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Société

Le sociologue Serge Guérin : "Les personnes âgées vont finir par mourir d'isolement plus que du coronavirus"

INTERVIEW - Expert des questions de séniorisation de la société, le sociologue Serge Guérin veut profiter de l'épidémie de Covid-19 pour améliorer le futur plan "grand âge" promis par Emmanuel Macron. Il lance un appel avec un collectif et dresse pour le JDD les leçons de cette crise sanitaire.

Léa Guyot , Mis à jour le
Une femme âgée regarde par la fenêtre de son appartement, à Nice.
Une femme âgée regarde par la fenêtre de son appartement, à Nice. © AFP

Le sociologue spécialiste du vieillissement lance avec 50 personnes issues du monde politique, associatif et médical les "Etats Généraux de la séniorisation de la société", avec pour objectif d'intégrer à la future loi sur la dépendance les enseignements tirés de la crise sanitaire actuelle. Serge Guérin milite notamment pour une meilleure fluidité entre les hôpitaux, les Ehpad et la médecine de ville. Il s'inquiète aussi des conséquences de la prolongation du confinement sur l'isolement des personnes âgées mais se réjouit du renforcement des liens intergénérationnels. 

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Le président de la République a invité les personnes âgées à rester chez elles après le 11 mai. La présidente de la Commission européenne a elle suggéré que les seniors devraient rester confinés jusqu'à la fin de l'année. Qu'en pensez-vous?
On ne peut pas prolonger le confinement à l'infini, c'est humainement dangereux. Les personnes âgées les moins sollicitées, celles qui n'ont pas d'interactions avec des proches ou des professionnels de santé risquent de voir leur état se dégrader. Les personnes âgées vont finir par mourir de manque de liens plus que du coronavirus. Et surtout, comment choisit-on les personnes qui doivent rester chez elles? On peut avoir 75 ans et être en pleine forme!

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Les coups de téléphone ne suffiront plus au bout de trois mois de solitude

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Justement, que peut-on faire pour lutter contre l'isolement de nos aînés?
Dès le début du confinement, des associations et des communes ont mis en place des cellules d'écoute téléphoniques. Les appels des petits-enfants à leur grands-parents se sont démultipliés. C'est très bien, mais les coups de téléphone ne suffiront plus au bout de trois mois de solitude. Pour l'instant, les mesures de confinement sont très strictes, il faudra peut être les assouplir pour permettre de vraies interactions. On pourrait par exemple imaginer un système de parloir avec des vitres portatives.

Quel est votre avis sur la gestion de la crise sanitaire dans les Ehpad?
Tout montre que le système actuel n'est pas adapté à la situation. Il y a eu du mieux récemment, mais encore trop d'établissements manquent de masques, de tests de dépistage et enregistrent des décès. Les personnels, qu'on a du mal à renouveler, sont fatigués. Certains culpabilisent d'avoir fait rentrer la maladie. Il faut éviter de leur donner des leçons : ils font comme ils peuvent avec très peu de directives. Les Ehpad doivent faire partie d'un système de soin global, ne plus être en bout de chaîne. C'est pourquoi je lance, avec 50 personnes, un appel intitulé "les Etats Généraux de la séniorisation de la société".

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Il faut fluidifier le système de soin 

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De quoi s'agit-il?
Notre collectif, fondé avec le chirurgien Philippe Denormandie et la psychologue Véronique Suissa, a pour objectif d'intégrer dans la future loi sur la dépendance les enseignements tirés de cette crise sanitaire. Avec des responsables associatifs comme le président de France Alzheimer, des députés comme Jeannine Dubié, Agnès Firmin Le Bodo ou Cédric Villani, des anciens ministres comme Xavier Bertrand, Michèle Delaunay ou Myriam El-Khomri et des professionnels du secteur, nous allons faire des propositions concrètes et transpartisanes sur la question du grand âge. Dès lundi, n'importe qui pourra soumettre ses idées et voter pour celles qui lui semblent bonnes sur un site . Nous voulons ensuite organiser des rencontres à Paris et en région pour interpeller les politiques.

Comment doit évoluer le plan grand âge selon vous?
Aujourd'hui, six millions de personnes ont plus de 75 ans en France. D'ici 2040, cette population aura doublé. La dépendance est donc un sujet absolument central, qui concerne l'ensemble de la société. Mais il ne s'agit pas seulement d'argent. Nous assistions à une concurrence entre le système hospitalier, les Ehpad et la médecine de ville qui ne rime plus à grand chose. On ne sait plus qui décide, tout le monde se contredit, bref : les gens n'y comprennent plus rien. Il faut donc fluidifier le système de soin, qui est confronté à trop de tutelles et problèmes réglementaires. Le renforcement des services à domicile, la mutualisation des activités dans les Ehpad et le système de prévention sont aussi à repenser.

Et les métiers du grand âge dans tout ça?
Ils sont au coeur de nos préoccupations, car ils représentent des centaines de milliers d'emplois potentiels. Mais nous devons réfléchir à l'amélioration des salaires, à la progression professionnelle et à leur visibilité. Les valoriser est essentiel car ils permettent à des gens de vivre dans les meilleures conditions possibles. 

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Le coronavirus a permis à chacun de prendre plus conscience de sa fragilité et de celle des autres.

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Comment les liens intergénérationnels ont-ils évolué depuis le début de la crise sanitaire?
Ces liens ont toujours bien marché en France, les jeunes n'ont pas de mépris pour les personnes âgées. Depuis le début du confinement, on voit grandir les aides informelles de voisinage, les étudiants glissent des petits mots sous la porte de leur voisine de palier. Le coronavirus a permis à chacun de prendre plus conscience de sa fragilité et de celle des autres. Dans une partie de la société française, le rôle que l'on peut avoir par rapport aux autres va changer, et, avec lui, les attitudes et représentations. 

Les nouvelles technologies, devenues essentielles en ces temps de pandémie, sont-elles émancipatrices ou pénalisantes pour les seniors?
Depuis le début du confinement, combien de jeunes ont expliqué à leur grands-parents comment installer WhatsApp? C'est très positif, car ça facilite le lien avec l'extérieur et compense un manque de lien social, du moins pendant un temps. Pour autant, les nouvelles technologies restent trop chères, trop compliquées, voire inaccessibles pour de nombreuses personnes âgées.

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