À l'hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière, l'équipe du service de réanimation et de pneumologie, baptisé Éole en référence au dieu grec des vents, témoigne désormais de son quotidien via un compte Instagram qui a rassemblé en quelques jours presque 10 000 abonnés, dont le président de la République. Un journal de bord de ceux qui voient arriver, depuis le début de l'épidémie, les malades du Covid-19 en détresse respiratoire grave. Derrière ce compte, deux personnes, Lucile Picard, interne dans le service de réanimation, et Martin Dres, pneumologue.

« Nous voulions tous, par ce biais, rassurer nos familles inquiètes en leur montrant ce que nous vivons au jour le jour, et répondre aux nombreuses questions et angoisses de nos proches, explique Lucile, 29 ans. Très vite, les témoignages de soutien sont arrivés. C'est très précieux pour nous. L'équipe entière tente de faire face à une situation de crise inédite, et ce compte Instagram, avec ce qu'il engendre de positif, est très important pour nous. »

Photos de réanimateurs, de radiologues, de matériel d'intubation montrent le combat journalier des patients, des familles et des médecins contre la maladie. Ce compte, c'est comme une fenêtre sur ce monde que nous avons découvert à la une des médias en même temps que le coronavirus. « Notre message ne doit pas être anxiogène, nous ne voulons pas créer encore plus de stress pour ceux qui nous regardent. Ça ne ferait que pousser un peu plus les gens à vider les supermarchés. Mais il est essentiel, selon nous, que chacun comprenne ce qui se joue dans un service de réanimation : une course de longue haleine pour sauver une vie », commente la jeune interne depuis son appartement, où elle trouve refuge aux côtés de son conjoint, épuisée après des journées extrêmement denses. « Nos équipes ont été doublées : il y a maintenant trente-deux lits de réanimation dans notre service, et presque une quarantaine de médecins et internes, poursuit-elle. Mais, alors que nous n'avions qu'un ou deux patients lourds avant la pandémie, tous sont aujourd'hui dans un état gravissime qui nécessite des soins intenses. »

« Nous ne nous attendons pas à tous ces gestes. Mais en tout cas, ils sont bienvenus et très appréciés. »

Face à la situation d'urgence, le compte Instagram a suscité beaucoup d'élans de générosité et de soutien inattendus. « Nous n'avons pas choisi ce métier pour la reconnaissance, et nous ne nous attendions pas à tous ces gestes. Mais en tout cas, ils sont bienvenus et très appréciés. Je peux vous jurer qu'après plusieurs heures enfermés en réa, un masque collé au visage, sans boire ni aller au petit coin, nous apprécions les victuailles envoyées dans le service par un chef. C'est très très agréable ! » confirme Lucile qui occupera un poste à l'hôpital Henri-Mondor de Créteil cet hiver. L'équipe, qui compte déjà quelques membres infectés, tente de ne pas se laisser gagner par la peur. « Nous essayons de ne pas y penser, car c'est un mauvais moteur. Nous avançons jour après jour. Pour les proches, c'est plus compliqué, il faut s'organiser. Ceux qui ont des enfants sont plus inquiets. »

Pour un service qui noue habituellement des liens privilégiés avec les proches fragilisés par des situations tendues, le vide des chambres est difficile à gérer. « Nous appelons les familles une fois par jour, davantage si l'état du patient se dégrade. Mais nous apportons rare-ment de bonnes nouvelles, tant la guérison est lente pour les malades », déplore Lucile. Dans ce quotidien où la vie ne tient qu'à un fil, la chaleur transmise par chaque message Instagram compte, et les colis de fruits envoyés par Rungis ont une saveur particulière.