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Dix énigmes scientifiques à résoudre au sujet du Covid-19

Le public peine à accepter les changements et contradictions dans les discours et recommandations portant sur le Covid-19. La raison en est pourtant simple: les questions les plus fondamentales sur le coronavirus et la maladie sont en grande partie irrésolues

Le coronavirus, colorisé en bleu, vu au microscope électronique. — © Keystone
Le coronavirus, colorisé en bleu, vu au microscope électronique. — © Keystone

Avec 51 000 articles scientifiques à son sujet recensés dans la base de données CORD-19, le Covid-19 fait l’objet d’un foisonnement de recherches. Un corpus d’autant plus impressionnant qu’il y a quatre ou cinq mois, le SARS-CoV-2, nom du virus responsable de l’épidémie, était absolument inconnu au bataillon. Des millions de scientifiques ont foncé vers ce terrain inexploré, séquençant le génome du virus, étudiant ses mécanismes d’action, fabriquant des vaccins, analysant cette nouvelle maladie. Pourtant, malgré cette ruée, la plupart des grandes questions demeurent aujourd’hui en grande partie irrésolues, ce qui explique notamment les apparentes contradictions sur certaines recommandations. Comme on le voit ici, les principales énigmes du Covid-19 sont aussi les questions les plus fondamentales que pose cette maladie.

1. On ne sait pas comment a commencé l’épidémie

Nul besoin de chercher bien loin pour trouver la première énigme du coronavirus: il suffit de commencer par le commencement. Les scientifiques ne savent pas exactement d’où vient le SARS-CoV-2. Des analyses de son génome suggèrent qu’il aurait émergé à partir de coronavirus de chauves-souris chinoises via des recombinaisons génétiques, comme cela a déjà été observé pour d’autres coronavirus. Ce qui est encore moins certain, c’est la manière dont le coronavirus a franchi la barrière interespèces, c’est-à-dire comment il est arrivé chez l’humain. A-t-il «sauté» de la chauve-souris à l’homme? Ou bien y a-t-il eu un ou plusieurs hôtes intermédiaires? Un temps favorisée, l’hypothèse du pangolin, suspecté d’avoir joué un tel rôle, tend à être abandonnée. Il reste que la connaissance de l’origine du virus est cruciale pour éviter sa réapparition, par exemple en surveillant mieux les animaux hôtes.

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2. On ne sait pas comment se transmet le coronavirus

C’est la question à 2000 milliards de dollars, soit le montant du plan de relance américain. Comment le coronavirus se transmet-il aussi facilement, avec plus de 1,7 million de cas cliniquement confirmés? Il est certain que les gouttelettes crachées lors de la toux, des éternuements ou des postillons sont vectrices du virus. Mais des zones d’ombre demeurent sur la transmission éventuelle par les fomites – le nom des surfaces contaminées –, les excréments et surtout les aérosols, ces nuages de gouttelettes parfaitement invisibles. De récentes études suggèrent que celles-ci pourraient bien être infectieuses, autrement dit que le virus se transmet par l’air, ce qui a conduit les Etats-Unis à recommander le port du masque en public. Si toutes ces voies d’entrée existent, elles ne sont toutefois pas égales, c’est pourquoi plus de recherches sont nécessaires afin de mieux comprendre la transmission virale et d’adapter les recommandations.

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3. On ne connaît pas encore précisément la mortalité

La sévérité exacte du Covid-19 reste à préciser, notamment parce que plusieurs calculs de la mortalité cohabitent. Une étude du 30 mars parue dans The Lancet estime la mortalité en Chine à 0,66%. Un chiffre sans doute bien moindre si l’on considère aussi les cas non confirmés (parce qu’asymptomatiques ou non déclarés). Finalement, l’excès de mortalité, soit le surplus du nombre de morts survenus au premier trimestre 2020 par rapport aux années précédentes, est également utilisé pour jauger la sévérité d’une maladie, en prenant en compte l’impact de l’épidémie de manière systémique. Les premiers chiffres commencent à tomber: ainsi l’Italie du Nord compte chaque jour presque le double de décès par rapport à la moyenne. La mortalité exacte du Covid-19 ne sera connue qu’une fois l’épidémie terminée.

4. On ne sait pas pourquoi certains cas sont si graves quand d’autres sont anodins

La variabilité des cas observés a de quoi déstabiliser plus d’un médecin. Depuis le début de l’épidémie, on sait que l’âge avancé et l’existence de pathologies chroniques peuvent être des éléments aggravants. Mais comment expliquer la sévérité de certains cas, y compris chez les personnes jeunes et en apparente bonne santé? Cela reste un mystère et les scientifiques en sont au stade des hypothèses. Parmi celles-ci, l'«orage de cytokines», un phénomène d’hyper-inflammation du système immunitaire engendrée par le virus chez certains patients. Cette libération massive de molécules impliquées dans le contrôle de l’immunité pourrait entraîner des effets délétères comme une baisse massive de la pression artérielle, des œdèmes pulmonaires, ou des détresses respiratoires aiguës, pouvant conduire jusqu’au décès.

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5. On ne sait pas quel médicament donner

«A ce jour, il n’existe aucun traitement contre les infections dues aux coronavirus. Les possibilités thérapeutiques se limitent à traiter les symptômes.» Sur son site, l’Office fédéral de la santé publique ne peut pas se montrer plus clair. Dans l’attente de molécules efficaces, les médecins ont à leur disposition quelques médicaments qu’ils administrent au cas par cas, en fonction du profil des malades et des stocks à disposition: des antiviraux comme le kaletra (association de ritonavir-lopinavir) et le remdesivir; un antimalarique comme l’hydroxychloroquine, ainsi que des antibiotiques parfois utilisés pour combattre les infections associées. Leurs effets sont loin d’être les mêmes pour tous les patients. C’est pourquoi l’OMS vient de lancer un vaste essai clinique nommé «Solidarity», afin d’évaluer l’efficacité de ces médicaments dits «compassionnels». En Suisse, c’est le Centre hospitalier universitaire vaudois qui le coordonne.

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6. On ne sait pas combien de temps dure l’immunité

C’est l’une des grandes inconnues liées à l’épidémie de Covid-19. Une fois remis de la maladie, sommes-nous bien immunisés, et, si oui, pour combien de temps? Face à des données encore lacunaires, les scientifiques s’appuient principalement sur des études ayant été conduites durant les premières épidémies de SRAS et de MERS, mais aussi sur des travaux plus récents. Une étude chinoise conduite sur des macaques infectés par le SARS-CoV-2 a ainsi démontré que les singes produisaient des anticorps neutralisants leur permettant de résister à une nouvelle infection, des résultats venant accréditer la thèse d’une immunité acquise. Reste à savoir pour combien de temps. Et là encore, impossible d’avoir d’estimations à ce stade, faute de recul. Il est par ailleurs difficile de tirer des liens avec les précédentes épidémies, la réponse immunitaire pouvant non seulement être très variable d’un virus à l’autre de la famille des coronavirus, mais aussi entre les individus.

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7. On ne sait pas le rôle joué par les enfants. Une certitude: les enfants sont, dans leur immense majorité, nettement moins gravement touchés par le Covid-19 que leurs aînés. En Suisse, près de 800 cas confirmés de Covid-19 sur environ 26 000 concernaient ainsi des individus entre 0 et 19 ans. Par contre, les scientifiques émettent encore de sérieux doutes quant au rôle exact qu’ils pourraient jouer dans la propagation de la maladie, un point sur lequel ces derniers n’ont donc toujours pas trouvé de consensus, mais ayant néanmoins légitimé la fermeture des écoles dans de nombreux pays. Cette question cruciale est d’autant plus sensible que la contagiosité des personnes asymptomatiques a désormais été soulevée par de nombreuses études. En tant que porteurs sains, les enfants pourraient-ils être des super-propagateurs de la pathologie? Les données actuelles ne permettent de tirer aucune conclusion définitive.

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8. On ne sait pas grand-chose sur la mutation du SARS-CoV-2

Processus naturels et aléatoires, les mutations génétiques constituent une donnée importante pour l’élaboration d’un vaccin: les virus échappent d’autant plus facilement aux vaccins que leur génome est fréquemment modifié au fil des mutations. Les modalités précises de mutation du SARS-CoV-2 sont un terrain qui demande à être exploré, ce que font des plateformes de surveillance en ligne telles que NextStrain. Mais une chose est sûre: son génome mute relativement lentement. Son taux de mutation estimé à moins de 25 mutations par an serait moitié moindre que celui du virus de l’influenza responsable de la grippe. De quoi envisager un vaccin unique.

9. On ne sait pas si les animaux domestiques sont contagieux

La situation pour nos compagnons est confuse. Chats, chiens et même un tigre: plusieurs animaux ont été testés positifs au SARS-CoV-2, sans qu’aucune transmission d’un animal de compagnie vers un humain n’ait toutefois été constatée. Une étude a mis en évidence une reproduction virale chez certains d’entre eux (chats, furets), tandis qu’une autre, menée sur des animaux de compagnie dont les maîtres étaient malades, n’a pu observer un quelconque développement d’anticorps contre le coronavirus. Les animaux pourraient transmettre le virus via leur pelage, au même titre qu’une poignée de porte contaminée. Tant que le mécanisme de pénétration du coronavirus dans les cellules reste à éclaircir, une contagion reste de l’ordre du possible même si la rareté des cas d’animaux infectés rapportés permet d’estimer qu’une transmission vers l’humain reste improbable.

10. On ne sait pas quand et comment ça va se finir

Plusieurs variables détermineront le déroulement futur de l’épidémie de Covid-19. D’abord, la possibilité d’un vaccin pour espérer circonscrire, voire éradiquer le virus. Près de 70 candidats sont à l’étude, selon un rapport de l’OMS. Parmi eux, trois seulement sont en phase d’évaluation clinique et testés sur des humains, et aucun ne sera disponible avant au moins une année. Dans l’attente, la recherche se penche aussi sur la piste des traitements qui pourraient sauver des vies. Des antiviraux tels que l’Avigan ou des antipaludiques comme l’hydroxychloroquine sont en cours d’essais cliniques. Et si rien n’aboutit? Le coronavirus poursuivra son chemin puis pourrait disparaître, faute de personnes à infecter. Avant de resurgir de manière régulière, ou plus erratiquement, à l’image de la grippe A de type H1N1. En posant une dernière question: combien de morts d’ici là?