Caroline Eliacheff : "Parents, foutez la paix aux enfants !"

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Caroline Eliacheff : "Parents, foutez la paix aux enfants !"

© Getty - RichVintage

Tandis que le débat sur l'école à la maison mobilise la communauté éducative, la psychanalyste Caroline Eliacheff, invitée des "Matins", bouscule le discours dominant sur le défi imposé aux parents de faire la classe : selon elle, la qualité de la relation parent/enfant doit passer avant le reste.

Comment encadrer au mieux le travail scolaire de ses enfants ? Peut-on vraiment faire "l'école à la maison" ? Ces questions, depuis que les établissements scolaires sont fermés en raison de l'épidémie de Covid-19, concernent tous les parents, et au-delà l'ensemble de la communauté éducative, des enseignants aux psychologues. Le défi que représente l'encadrement des devoirs scolaires par des parents qui n'y sont pas préparés engendre dans de nombreuses familles une source de stress supplémentaire en cette période où le confinement met déjà les relations intra-familiales à rude épreuve. Au risque d'aggraver souvent des tensions déjà existantes, notamment avec les adolescents. A rebours des discours qui imposeraient à tous les parents de faire toujours plus et toujours mieux quels que soient leurs moyens, voire de se substituer aux enseignants, la pédopsychiatre et psychanalyste Caroline Eliacheff, invitée des Matins de France Culture au micro de Guillaume Erner ce lundi, vient faire entendre un discours dissonant, afin de déculpabiliser les parents, de rendre à chacun la fonction qui lui incombe, et de remettre en tête de la liste des priorités la qualité de la relation entre parents et enfants.

En tant que pédopsychiatre et psychanalyste, que pensez-vous du dispositif qui a été mis en place depuis le début du confinement et qui demande aux parents d'encadrer le travail scolaire de leurs enfants ?

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Caroline Eliacheff : Pour les parents qui peuvent s'y consacrer facilement, ou qui arrivent à le faire sans trop de difficultés, pourquoi pas ? Mais je voudrais dire aux parents que, s’ils n’y arrivent pas, s’ils s’énervent, il vaut mieux lâcher l’école plutôt que d’engueuler ses enfants. Les parents ne sont pas des maîtres, et encore moins des maîtres d’école. Et je pense qu'ils ont autre chose à faire que de faire la classe. Dans cette situation de confinement, c’est avant tout la qualité de la relation avec l’enfant qui doit être privilégiée. Et passer avant les devoirs scolaires. C’est pourquoi j’ai envie de dire "Foutez la paix aux enfants !"

Mais les enfants ne risquent-ils pas alors de ne plus rien faire ?

Caroline Eliacheff : En êtes-vous certain ? Peut-être risquent-ils de ne rien faire pendant un moment. Et à un moment, ils vont s’y mettre. C’est aussi une occasion pour les parents de les mettre devant leurs responsabilités. Peut-être que les premiers jours, ils seront ravis de ne rien faire mais je suis persuadée que les enfants ont envie d’apprendre, ont envie de travailler. En revanche, ce dont ils n’ont pas envie, c’est qu'on leur crie dessus. Quand on voit à quel point - indépendamment de cette période de confinement - l'enjeu des devoirs scolaires peut devenir dans certaines familles une source de conflits parent/enfant incroyable, ce n’est pas le moment d’en rajouter de ce côté-là. Vraiment, si l’on ne peut pas faire travailler ses enfants, ce n’est pas grave. Ils rattraperont plus tard. Et pour ceux qui sont au collège et au lycée, c’est une occasion en les laissant travailler seuls de leur faire acquérir cette fameuse autonomie dont on parle tant mais qu’on ne leur laisse pas la possibilité de développer en étant sans arrêt sur leur dos. J’ai envie de dire aux parents qui s’énervent trop, ou qui ne se sentent pas en capacité de faire travailler leurs enfants que la meilleure chose qu’ils puissent faire en ce moment c’est de bien s’entendre avec leurs enfants, de les soutenir dans leur envie de travailler. Pas d’être continuellement sur leur dos ni de leur crier dessus. Et pour conclure, je ne crois pas du tout que les enfants vont éternellement profiter de la situation, trouver ça merveilleux de ne rien faire. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder ce qui se passe avec le bac : la plupart des élèves de Terminale regrettent que l'examen pour lequel ils s'étaient préparés n'ait pas lieu.

Vous pouvez écouter l'interview de Caroline Eliacheff en intégralité sur la page des Matins de France Culture :

38 min