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ENQUÊTE RADIO FRANCE - Les conseils municipaux décimés par le Covid-19

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Plusieurs maires sont décédés, après avoir été contaminés pendant la campagne et lors du premier tour des élections municipales. Pour permettre aux mairies de continuer de fonctionner, le gouvernement a dû prendre une ordonnance modifiant les règles du code général des collectivités locales.

Premier tour des élections municipales à Crépy-en-Valois (Oise) le 15 mars 2020 Premier tour des élections municipales à Crépy-en-Valois (Oise) le 15 mars 2020
Premier tour des élections municipales à Crépy-en-Valois (Oise) le 15 mars 2020 © Maxppp - Elie JULIEN/PHOTOPQR/LE PARISIEN

Les habitants de Saint-Brice-Courcelles (Marne) n’en reviennent toujours pas. Quinze jours après avoir été réélu triomphalement au premier tour des municipales, leur maire sortant, une figure locale, Alain Lescouët, 74 ans, décède du coronavirus. Pour son adjoint, Alain Lalouette, il ne fait aucun doute que l’élu a contracté le virus le jour du scrutin, le dimanche 15 mars, alors qu’il tenait un bureau de vote avec lui. "Même si on avait mis en place les prescriptions du gouvernement pour les isoloirs et les distances, on était équipés de façon très sommaire" raconte-t-il à la cellule investigation de Radio France. "On a fait les élections à visage découvert. Pour les gens qui tenaient les bureaux, c’était comme en 14-18 sur le chemin des Dames, on était en première ligne !"

Résultat, l’adjoint ressent les premiers symptômes du Covid-19 dans les jours qui suivent le scrutin. Mais il n’est pas le seul. "Une dizaine de personnes du conseil municipal sur dix-neuf ont aussi été infectées. Toutes avaient participé au scrutin", dit-il.

Six élus contaminés pendant le dépouillement dans l’Oise, à Tracy-Le-Mont, c’est l’adjoint du maire, Jean-Jacques Zalay, 67 ans, qui a été emporté le 31 mars. Lui aurait été contaminé au moment de la campagne municipale. "La semaine avant le premier tour, on avait distribué des tracts expliquant notre programme à la population. Il était assez fatigué, mais je n’ai jamais pensé au coronavirus", se souvient la maire Sylvie Valente-le-Hir. L’élue soutient que les recommandations du gouvernement ont bien été suivies le jour du vote : "On avait du gel et des gants, les documents d’identité n’étaient pas touchés." En revanche, reconnait-elle, pendant le dépouillement, "les distances de sécurité n’ont pas été respectées, nous étions moins nombreux, mais plus proches."

C’est justement à ce moment-là que l’élue remarque que son adjoint, Jean-Jacques Zalay, est en sueur, ainsi qu’un autre conseiller qui avait tenu un bureau de vote avec lui. "J’ai alors pensé au coronavirus", dit-elle, bouleversée. Quelques jours plus tard, ajoute-t-elle, "d’autres membres du conseil municipal qui ont participé au dépouillement avec mon adjoint ont été malades, ainsi que des personnes venues nous aider. Tous sont tombés malades, soit environ six personnes, dont une conseillère municipale qui a failli être hospitalisée."

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Un scenario qui se reproduit dans toutes les régions

Ces élus ne sont pas des cas isolés. Selon France Bleu Bourgogne, le maire de Beurey-Bauguay (Côte-d’Or) est mort dix jours après le premier tour. Dans le Haut-Rhin, Louis Jean-Marie Zoellé, 75 ans, réélu maire de Saint-Louis a succombé peu après le vote. Impossible de connaître le nombre réel de ces victimes élus. L’association des maires de France affirme ne pas avoir eu de remontées précises. Même réponse au ministère de l’Intérieur. Mais on retrouve des situations identiques dans de nombreuses autres communes. Ainsi, dans le territoire de Belfort, Corinne Coudereau, maire sortante de Valdoie et candidate à sa réélection a été testée positive le 9 mars. Elle aurait été contaminée par un habitant venu la voir à sa permanence de campagne, après avoir participé au rassemblement religieux de Mulhouse, l'un des foyers de l'épidémie. Dans le Nord, à Coudekerque-Branche, plusieurs assesseurs qui tenaient des bureaux de vote sont tombés malades, et dix-sept élus ont été infectés. Dans le Pas-de-Calais, à Anzin-Saint-Aubin, David Hecq, le maire qui a été battu, a été diagnostiqué ainsi qu’une de ses adjointes. Tous deux avaient tenu un bureau de vote le jour du scrutin. Même chose à Billom en Auvergne, où une assesseure a été contaminée et hospitalisée, selon France Bleu Pays d'Auvergne. A Caluire-et-Cuire, dans la métropole de Lyon, Claudio Parisi devait, quant à lui, présider un bureau de vote le dimanche 15 mars, mais il s’est désisté. "Quand j’ai vu qu’il y avait six bureaux (au lieu de trois habituellement) avec au moins trois personnes par bureau, soit dix-huit personnes dans une petite salle d’une trentaine de mètres carrés, j’ai refusé de rester, vu le risque sanitaire. Je suis repassé quelques heures plus tard. C’était plein, et les mesures de distance n’étaient pas respectées."

Les élus qui s’embrassent et qui trinquent

Parmi les communes les plus emblématiques de ces contaminations, on peut encore citer Compiègne, dans l’Oise. Dans la semaine qui suit le premier tour trois élus et trois employés de la mairie sont diagnostiqués positifs. Si tous sont aujourd’hui guéris, ils ont un point commun : ils étaient présents à la soirée organisée au soir du premier tour. Selon Frederika Guillaume, journaliste de Oise Hebdo, "au fur et à mesure que la liesse augmentait avec les résultats qui arrivaient, tout le monde se congratulait ", alors que dans le même temps temps, devant les caméras, le maire appelait avec gravité, la population à se protéger du virus. Dans une vidéo publiée sur le compte Facebook de la ville, et reprise par Oise Hebdo, on peut voir derrière le maire les élus s’embrasser et trinquer. "Les gestes barrières ont disparu. Plus personne ne pensait au coronavirus", se souvient Frederika Guillaume. "Ce qu’on ne sait pas", ajoute-t-elle, "c’est que le chef de la police municipale, qui participe à la soirée sera testé positif le lendemain. Que le directeur de cabinet, lui aussi présent dans la salle, va être dépisté positif la semaine suivante, de même que la directrice de communication de la ville, ainsi que l’adjoint à la culture, et le député Pierre Vatin".

Des contaminations aussi pendant la campagne

D’autres contaminations d’élus ont eu lieu durant la campagne. On le voit notamment à Crépy-en-Valois, toujours dans l’Oise (le département où un est décédé le premier français qui ne s’était pas rendu dans un pays à risques). Bien avant le premier tour, le 1er mars, le maire sortant, Bruno Fortier, est dépisté positif. La campagne est alors suspendue, la commune confinée, les écoles, les cinémas, les lieux publics fermés, bien avant le reste de la France.

Selon l’Agence régionale de santé, il aurait pu être contaminé à la mi-février, lors d’un conseil des élus de la communauté de communes. Il sera donc confiné jusqu’au premier tour de l’élection inclus. Mais avant d’être testé, Bruno Portier a croisé – et donc contaminé potentiellement - près d’une centaine de personnes : "J’ai vu régulièrement le personnel, les élus", explique-t-il aujourd’hui. "Tout le monde a été confiné, le directeur général des services de la mairie, le personnel administratif au rez-de-chaussée de la mairie (une trentaine de personnes) et également tous mes adjoints (huit) par mesure de précaution". Seront confinés aussi, à titre préventif, le directeur général de l’Agence régionale de santé et le préfet de l’Oise, qui avaient participé à une réunion de crise avec Bruno Fortier fin février.

A cela s’ajoute le cas d’un assesseur qui a tenu un bureau de vote lors du premier tour des élections à Crépy-en-Valois. Il a expliqué à la cellule investigation de Radio France qu’une semaine après le vote, il a ressenti des problèmes digestifs et a eu des nausées. "Mon médecin m’a dit qu’il avait pas mal de cas comme le mien et il s’est demandé si je n’avais pas été contaminé pendant le premier tour. Le protocole a été bien été respecté, mais les distances ne peuvent pas l’être quand un électeur met son bulletin dans l’urne. Il est à moins d’un mètre de nous."

Une ordonnance pour assurer la continuité des services

Même s’il est impossible de chiffrer le nombre de maires victimes du scrutin, le nombre d’élus concernés a été tel que le gouvernement a dû publier une ordonnance le 8 avril, pour pouvoir assurer la continuité des services. "Quand le siège du maire devient vacant, il existe déjà un dispositif", précise Maître Juliette Viehl, avocate en droit des collectivités locales. "C’est le premier adjoint qui prend le relais. Mais normalement, l’intérim est de quinze jours avant qu’un nouveau maire soit réélu. Avec cette ordonnance, ce délai est prolongé jusqu’à la fin de l’état sanitaire".

Ce nouveau texte a permis de débloquer les situations dans les mairies les plus touchées. C’est le cas à Saint-Brice-Courcelles : "On ne pouvait plus rien faire car on n’avait plus les signatures. On ne pouvait plus rien payer", explique Alain Lalouette, l’ex premier-adjoint qui assure l’intérim depuis la mort du maire-sortant. "Grâce à cette ordonnance, poursuit-il, on a tout remis en marche. On peut tout du moins, gérer le tout-venant. Car les décisions importantes, ce sera le futur maire qui les prendra quand il sera élu." Alain Lalouette, gère en attendant qu’une solution pérenne soit trouvée. Il s’était retiré pour prendre sa retraite et jamais il n’avait jamais imaginé remplacer feu "Monsieur le maire".

Le rôle des scientifiques

Pourquoi donc, dans ces conditions, le gouvernement a-t-il maintenu le premier tour, alors même qu’il fermait les bars, restaurants, les théâtres et les cinémas ? Pour le comprendre il faut revenir sur ce qui s’est joué en coulisses, à l’Elysée le 12 mars dernier. Ce jour-là, les dix membres du conseil scientifique Covid-19, arrivent à 10 heures 30. Ils s’assoient du même côté de la grande table du Conseil des ministres, face au président de la République et à ses collaborateurs. Ils expliquent à Emmanuel Macron pourquoi le nouveau coronavirus risque d’engorger les services de santé. La France ne réalise pas encore ce qui est en train de se passer, disent-ils au président. A cet instant, ce dernier est ébranlé. Il n’exclut pas un report du vote. A 13 heures, les experts ne quittent pas le palais. On leur apporte des plateaux repas, après quoi ils se retrouvent à huis clos pour répondre à la question suivante : y-a-t-il des arguments scientifiques plaidant en faveur de la suppression du premier tour des élections municipales ?

Pendant qu’Emmanuel Macron consulte les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que d’autres personnalités politiques qui plaident majoritairement pour un maintien du scrutin, les scientifiques débattent. La discussion est franche, "cash", nous a-t-on confié. Certains interviennent spontanément. D’autres réclament la parole. Le président Jean François Delfraissy veille à ce que chacun puisse préciser sa pensée. Il recherche un consensus qui, peu à peu, va se dégager autour de deux arguments.

D’un côté, les experts membres du corps médical considèrent qu’à partir du moment où l’on permet à la population de sortir en respectant des mesures barrières, il n’existe aucun argument scientifique permettant de considérer que le premier tour aggraverait la situation, à condition que soient imposées : une distanciation sociale, l’absence de contacts, une file dédiée aux personnes à risque, et la présence de gel hydro alcoolique.

Le risque d’un séisme politique et médiatique

Mais un autre argument, beaucoup moins scientifique, va aussi être avancé. Il est essentiellement développé par les experts en sciences sociales du groupe (anthropologue et sociologue notamment). Ces derniers font valoir qu’une annulation du premier tour des élections, risquerait d’entrainer un séisme politique et médiatique qui détournerait l’attention des Français de la menace qui pèse sur eux. Si la presse titrait sur la confiscation du scrutin par le chef de l’Etat, la polémique enflerait, expliquent-ils, l’opposition s’en emparerait, et les messages de mobilisation de l’opinion autour du Covid-19 deviendraient inaudibles.

A 16h30, Edouard Philippe rejoint le groupe. Il est accompagné du ministre de la Santé, Olivier Véran, et d’Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée. Le comité lui fait alors part de son avis. A 18h30, les informations remontent à Emmanuel Macron. Dans son allocution en direct à 20 heures, le chef de l’Etat dira : "J’ai interrogé les scientifiques sur les élections municipales. Ils considèrent que rien ne s’oppose à ce que les Français, même les plus vulnérables se rendent aux urnes".

Ce soir-là, il ajoute : "Je fais confiance aux maires et au civisme de chacun d’entre vous. Je sais aussi que les mairies et les services de l’Etat ont bien organisé les choses." Le 16 mars, il remerciera "les services de l’Etat, les mairies, l’ensemble des services des mairies, tous ceux qui ont tenu les bureaux de vote et qui ont permis l’organisation de ce scrutin." Des élus et des électeurs ont pourtant bien été contaminés ce jour-là. Mais au sein du conseil scientifique, on assume : "On est parti du principe que les élus étaient des gens responsables" justifie aujourd’hui un de ses membres. "Les hommes politiques s’engagent à piloter une commune. Ils occupent des fonctions importantes. Ils sont censés mettre en place et faire respecter les mesures nécessaires. S’ils ne l’ont pas fait c’est inquiétant."

Une enquête de Laetitia Cherel et Jacques Monin de la Cellule investigation de Radio France.

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