Paroles d’enfants sur le monde d’après
Les plus jeunes sont aussi les plus concernés par ce qui émergera après la pandémie. Nous avons donc proposé à un groupe d’enfants et d’adolescents âgés de 5 à 15 ans de participer à un atelier philo organisé via une plateforme de visioconférence. Ils se sont interrogés, de manière étonnamment sérieuse et réaliste, sur la façon dont le Covid-19 pourrait changer le monde et notre façon d’y vivre. En voici la retranscription.
Qui participe ?
Marcello : 5 ans
Laetitia : 9 ans
Maddalena : 10 ans
Valentine : 10 ans
Giovanni : 11 ans
Simon : 13 ans
Sacha : 13 ans
Raphaël : 14 ans
Rébecca : 15 ans
David : 15 ans
Animatrice : Tout d’abord, comment vivez-vous cette situation ?
Sacha : Je ne suis pas très anxieux. Je vis la situation au jour le jour et je n’ai pas vraiment d’idées sur la suite. Il y a un peu de peur que des proches attrapent le Covid, mais pour moi et ma famille je n’ai pas très peur. J’attends de voir comment se déroulera l’évolution de l’épidémie.
Raphaël : Je ne me sens pas très menacé, ça s’améliorera, pas partout, pas en même temps, mais ça ira mieux.
Laetitia : Je ne suis pas angoissée, mais je ne suis pas à l’aise. Quant à mes parents, ils sont vieux mais quand même, je ne m’inquiète pas trop pour eux.
David : C’est très cool ces vacances à Paris, jamais vu autant de vidéos ! De toute façon, je suis confiné dans ma chambre, en général.
Rébecca : Je suis assez anxieuse, car cette situation pourrait être une véritable catastrophe économique et pourrait creuser l’écart entre les différentes classes sociales.
“Mon père a le coronavirus. Sa maladie est comme une montagne russe : ça monte, ça descend, il y a beaucoup de loopings”
Valentine, 10 ans
Valentine : Mon père a le coronavirus, il est privé de tout loisir comme faire des activités avec nous, je ne peux quasiment pas le voir, je n’ai pas le droit de lui faire des câlins ni des bisous (et il y a encore une dizaine de règles comme celles-ci). Sa maladie est comme une montagne russe : ça monte, ça descend, il y a beaucoup de loopings, et, généralement, c’est à ce moment-là qu’il a un coup de chaud. En règle générale, mon père n’est déjà pas un grand fan de montagnes russes – mais encore moins de celles-là…
“Moi, j’ai pas peur ! Si le coronavirus arrive, moi, je le frappe !”
Marcello, 5 ans
Marcello : Moi, j’ai pas peur ! Si le coronavirus arrive, moi, je le frappe !
Giovanni : Je n’ai pas peur non plus du coronavirus. De toute façon, ce ne serait pas très utile. Avoir peur des voitures, c’est une peur utile parce que ça rend prudent, mais avoir peur de ce virus n’empêche pas de tomber malade.
Maddalena : Moi non plus, je n’ai pas peur. Je suis juste triste pour les personnes qui meurent. Mais ce n’est pas la même chose qu’avoir peur.
Une prise de conscience écologique ?
Laetitia : C’est sûr qu’après le confinement, on n’ira plus vite comme avant, on prendra moins l’avion parce qu’on se rend compte maintenant de combien ça pollue.
Giovanni : C’est vrai qu’à cause du coronavirus, maintenant, beaucoup de gens sont confinés chez eux, donc on utilise moins les moyens de transport, que ce soit la voiture, les trains, les avions ou les bateaux… Je pense donc qu’après cette épidémie, certaines de ces habitudes resteront.
Sacha : Maintenant, on utilise beaucoup plus Internet, et ça pollue aussi. L’envoi d’un mail c’est 10 grammes de CO2, et c’est ce que peut absorber un arbre en une journée.
Maddalena : Je suis quand même d’accord avec Laetitia. Grâce au coronavirus, la pollution diminue et maintenant, on le voit même par satellite !
Animatrice : Donc, selon vous, il y aura un changement dans notre relation à la nature et à l’environnement, un changement lié à de nouvelles habitudes ou à une prise de conscience ?
Valentine : Je pense qu’il y a une prise de conscience par rapport à la pollution grâce au coronavirus. Quand je suis dehors – ce qui n’arrive pas souvent –, l’air est pur ! C’est agréable et étrange, car, depuis que je suis née, je n’ai pas respiré l’air de Paris aussi pur. Mais je pense que quand la quarantaine sera finie, nous reprendrons nos mauvaises habitudes, jusqu’à ce qu’on trouve un intermédiaire...
Raphaël : Ça m’étonnerait beaucoup que des pays en pleine croissance économique comme la Chine aient une prise de conscience à ce niveau-là. Ils s’en fichent complètement des enjeux environnementaux.
“On sera tous en manque de déplacements, donc il est probable qu’on recommencera comme avant !”
Sacha, 13 ans
Sacha : En plus, après, on sera tous en manque de déplacements, donc il est probable qu’on recommencera comme avant !
Laetitia : Oui, il faudra compenser le fait qu’on n’est pas partis en vacances…
Simon : Même s’il y aura une prise de conscience, nous ne pourrons pas nous permettre d’arrêter les transports ou nos modes de vie. Cela entraînerait une crise économique trop importante ! Et puis nous nous sommes habitués à ce mode de vie depuis que nous sommes tout petits, c’est difficile d’y renoncer.
Giovanni : Peut-être en effet qu’on n’arrêtera pas les transports, mais qu’on voyagera différemment. Par exemple, par des moyens moins polluants, comme les transports en commun ou les voitures électriques…
Valentine : Pas sûr que ces voitures polluent moins à la fin…
Raphaël : On pourra alors utiliser des voitures qui marchent à l’eau, comme des recherches aux États-Unis sont en train de le montrer…
Marcello : Avec nos voitures à essence, on a fait mal à la planète Terre, alors elle se venge, elle nous attaque aussi en nous envoyant des petits monstres comme le Coronavirus !
David : Je pense que de toute manière il y aurait eu, tôt ou tard, une prise de conscience pour tout ce qui est pollution, et que le Coronavirus a seulement accéléré les choses. Mais ça c’est juste le côté positif.
Une crise économique ?
Valentine : Jamais l’économie mondiale n’a connu une aussi grande chute. Notre puissance économique est peu à peu en train de s’effondrer, et il faut espérer que cela ne dure pas trop longtemps. La Chine reprend du poil de la bête, et je pense qu’une fois la quarantaine finie, nous aurons du mal à la rattraper.
“La Chine dominera le monde, et je ne sais pas si c’est une bonne chose vu qu’elle n’est pas un modèle de transparence et de liberté”
David, 15 ans
David : Pour l’instant, tous les services nécessaires à la vie quotidienne sont maintenus, mais dès que le confinement sera terminé, il y aura une grosse grosse crise économique qui va arriver. Les marchés vont s’effondrer et beaucoup d’hôtels, de restaurants, etc. vont finir ruinés. La Chine, c’est vrai, semble s’en sortir mieux que les pays européens et que les États-Unis, qui perdront donc beaucoup de leur puissance économique. La Chine dominera le monde, et je ne sais pas si c’est une bonne chose vu qu’elle n’est pas un modèle de transparence et de liberté.
Sacha : Je suis d’accord, la Chine en sortira gagnante.
Simon : Pas sûr, moi je pense que c’est juste une question de temps, ça va redémarrer aussi chez nous. Un pays comme la Chine ne peut pas rester longtemps la première puissance mondiale.
Rébecca : Je suis d’accord avec David. Plein de commerces paient leur loyer sans rien vendre, donc il est en effet probable qu’ils fassent faillite.
Raphaël : Pour moi, il ne va pas y avoir une réorganisation du système économique mondial, c’est juste que la Chine a eu le coronavirus avant les autres, et donc elle est en train de s’en sortir avant les autres. Après, ce sera le tour de l’Europe et des États-Unis, et, à la fin, ce seront les pays moins développés comme ceux d’Afrique qui seront touchés et qui auront de grosses difficultés à gérer l’épidémie, parce qu’ils n’ont pas beaucoup de moyens.
David : Oui, à la fin, il y aura encore plus d’écart entre les pays riches et les pays pauvres.
« Quand deux personnes parlent, le coronavirus se transmet par la voix » — Marcello, 5 ans
Un changement dans le rapport à la mort ?
Giovanni : Cette expérience de l’épidémie va aussi sans doute changer notre rapport à la mort, étant donné que beaucoup de personnes vont perdre leurs proches.
Raphaël : Pour l’instant, il n’y a pas beaucoup de cas… On est 7 milliards dans le monde et à ce jour il y a environ 100 000 morts…
Marcello : Les animaux aussi, comme les chats et les chiens, peuvent attraper le coronavirus ?
Simon : On ne peut pas vraiment connaître le nombre de morts, surtout que pour des pays comme la Chine, on n’a pas les vrais chiffres. Et puis on ne sait pas comment l’épidémie évoluera, peut-être que le virus va muter… Mon père a le Covid, et c’est presque sûr qu’on aura tous au moins un proche touché. Donc on sera forcément confronté au problème de la mort, on y pensera davantage.
David : Même si la mort ne nous touche pas directement, en ce moment, elle est déjà omniprésente : on en parle partout que ce soit à la télé, à la radio, sur Google News… De plus, le rapport à la mort est souvent influencé par la religion. Et vu que maintenant, les croyants de n’importe quelle religion ne peuvent plus se réunir, leur rapport à la mort va changer aussi. Beaucoup vont commencer à lire et à se faire leur propre idée sur plein de choses.
“Le rapport à la mort, c’est quelque chose d’individuel et de subjectif, je ne suis pas sûr que le fait de ne pas voir les autres change quelque chose…”
Raphaël, 14 ans
Raphaël : Pour moi, le rapport à la mort, c’est quelque chose d’individuel et de subjectif, je ne suis pas sûr que le fait de ne pas voir les autres change quelque chose… Quand on se retrouve seul, comme c’est le cas aujourd’hui à cause du confinement, on essaie de créer quelque chose, tandis que la mort a plutôt à voir avec la destruction.
Sacha : Je suis d’accord. La vision de la mort est liée à la vision de la vie qu’on a, et c’est une idée qu’on se forge tout seul.
David : Peut-être que c’est votre cas, mais beaucoup de personnes accueillent l’idée dominante de leur religion et ne se font pas du tout leur idée à eux. Ils croient ce qu’on leur raconte. Donc je pense que cette situation changera ça aussi : il y aura beaucoup plus de croyances différentes !
Raphaël : Il y a quand même un nombre important d’athées dans beaucoup de pays, donc des gens qui se font déjà leur propre opinion de la mort.
David : Je ne veux pas dire que les gens deviendront tous athées, mais qu’ils se forgeront leur opinion.
Animatrice : Pensez-vous qu’à l’inverse cette expérience pourrait aussi nous rapprocher de la religion et de la croyance ?
“C’est possible que le besoin de quelque chose à quoi se raccrocher ou qui rassure pousse ceux qui ont perdu un proche à croire”
Rébecca, 15 ans
Rébecca : Plein de gens malades du coronavirus vont mourir seuls à cause de l’interdiction de les approcher. Cela va être très dur aussi pour leurs proches. Il est possible donc que le besoin de quelque chose à quoi se raccrocher ou qui rassure les pousse à croire.
Simon : Oui, la foi est sécurisante pour certaines personnes.
Une école en ligne ?
Animatrice : La plupart des écoles ont mis en place pendant ce confinement des cours en ligne. Pensez-vous que cela aura des conséquences sur la transmission du savoir et l’éducation dans le futur ? En d’autres mots, pensez-vous que cette expérience pourra changer la manière d’enseigner que nous avons connu jusqu’à présent ?
Giovanni : En effet, nos cours sont maintenant en ligne, on utilise le Drive pour les devoirs, on communique à distance, mais je ne pense pas que cela puisse durer longtemps.
Sacha : Je suis d’accord. Parfois on se dit qu’on en a marre d’aller en cours, et pourtant on se rend compte maintenant que c’est tellement mieux et tellement moins de travail… C’est plus facile quand il y a une personne qui t’explique par la parole et des exemples. Et puis l’école est aussi un endroit où on créé du lien social. On est entouré de gens et on se sent moins seul.
Valentine : Simon et moi, nous avions été mis en quatorzaine même avant le confinement parce que pendant les vacances de février nous étions en Italie. Du coup, maintenant, j’ai énormément de travail, mais ce n’est pas pour autant que je comprends mieux mes leçons. Moi, en tant qu’enfant je trouve que c’est très dur de travailler à distance. Avant que mon père n’ait le coronavirus, il travaillait beaucoup avec moi. Et je tiens à féliciter les enfants qui travaillent à la maison.
“J’ai beaucoup plus de devoirs qu’avant, mais il n’y a personne pour me dire si c’est juste ou pas”
Maddalena, 10 ans
Maddalena : J’ai l’impression que maintenant j’ai beaucoup plus de devoirs qu’avant, mais il n’y a personne pour me dire si c’est juste ou pas.
David : L’école peut être en quelque sorte libératrice.
Sacha : Le confinement aussi peut être libérateur pour les enfants qui sont harcelés à l’école.
“Cette épidémie va changer notre regard sur les enseignants. On se rend compte maintenant du travail qu’ils font”
Simon, 13 ans
Simon : Je pense que ce que cette épidémie va changer, c’est surtout notre regard sur les enseignants. Comme pour les médecins, on se rend compte maintenant du travail qu’ils font. Et qu’à la fin on devra les remercier.
Valentine : Oui, merci le personnel soignant, les médecins, les pompiers, le Samu... C’est grâce à vous qu’on tient encore debout. Je vous remercie de prendre soin de nos frères à l’hôpital entre la vie et la mort sans savoir ce qui les attend, leur famille ou leur tombe ! Nuit et jour, vous les soignez même si certains doivent y passer. C’est pour vous à 20 heures le soir que j’applaudis à la fenêtre en chantant Le Chant des partisans. Je voulais juste vous dire merci, merci beaucoup !
Animatrice : Voyez-vous quelques avantages des cours à distance ?
Rébecca : Le mode de vie qu’on nous impose à l’école ne correspond pas à nos rythmes naturels. Pendant le confinement, j’ai beaucoup de devoirs, mais je donne plus d’importance au sommeil. Peut-être que dans le futur, il faudrait mieux adapter les rythmes de l’école, trop fatigants, à nos besoins.
Raphaël : Les cours en ligne permettent aussi de responsabiliser certaines personnes. Les profs ne peuvent pas vérifier qu’on ne triche pas. Ces personnes commencent à se rendre compte que les études, que ce soit le bac, le brevet ou autre, sont importantes pour leur futur.
David : Les cours à distance ne peuvent quand même pas remplacer l’interaction avec un professeur, et la relation humaine de l’enseignement.
“Les cours en ligne sont injustes pour les défavorisés”
Rébecca, 15 ans
Rébecca : De plus, il y a beaucoup de gens qui habitent à plusieurs dans des petits appartements, donc, pour eux, les cours à distance c’est compliqué, tout le monde parle et il est difficile de se concentrer. Les cours en ligne sont injustes pour les défavorisés.
David : Oui, l’égalité et la gratuité de l’école ne sont plus pris en compte.
Raphaël : Cette épidémie met en lumière les écarts de classes à tous les niveaux. Si certains enfants n’ont pas à disposition les outils technologiques pour récupérer les devoirs des cours à distance, même chez les adultes, ceux qui sont à l’usine ne peuvent pas se permettre de faire du télétravail et parfois ils n’ont même pas l’argent pour se payer un ordinateur. Du coup, si les gens qui ont un métier qui ne peut pas être fait à distance sont obligés d’arrêter de travailler, ils sont au chômage. Et cela laissera des traces, il y aura une révélation encore plus évidente de ces écarts dans la population.
Et pour finir, un poème de Giovanni
Confinement
Et tandis que sans but, la vie se poursuivait
Macron à la télé a dit que tout fermait.
En effet, les cinémas et les écoles
se sont arrêtés. C’est vraiment pas de bol.
Certains sont restés à Paris et d’autres pas
Certains ont attrapé l’virus et d’autres pas.
Tout le monde s’ennuie, on ne sait plus quoi faire
même enfermés chez nous, il faut se distraire
Ils disaient fallait pas de pessimisme
alors que maintenant, ils manquent tous d’optimisme
mais aussi et surtout de philosophie.
C’est la fin, de cette très courte poésie.
Le 29 mars 2020
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