Coronavirus : où sont passés les lanceurs d’alerte chinois ?

Après avoir alerté la population chinoise sur la catastrophe sanitaire dans leur pays, les deux journalistes Chen Qiushi et Fang Bin sont toujours portés disparus. Ai Fen serait de nouveau en poste à l’hôpital de Wuhan.

 Ain Fen, Chen Qiushi et Fang Bin , lanceurs d’alerte chinois ont été menacés par les autorités de leur pays.
Ain Fen, Chen Qiushi et Fang Bin , lanceurs d’alerte chinois ont été menacés par les autorités de leur pays. DR

    Les mois passent et la question demeure : sont-ils au moins encore en vie? Chen Qiushi et Fang Bin, deux journalistes-citoyens chinois, sont toujours portés disparus, après avoir bravé la censure et révélé les angles morts de la crise sanitaire du Covid-19 dans leur pays. « On a aujourd'hui très peu d'informations à leur sujet. La seule certitude qu'on ait, c'est qu'ils sont aux mains des autorités chinoises », explique au Parisien Pierre Haski, président de Reporters sans frontières (RSF), qui alerte ce week-end sur leur situation.

    Chen Qiushi, 34 ans, est le premier à ne plus avoir donné signe de vie. Cet avocat des droits de l'homme avait notamment filmé en février le quotidien d'un hôpital de Wuhan particulièrement débordé par l'afflux de patients. Ses vidéos étant de plus en plus suivies, l'homme était devenu particulièrement dérangeant pour le pouvoir. « J'ai très peur. Devant moi, j'ai le virus et derrière moi le pouvoir chinois », expliquait-il le 29 janvier dans une vidéo tournée à Wuhan. Le 6 février, son compte Weibo était supprimé. Le lendemain, ses parents étaient informés de son placement « en quarantaine », alors qu'il ne souffrait d'aucun symptôme du virus. Depuis, plus de signe de vie.

    Le cas de Fang Bin est sensiblement similaire. Ce gérant d'un magasin de vêtements est devenu célèbre en publiant le 1er février une vidéo qui dépassera le million de vues. Son reportage de cinq minutes montrait ce qu'il assurait être huit cadavres de malades découverts devant ou au sein d'un hôpital public de Wuhan. Des images choquantes et particulièrement dérangeantes pour les autorités qui lui ont confisqué son ordinateur portable, après l'avoir longuement interrogé.

    « Aujourd'hui, une femme vient soi-disant m'apporter à manger. Ils veulent me mettre en quarantaine », déclarait Fang Bin, le 4 février. L'homme filmera encore des officiers en combinaison de protection tentant d'entrer chez lui. Depuis le 8 février, plus aucune vidéo. Et sa famille reste, à ce jour, sans nouvelle. « Fang Bin et Chen Qiushi ont été arrêtés mais on ne sait évidemment pas où, soupire le président de RSF. Ils font l'objet d'une détention totalement arbitraire. »

    Autre activiste - jusqu'à présent - disparue : Ai Fen, directrice des urgences de l'hôpital de Wuhan, était injoignable depuis le 29 mars. Cette médecin a été réduite au silence, deux semaines après avoir critiqué la censure imposée par le régime autour de l'épidémie de coronavirus dans le magazine Ren Wu.

    Bonne nouvelle : lundi, un journaliste de France Télévisions rapporte lui avoir parlé à l'hôpital de Wuhan où elle travaille. « Elle va très bien, elle est à son poste », précise Arnauld Miguet sur Twitter, montrant une photo de la directrice.

    « Il est plus délicat d'envoyer un médecin en prison »

    Si les deux autres lanceurs d'alerte ont bien fait l'objet d'une arrestation, le « mystère demeure » toutefois sur son cas. « Est-ce qu'elle a vécu volontairement recluse chez elle ? Est-ce qu'elle a été sous surveillance ? On a strictement aucune information », ajoute le journaliste. Son statut de directrice des urgences a toutefois pu jouer en sa faveur. « Elle court moins de risques que les autres. Il est beaucoup plus délicat pour les autorités chinoises d'envoyer un médecin en prison. Car tout le monde s'imaginera qu'elle a parlé pour mener à bien son travail », explique Pierre Haski.

    Depuis la disparition de ces lanceurs d'alertes, les associations de défense de la presse, à l'image de RSF, se mobilisent pour tenter de retrouver leurs traces. Une tâche ardue face à un régime qui continue de se murer dans le silence. Peut-on toutefois espérer qu'ils retrouvent leur liberté ? « C'est difficile à dire, il y a deux cas de figure », détaille le président de RSF.

    « Soit les autorités les gardent le temps que le sujet de la crise sanitaire devienne moins brûlant. Dans ce cas, on pourrait imaginer qu'ils soient relâchés d'ici quelques semaines, mais cela reste peu probable. L'autre scénario plus habituel voudrait qu'on entende plus parler d'eux pendant encore un moment. Puis on apprendra d'ici six mois qu'ils ont été mis en examen pour subversion », complète-t-il.

    Des procès tenus à huis clos par le régime

    Ce deuxième cas de figure s'est vérifié plus d'une fois. Ren Zhiqiang, ancien riche homme d'affaires et proche du vice-président Wang Qishan, avait disparu depuis le 12 mars après avoir publiquement critiqué le manque de transparence du régime dans sa gestion de la pandémie. Dans un texte mis en ligne, cette figure de l'élite pékinoise avait même comparé le président chinois Xi Jinping à un « clown » tyrannique.

    Résultat : après avoir disparu pendant près d'un mois, l'homme est désormais visé par une « enquête pour violation de la loi et de la discipline », a annoncé mardi la Commission pour l'inspection disciplinaire du régime.

    « Ces procès sont évidemment tenus à huis clos et les sentences rendues sont dictées par le comité du Parti communiste. Il n'y a pas d'indépendance de la justice. C'est très habituel, on peut donc s'attendre à ce que cela se passe de cette façon pour les deux journalistes », conclut le président de RSF.

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