"Restez chez vous ou on n'échappera pas à la deuxième vague!", le poignant témoignage d'Alexandra, infirmière en réanimation

Alexandra, infirmière niçoise de 32 ans, a tout quitté pour aller prêter main forte au service de réanimation de l'hôpital Bichat à Paris. Elle évoque sans détour ses conditions de travail et lance un appel à la population à rester confiner "pour éviter la deuxième vague" du coronavirus.

Damien Allemand Publié le 10/04/2020 à 18:00, mis à jour le 11/04/2020 à 09:41
Alexandra, une infirmière niçoise dans le service réanimation de l'hôpital Bichat. Photo DR

"J’ai 32 ans et je viens de laisser mon fiancé en montant dans le train qui m’emmène "au front" à Paris..." C'est avec ces mots qu'Alexandra B. a démarré un long message sur Facebook. Un simple post pour prévenir ses proches du danger et les inviter à rester chez eux. Un post qui a finalement fait le tour de France. 

Alexandra est Niçoise. Elle est en poste à Macôn et a décidé au tout début de la crise du coronavirus de se porter volontaire pour "grossir les rangs des infirmiers de réanimation de l’hôpital Bichat" alors en grande difficulté. 

L'infirmière s'est engagée jusqu'au premier mai, et décidera à ce moment-là si elle prolonge ou non son séjour à Paris. 

Elle fait le point pour Nice-Matin.

Comment ça va? 

Très fatiguée comme mes collègues. On a l'habitude d'avoir beaucoup de patients en réanimation. Mais on travaille dans une ambiance très particulière, avec beaucoup de décès. On prend beaucoup en compte le stress post-traumatique des patients qui sortent de réanimation. Je pense qu'à la fin de la crise, il faudra prendre en compte celui des soignants aussi. Beaucoup d'infirmiers sont lancés à l'arrache dans les services réanimation. On fait tous beaucoup de cauchemars la nuit.

Pourquoi avoir fait le choix de vous porter volontaire pour renforcer le service réanimation de l'hôpital Bichat à Paris?

Soit on décide d'aider les gens, soit on reste les fesses sur son canapé. C'est donc un choix qui s'impose de lui-même. C'est notre devoir d'aller aider là où il y a un besoin.

Il faut une prise de conscience

Avant de partir, vous avez partagé un long texte sur Facebook qui a été partagé plusieurs centaines de milliers de fois. C'était quoi le but de ce message?

J'étais énervée de voir beaucoup de gens dans les rues depuis le début du confinement. Au départ je voulais juste dire à mes amis Facebook de rester chez eux pour les sensibiliser. Je ne m'attendais pas à ce qu'il soit autant partagé. On sait que les Français n'aiment pas être contraints. Mais la situation est inédite et gravissime. Il doit y avoir une prise de conscience.

Comment se passe votre arrivée à Paris?

J'ai été choquée de n'avoir aucun contrôle pendant mon trajet de 400km. A mon arrivée, non plus. Mais je trouve que la situation est catastrophique. Il y a encore des centaines et des centaines de personnes dans la rue qui se promènent. C'est catastrophique pour nous. On va avoir droit à une seconde vague dans les 2 prochaines semaines. On est déjà débordé aujourd'hui. Le seul super pouvoir de la population en ce moment c'est de rester chez eux et d'arrêter de sortir pour aller chercher trois pommes au supermarché comme on le voit encore. Dans la rue, je vois plein de gens qui toussent, qui crachent... Ce sont des gens qui vont en contaminer d'autres.

Vous militez pour un confinement plus strict?

L'erreur a été de dire qu'on avait le droit de sortir se promener une heure par jour. Non. Nous, soignants, on ne veut pas que les gens puissent se promener une heure par jour. C'est autant de risques de transmission de la maladie et par ricochet de travail pour nous plus tard.

La nuit dernière, j'ai perdu une femme de 38 ans. Elle avait une petite fille de 10 mois... Elle n'avait aucun problème de santé.

Quelle est la situation à Bichat? 

On ne s'arrête jamais. On court de chambre en chambre, avec des poussées d'adrénaline quand un patient décroche et qu'il faut rentrer en urgence dans sa chambre pour essayer de savoir ce qui se passe. Et quand ça arrive, on n'a pas forcément le temps de bien s'équiper pour se protéger et lui porter secours.

Et niveau matériel?

On manque de masques mais pas que. On manque de tout. Depuis hier, on est obligé de récupérer nos combinaisons de protection pour qu'elles soient stérilisées puis réutilisées. On en est là... On récupère des tenues jetables. On a également beaucoup de patients jeunes qui décèdent. La nuit dernière, j'ai perdu une femme de 38 ans. Elle avait une petite fille de 10 mois... Elle n'avait aucun problème de santé. Elle était arrivée sur ses jambes à l'hôpital. La maladie touche tout le monde, pas que les personnes âgées.

Dans un deuxième message sur Facebook, vous expliquez que vous devez commencer à choisir parmi les patients...

C'est très dur. On n'a pas été formé à choisir qui vit et qui meurt. On arrive au pic et il n'y a plus de lit. Les patients dont on sait qu'ils vont être difficiles à récupérer, on est obligé de limiter les soins. Derrière il y a d'autres patients qui poussent pour arriver en réanimation... On est clairement dans une situation de médecine de guerre. Je suis en colère quand j'apprends que certaines cliniques privées ne sont pas encore sollicitées. Voir que des centaines de patients font des trajets en TGV pour aller à l'autre bout de la France alors que des lits sont disponibles en cliniques privées, c'est un sketch total. Cela n'a pas de sens, c'est juste pour faire joli à la télé.

Qu'est-ce que cette crise va changer pour vous?

J'espère beaucoup de choses. J'espère que les salaires des infirmières vont être réévalués. On est payé entre 1.500 et 1.800 euros alors qu'on gère la vie des patients du bout des doigts. J'espère que le service de réanimation va avoir un statut de spécialité. Notre société est vieillissante et il n'y a pas assez de lits. Dans certains établissements, il y a une infirmière pour 60 patients Alzheimer. C'est de la maltraitance. Il n'y a pas assez de soignants pour trop de patients, il va falloir tout revoir. On n'est plus dans l'humain alors qu'on a choisi ce métier pour l'humain justement.

Si les gens qui ne applaudissent ne respectent pas le confinement, qu'ils restent sur leur canapé

Et pour vous personnellement?

Cela fait plusieurs années que je me pose des questions... La situation me fait détester mon métier. J'attends de voir quels seront les changements qui vont arriver après cette crise. On va au bout de nous-même en ce moment. Je ne sais pas si j'aurai assez de courage pour continuer après.

Tous les soirs à 20h les soignants sont applaudis par les Français à leur balcon. Comment le vivez-vous? Et n'avez-vous pas peur de retomber dans l'anonymat après?

Cela nous fait plaisir et nous émeut. Quand on est épuisé, ça fait du bien. En revanche, j'espère que les gens qui nous applaudissent restent confinés chez eux. Si ce n'est pas le cas, qu'ils restent dans leur canapé, on s'en fiche d'être applaudis par eux. Et si nos conditions de travail ne changent pas après la crise, je souhaite que tous les gens qui nous acclament soient avec nous dans la rue s'il y a de nouvelles manifestations. Dans d'autres pays, en réanimation, c'est une infirmière pour un patient. En France, c'est une infirmière pour trois patients, on ne peut plus travailler dans ces conditions.

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