux quatre coins de la France pendant le confinement ? Telle est la crainte de plusieurs associations de lutte contre les ondes à la lecture des ordonnances de la loi d’état d’urgence sanitaire.

Face à l’accroissement de l’utilisation d’internet, les opérateurs de téléphonie pourront adapter les « procédures applicables pour garantir la continuité du fonctionnement des services et de ces réseaux ». En clair : rajouter de la bande passante là où le web sature sans avoir besoin des autorisations habituelles. « Il s’agit de pouvoir intervenir en urgence pour rétablir l’intégrité du réseau dans cette période inédite de confinement, en installant des équipements à titre temporaire qui devront être démontés au plus tard dans les deux mois post état d’urgence sanitaire », assure à Reporterre la Fédération française des télécoms.

Suppression de l’obligation d’information des maires

Le premier article concerne les maires : il suspend « l’obligation de transmission d’un dossier d’information au maire ou au président d’intercommunalité en vue de l’exploitation ou de la modification d’une installation radioélectrique ». Terminé les dossiers d’information (DIM) à envoyer d’ordinaire aux mairies un mois avant toute installation. Cette mesure n’étonne pas vraiment l’association des maires de France. « Toutes les mairies ne sont pas en état de fonctionner normalement. Même si elles recevaient le DIM, elles n’auraient pas été en capacité d’assurer cette obligation d’information auprès des citoyens », explique une représentante de l’organisme.

Mais Sophie Pelletier, présidente de Priartem, association qui travaille sur les risques liés à l’exposition aux ondes électromagnétiques, s’inquiète. « Cette situation annihile la capacité des collectivités à assurer l’information et l’instruction des dossiers qui leur seraient adressés, ainsi que les droits des citoyens à participer et les droits des tiers à exercer un recours », a-t-elle déclaré dans une lettre envoyée au président du comité de dialogue de l’Agence nationale des fréquences (ANFR), le gendarme des ondes, co-signé avec France nature environnement, Agir pour l’environnement et l’association de consommateurs Cnafal.

L’ANFR, le gendarme des fréquences, est aussi mis sur la touche

Comment s’assurer que les opérateurs respecteront les règles, alors que l’ANFR, le gendarme des ondes, ne peut plus exercer de contrôles en amont ? Les ordonnances autorisent en effet un exploitant à implanter une station radioélectrique sans son accord. Habituellement, l’agence reçoit environ 1.500 demandes par semaine et vérifie chaque dossier, en regardant notamment la proximité avec des établissements scolaires. Elle consulte aussi les « grands usagers des fréquences » comme les ministères de la Défense (pour éviter les perturbations avec les radars), du Transport, ou de la Recherche (pour l’astronomie). « La grande majorité des dossiers est autorisé car les opérateurs n’ont pas d’intérêt à ce que le système se grippe et procèdent souvent à leurs propres vérifications avant », explique Gilles Brégant, le directeur de l’ANFR. Les demandes sont traitées en cinq semaines environ. Un délai que le gouvernement estime beaucoup trop long face à l’urgence. « Aujourd’hui, avec le télétravail, les antennes qui couvrent les domiciles sont très sollicitées. Des ajustements doivent être faits immédiatement, il est absurde d’attendre cinq semaines », poursuit Gilles Brégant.

Les opérateurs pourront ajouter de la bande passante là où le web sature sans avoir besoin des autorisations habituelles.

Les installations seront-elles retirées une fois la pandémie terminée ?

Dans le texte de l’ordonnance, il est précisé que ces mesures sont prises « à titre temporaire et dans le cadre d’interventions urgentes ». Or, un document soumis à la délibération du conseil des ministres indique que les opérateurs pourront régulariser ces installations dans un délai d’un mois après la fin de l’état d’urgence pour les mairies et de trois mois pour l’ANFR. « Bien que ce texte soit sans valeur juridique, il peut apporter des éclairages sur l’esprit des ordonnances. Ces installations pourront donc perdurer après l’état d’urgence. Nous allons veiller à ce que cela ne favorise pas la dérégulation de l’implantation des antennes-relais », s’alarme Sophie Pelletier, de Priartem.

Robin des Toits, autre association de lutte contre les ondes, estime que le gouvernement profite de la pandémie pour déréglementer la téléphonie mobile « au risque de l’accroissement des problèmes sanitaires qui y sont liés. On peut légitimement douter, au vu des expériences passées, que les installations réalisées durant cette période soient retirées lorsque cette période sera achevée », a-t-elle déclaré dans un communiqué.

L’ANFR va continuer ses contrôles

Les opérateurs vont-ils profiter de l’occasion pour multiplier les antennes relais ? Gilles Brégant demeure circonspect : « Je ne sais pas s’ils ont forcément envie d’investir durablement pour une configuration de réseau qui correspond à un pays en confinement. » D’autant que construire une antenne relais nécessite l’intervention d’entreprises du bâtiment, dont beaucoup subissent aussi des mesures de confinement. En revanche, il est très facile d’augmenter la capacité des installations déjà existantes. « Activer une nouvelle bande de fréquence peut se faire en quelque minute si l’antenne est déjà équipée », précise Gilles Brégant. En tout cas, il précise que tout ceci n’accélèrera pas le déploiement de la 5G, dont le processus d’attribution des licences a été décalé. Et assure que l’ANFR continue son travail de contrôle. « Si on commence à avoir des stations pirates, nous ne pouvons plus garantir le bon fonctionnement du réseau. Il n’est pas question de modifier les contrôles, qui sont réalisés a posteriori. Je pense que collectivement tout le monde sera vigilant pour être sûrs que tout cela soit conforme aux règles que nous nous sommes fixé depuis plusieurs années. » Précisons également que l’ANFR peut à tout moment, par un simple courriel, désactiver une antenne qui ne respecterait pas la législation en vigueur ou viendrait perturber l’environnement hertzien. « Ce n’est pas un pouvoir théorique, et il m’est déjà arrivé d’arrêter une antenne qui brouillait la réception de la télévision. Et cela pourrait arriver à nouveau dans les semaines qui vont venir », prévient Gilles Brégant. Une épée de damoclès qui pourrait inciter les opérateurs à plus de sagesse.

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