VIDÉOS. À la Goutte d'Or, la solidarité du quartier nourrit plus de 250 personnes par jour

La crise du coronavirus et les difficultés du confinement ont révélé, depuis le 17 mars, nombre d'idées solidaires. À Paris, la Table ouverte existait déjà mais s'est renforcée.

Rue Léon, au coeur du 18ème arrondissement de Paris, La Table Ouverte qui gère
Rue Léon, au coeur du 18ème arrondissement de Paris, La Table Ouverte qui gère « Le café de l’ici » distribue chaque jour 250 repas, depuis le début du confinement. (©SL / actu Paris)
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Le chef d’orchestre a mis son tablier bariolé de jaune et de bleu. Rachid Arar vérifie que la cadence est tenue dans les cuisines de La Table Ouverte, restaurant de la rue Léon, dans le 18ème arrondissement de Paris. Il est 10 heures mardi 14 avril 2020. Dans deux heures, plus de 250 personnes afflueront pour un repas chaud, le seul distribué dans l’arrondissement.

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« Il ne faut pas que les gens restent dehors longtemps »

Les barquettes d’aluminium sont bien alignées sur le plan de travail de la cuisine. Les petits pois et les carottes cuisent dans une large marmite à côté. Parmi l’équipe d’une dizaine de bénévoles, seuls les trois cuisiniers sont déjà à l’oeuvre, depuis 7 heures du matin. Abdel, Omar et Nabil s’affairent, tout doit être prêt pour tenir la promesse d’un repas chaud dès 11h50.

Poulet ou agneau avec des petits pois carottes, c'est le menu du jour. Nabil et Omar finissent la préparation.
Poulet ou agneau avec des petits pois carottes, c’est le menu du jour. Nabil et Omar finissent la préparation. (©SL / actu Paris)
Masques et gants pour tous, Mourad et Abdel ferment les barquettes qui seront distribuées.
Masques et gants pour tous, Mourad et Abdel ferment les barquettes qui seront distribuées. (©SL / actu Paris)

À cette heure-là, les premiers sacs blancs ficelés par les autres bénévoles – Sonia, Jacky, Mourad, Myriam, Christophe et Hakim – seront donnés aux bénéficiaires. Le tout ne durera qu’une courte demie-heure. « Il ne faut pas que les gens restent dehors longtemps », exige Rachid, président de l’association du restaurant. Masques et gants sont obligatoires, du début à la fin.

Tout le monde se coordonne, "chacun a une tâche bien précise", explique Rachid, deuxième en partant de la droite sur cette photo.
Tout le monde se coordonne, « chacun a une tâche bien précise », explique Rachid, deuxième en partant de la droite sur cette photo. (©SL / actu Paris)

Pendant la préparation, les premiers bénéficiaires sont déjà là, jusqu'à 45 minutes avant l'ouverture.
Pendant la préparation, les premiers bénéficiaires sont déjà là, jusqu’à 45 minutes avant l’ouverture. (©SL / actu Paris)

Une chaîne de solidarité « entre commerçants et riverains »

Pour composer ces paniers avec un repas chaud, un dessert et un morceau de pain, c’est toute une chaîne de solidarité qui s’est mise en place dans la Goutte d’Or, « entre commerçants, riverains et associations », explique Rachid :

Pour le pain, j’ai un bon prix défiant toute concurrence avec le boulanger. Un restaurant du quartier nous a fait le repas un midi, le patron de l’hôtel nous a envoyé de la viande. On ne fonctionne qu’avec des dons.

Comme celui de Mourad, gérant du Carrefour City de la rue Marx-Dormoy venu aider pour distribuer. À son arrivée, il faut décharger cinq cagettes de fruits et légumes invendus dans son magasin, qui seront réutilisées.

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Rachid réceptionne le don de Mourad, aidé par Abdel.
Rachid réceptionne le don de Mourad, aidé par Abdel. (©SL / actu Paris)

Tout comme les dix kilos de viande amenés par Georges depuis son épicerie, le P’tit Georges. Il est venu sur invitation d’Amine, « le sosie de René, le mari de Céline » qui fait le tour du quartier en quête de dons et invite tout le monde à être bénévole.

Georges amène dix kilos de poulet pour la cuisine, guidé par Amine. Le jeune homme s'engage à venir donner un coup de main à la préparation de la distribution.
Georges amène dix kilos de poulet pour la cuisine, guidé par Amine. Le jeune homme s’engage à venir donner un coup de main à la préparation de la distribution. (©SL / actu Paris)

« Sans nous, certains auraient peur de ne pas manger »

Lorsque la distribution commence, la file d’attente s’étire déjà sur tout le trottoir, tournant rue de Panama. Un monde « hallucinant », n’en revient toujours pas Rachid. Dans son restaurant, en temps normal, ceux qui paient leurs repas financent ceux des convives qui n’en ont pas les moyens. Soit 50 repas offerts chaque jour d’habitude, pour 250 aujourd’hui et zéro payé.

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L’affluence tient de la précarité des « confinés dehors », sans-abris, migrants et toxicomanes, mais aussi de riverains, surtout âgés, qui n’ont « plus les moyens de faire leurs courses sans le marché », selon l’un d’eux dans la file à droite de l’entrée, celle des prioritaires. Au sol, des traits blancs marquent le mètre de distance que tout le monde respecte. Hakim s’en assure : 

Les gens respectent, tout se passe bien. D’habitude, certains font la fermeture des restaurants pour manger, mais là tout est fermé. Sans nous, certains ne mangeraient pas, ou auraient peur de ne pas manger. 

Hakim fait respecter les distances de sécurité et fait avancer ceux qui viennent récupérer leur repas.
Hakim fait respecter les distances de sécurité et fait avancer ceux qui viennent récupérer leur repas. (©SL / actu Paris)

Le résultat est « un ballet impressionnant de gens, une sorte de danse », imagine Sonia, que sa curiosité de voisine a conduite au centre de cette chorégraphie. Laquelle inclut Christophe, qui fait avancer les sacs sur une grande table, vers l’entrée. Mourad les récupère, les donne à Myriam qui donne à gauche, Sonia à droite. Abdel et Hakim surveillent.

Mourad mène la distribution, avec Rachid à sa droite qui surveille qu'aucun grain de sable ne fait coincer l'organisation.
Mourad mène la distribution, avec Rachid à sa droite qui surveille qu’aucun grain de sable ne fait coincer l’organisation. (©SL / actu Paris)
Abdel, Omar et Sonia sont aux aguets, durant toute la distribution.
Abdel, Omar et Sonia sont aux aguets, durant toute la distribution. (©SL / actu Paris)

Au milieu de cette effervescence se faufile Rachid, téléphone en main, filme ses bénévoles, leur travail et le commente.

Rachid filme la distribution qu'il va diffuser sur les réseaux sociaux de La Table Ouverte.
Rachid filme la distribution qu’il va diffuser sur les réseaux sociaux de La Table Ouverte. (©SL / actu Paris)

« Bientôt plus de repas chaud », dit-il à son appareil. Quelques secondes plus tard, le voici avec un cuir noir sur le dos, prêt à sauter dans sa petite fourgonnette. Il en ressortira 15 minutes après, à 12h20, chargé de sacs en plastique bleu.

Des dizaines de sacs bleus, contenant un repas froid pour ceux n'ayant pas eu de chaud, sont apportés.
Des dizaines de sacs bleus, contenant un repas froid pour ceux n’ayant pas eu de chaud, sont apportés. (©SL / actu Paris)

« L’action d’abord », avant de retrouver « l’ambiance festive »

Ils sont le fruit d’une autre entraide, avec Solidarité Saint-Bernard, association de l’église du même nom située à côté, « celle occupée dans les années 90 ». Ils donnent 50 paniers à Rachid. Une évidence : « On travaille toute l’année ensemble, s’il y a une crise on s’appelle. » D’habitude, l’association donne des cours de français aux migrants, La Table Ouverte nourrit les élèves.

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Et ça fonctionne, envers et contre tout. « L’État n’est pas là, alors on s’organise », explique Rachid. En réalité, l’État est passé trois fois en ralentissant, pendant la distribution, dans des véhicules sérigraphiés « police ». Une inquiétude pour Rachid :

25 % de ceux qui viennent aux distributions n’ont pas de papiers, ils ont peur des contrôles. On ne veut plus que les policiers demandent les pièces d’identité avec les attestations, sinon ils vont arrêter de venir.

À 12h30, tous les sacs sont donnés, même pour la riveraine retardataire de la rue Doudeauville, à deux pas du restaurant sauf « quand on ne marche pas vite comme moi ». Dans son cabas, Sonia glisse deux sacs, deux repas. La petite dame repart avec un sourire, qui rappelle à Rachid « l’ambiance festive du reste de l’année, moins miséreuse ». En attendant, « l’action d’abord ».

Les bénévoles été au courant que cette dame arriverait, ils lui ont gardé une part de côté.
Les bénévoles été au courant que cette dame arriverait, ils lui ont gardé une part de côté. (©SL / actu Paris)
Avant de terminer leur action par un café et un biscuit fait maison, les bénévoles comme Sonia attendent quelques minutes, au cas où un dernier bénéficiaire arriverait.
Avant de terminer leur action par un café et un biscuit fait maison, les bénévoles comme Sonia attendent quelques minutes, au cas où un dernier bénéficiaire arriverait. (©SL / actu Paris)

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