Coronavirus : Guayaquil, la ville qui compte plus de décès causés par le Covid-19 que des pays entiers

  • Matías Zibell
  • BBC Mundo, Équateur
Trois hommes portent un cercueil dans les rues de Guayaquil, en Équateur

Crédit photo, Getty Images

Légende image, Guayaquil, la plus grande ville d'Équateur, ne peut pas faire face à l'explosion du nombre de morts causés par le Covid-19.

Alors que le nombre de cas de Covid-19 augmente en Équateur, la plus grande ville du pays, Guayaquil, est confrontée à une crise de santé publique de grande ampleur.

Il ne s'agit pas seulement de places vides et d'hôpitaux bondés. À Guayaquil, la ville la plus peuplée d'Équateur, la pandémie de coronavirus a vu des gens s'effondrer dans les rues. Et il faut des jours pour que, suivant une liste d'attente, on emporte les corps des personnes qui meurent chez elles après avoir contracté le Covid-19.

La province de Guayas a enregistré plus de décès liés au coronavirus que l'ensemble des pays d'Amérique latine : 60 décès et 1 937 cas confirmés au 1er avril.

À elle seule, Guayaquil, la capitale de la région, abrite environ 70 % des cas recensés dans le pays. C'est l'une des principales villes du monde les plus touchées par le coronavirus.

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En outre, ces statistiques ne tiennent pas compte des personnes qui meurent sans avoir été testées.

L'Équateur est le troisième pays d'Amérique latine en termes de nombre de cas - derrière le Brésil et le Chili. Mais son taux de mortalité par habitant est plus élevé.

Une femme près d'un cercueil à Guayaquil, en Équateur

Crédit photo, Getty Images

Légende image, Rien que durant la dernière semaine de mars, plus de 300 corps de personnes décédées chez elles ont été recueillis par la police.

Les pompes funèbres de Guayaquil n'ont plus les moyens de faire face à cette situation.

L'ampleur de la crise est telle que le président Lenín Moreno a créé une force spéciale pour recueillir et enterrer les corps.

"Mon oncle Segundo est mort le 28 mars, et personne n'est venu nous aider", explique Jésica Castañeda, qui vit dans cette ville de plus de 2,5 millions d'habitants, à quelque 600 km au sud de la capitale, Quito.

"Les hôpitaux n'avaient pas de lits disponibles, et il est mort chez lui. Nous avons appelé les services d'urgence, et ils nous ont dit d'être patients. Son corps est toujours sur le lit où il est mort, nous ne l'avons même pas touché."

Il n'y a pas que les patients atteints du Covid-19 qui sont touchés par l'absence de réponse des services d'urgence débordés.

"Mon voisin est tombé et s'est cogné la tête, et j'ai appelé le 911 (numéro d'urgence). Mais ils ne sont jamais venus", dit Wendy Noboa, qui vit dans le nord de la ville.

Deux femmes debout à côté d'un magasin fermé à Guayaquil et un cadavre couvert gisant sur le trottoir en arrière-plan

Crédit photo, Reuters

Légende image, Certains sans-abri de la ville meurent dans les rues.

Son voisin Gorky Pazmiño, âgé de 96 ans, est décédé des suites de l'accident, le 29 mars.

"Son corps était étendu sur le sol pendant toute une journée jusqu'à ce que sa famille vienne le prendre. Mais ils n'ont pas pu l'enterrer, car il n'y avait pas de médecin disponible pour signer son certificat de décès", témoigne Wendy Noboa.

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"Jusqu'à 72 heures"

Les réseaux sociaux sont utilisés par la population locale pour signaler des cas et partager des informations sur les personnes qui meurent dans les rues.

Les vidéos qui ont circulé durant ces derniers jours montrent un homme s'effondrant devant un hôpital et des pneus brûlés à ciel ouvert pour protester contre le non-ramassage d'un corps dans une maison (bien que la BBC n'ait pas confirmé de manière indépendante la source des images).

"Mon partenaire est allé faire des courses et a trouvé un mort étendu à une intersection. On nous a dit qu'il y avait un autre corps quelques mètres plus loin, sur la route", rapporte Jésica Zambrano, journaliste au quotidien El Telégrafo de Guayaquil.

"Ici, nous sommes habitués à ce que les gens dorment dans la rue. Maintenant, nous voyons des sans-abri mourir dans le centre-ville."

Deux hommes portent un cercueil dans les rues de Guayaquil, en Équateur

Crédit photo, Reuters

Légende image, Il est difficile d'obtenir un certificat de décès pour ceux qui meurent à la maison, car il n'y a pas de médecin disponible pour le signer.

Ceux qui meurent chez eux sont plus nombreux et exercent une pression considérable sur les installations gouvernementales.

Les hôpitaux surpeuplés ne peuvent pas accueillir plus de patients.

"Les gens de Guayaquil sont désespérés, certains doivent attendre jusqu'à 72 heures pour que les autorités récupèrent les corps", déclare Blanca Moncada, journaliste au journal Expreso.

Rien que durant la dernière semaine de mars, plus de 300 personnes sont mortes chez elles (de causes diverses), et leurs corps ont été récupérés par la police. La liste d'attente comprend actuellement 115 noms, selon l'agence de presse EFE.

La police avec un masque facial en Équateur

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Légende image, Un policier avec un masque facial, en Équateur

Le coronavirus en Equateur

- Le gouvernement a confirmé 98 décès et 2 758 cas dans tout le pays au 2 avril.

- C'est le troisième pays d'Amérique latine qui compte le plus grand nombre de cas, après le Brésil et le Chili.

- Son taux de mortalité est le deuxième plus élevé, seulement derrière le Panama.

- La province de Guayas est la zone la plus touchée, avec plus de 70 % de tous les cas nationaux.

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La collecte des cercueils est encore compliquée par un couvre-feu national de 15 heures, qui commence dès 14 heures, tous les jours, et ne permet pas de terminer les formalités administratives nécessaires.

Darwin Jarrín, un officier de l'armée, est devenu depuis quelques jours le coordinateur militaire et policier du gouvernement pour la province de Guayas. Il a déclaré à la BBC que tous les corps seraient enterrés avant la fin de cette semaine (semaine du 30-5 avril).

"Les forces armées vont s'occuper des inhumations", a-t-il déclaré.

Pourtant, faire face à un nombre croissant de décès pose des défis. Les médias locaux rapportent que cette question a déclenché des conflits politiques.

Lenín Moreno, Président de l'Équateur

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Légende image, Le président Lenín Moreno a instauré un couvre-feu strict dans tout le pays pour limiter la propagation du virus.

La maire de Guayaquil, Cyntia Viteri (qui s'est isolée elle-même après avoir été testée positive au coronavirus), a protesté contre l'échec du gouvernement de mettre en place un système de santé publique.

"Ils laissent les morts sur les trottoirs, les gens s'effondrent devant les hôpitaux. Personne ne veut emporter les corps. Qu'adviendra-t-il de nos malades ? Les familles doivent errer dans la ville en frappant aux portes des hôpitaux publics, qui ne peuvent plus les accueillir car il n'y a plus de lits vides", a déclaré Mme Viteri.

Controverse sur les fosses communes

Les autorités nationales ont dû répondre à cette urgence sanitaire sans précédent, après que l'Équateur est devenu l'un des premiers pays d'Amérique latine à signaler un cas de Covid-19 fin février.

"Nous ne pouvons pas nier ce qui se passe, c'est grave. Mais nous devons souligner que nous avons été parmi les premiers sur le continent à introduire des mesures strictes", a déclaré à la BBC le ministre équatorien de la Santé, Juan Carlos Zevallos.

Zevallos a dit qu'il ne partageait pas certaines critiques faites au gouvernement.

Un groupe d'hommes à la bouche couverte travaillant dans les rues

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Légende image, Les inégalités sociales et l'économie informelle jouent un rôle dans la crise sanitaire en Équateur.

A Guayas, le gouvernement municipal a proposé d'enterrer les gens dans des fosses communes. Mais ils ont rapidement fait marche arrière.

"C'est une idée terrible", a déclaré le sociologue Héctor Chiriboga, basé à Guayaquil.

"C'est une ville où les familles mettaient les funérailles en attente jusqu'à ce qu'un parent puisse revenir d'Europe, où un grand nombre d'Équatoriens ont migré au cours des deux dernières décennies. Ici, les gens avaient l'habitude de déguiser les corps pour la cérémonie et jusqu'à date récente, l'Église catholique n'approuvait pas l'incinération des corps", a-t-il expliqué.

Dans le Guayaquil conservateur, l'idée d'un enterrement de masse en dérangerait plus d'un, selon le sociologue.

Un homme marche dans une rue déserte de Quito, en Équateur

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Légende image, La capitale du pays, Quito, a également été durement touchée, mais elle est loin derrière Guayaquil en termes de cas signalés.

"Ce serait un coup dur pour les familles les plus religieuses, principalement les catholiques, qui seraient dévastées si on les empêchait d'accomplir leurs rituels funéraires", a souligné Héctor Chiriboga.

Jorge Wated est à la tête du groupe de travail lancé par le président Moreno pour ramasser les corps dans les foyers et les hôpitaux. Il affirme qu'il n'aurait pas accepté ce travail si le plan des fosses communes avait été mis en œuvre.

"Mais les familles ne pourront toujours pas assister aux funérailles", dit-il.

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Vivre dans la peur

Une partie du problème, c'est que certains salons funéraires refusent les services par crainte d'infections post-mortem au coronavirus.

"La panique est générale, et ils semblent penser que tous ceux qui meurent à Guayaquil meurent de Covid-19", déclare le docteur Grace Navarrete, de la Société de santé publique de l'Équateur.

Des pompiers équipés de thermomètres patrouillent dans les rues de Quito, testant les gens pour la fièvre

Crédit photo, AFP

Légende image, Les pompiers patrouillent dans les rues pour dépister une forte fièvre, l'un des symptômes du Covid-19.

Selon Grace Navarrete, les proches sont également dans la peur.

"C'est la même chose dans les maisons. Quand quelqu'un meurt, les autres ne touchent pas son corps. Et il fait chaud à Guayaquil, donc les corps commencent rapidement à se décomposer."

Certains suggèrent qu'une approche plus large est nécessaire....

L'expert en santé publique Ernesto Torres estime que la pandémie doit être combattue au niveau communautaire.

"Si nous impliquons les gens dans les communautés, nous pourrions éviter un débordement des hôpitaux", explique M. Torres.

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Des brigades sanitaires pourraient être créées avec des volontaires locaux pour aider à résoudre la crise, suggère l'expert.

Dans certaines communautés plus petites et plus éloignées de la région, une "véritable et profonde crise humanitaire est en train de se préparer", affirme Paúl Murillo, membre du Comité permanent des droits de l'homme (CHH) de l'Équateur.

"Rester chez soi est une mesure nécessaire pour arrêter la maladie, mais nous n'avons jamais pensé à un plan d'urgence pour assurer au moins la sécurité alimentaire de base des quartiers les plus vulnérables de la périphérie de la ville", dit Murillo.

Des femmes masquées passent devant une église en Équateur

Crédit photo, EPA

Légende image, Les services funéraires se sont effondrés à cause de la crise sanitaire engendrée par le coronavirus.

Plus de 17% de la population de Guayaquil vit dans la pauvreté. Les inégalités sociales sont importantes dans la région de Guayas.

Mais certaines autorités estiment que les différences sociales ne sont pas les seules responsables, et que l'expansion de la pandémie conduira à des scénarios tout aussi critiques ailleurs.

"Je regarde le reste de l'Amérique latine et tout ce que je vois, ce sont des pays qui suivent le même chemin que nous avons emprunté ici il y a trois semaines. L'Argentine, par exemple, où les choses vont s'aggraver", déclare Jorge Wated, le chef du groupe de travail du gouvernement.

"En attendant, nous essayons de sortir de cette situation accablante et d'agir aussi vite que possible", ajoute M. Wated.