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Soupçonnés d’avoir transmis le coronavirus, les pangolins sont victimes d’un braconnage intense

Devenu mondialement célèbre pour son rôle probable dans la transmission du coronavirus responsable de la pandémie de Covid-19, le pangolin connaît depuis des décennies un braconnage intense le menaçant d’extinction.

Petit mammifère à écailles, le pangolin a été suspecté début 2020 d’être un des transmetteurs du virus Sras-CoV-2 à l’origine de l’actuelle pandémie. Le pangolin, qui compte quatre espèces vivant dans les zones forestières d’Asie du Sud-Est et quatre autres en Afrique, est aussi le mammifère le plus braconné au monde. Selon l’ONG Traffic, un million d’individus auraient été chassés au cours des dix dernières années. Les Chinois, suivis des Vietnamiens, en sont les principaux acheteurs : ils consomment la viande de l’animal, mais utilisent aussi ses écailles, riches en kératine, en raison de leur prétendue vertu thérapeutique. Ce négoce a pris un tel essor que la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites) a classé, en 2016, le pangolin parmi les espèces les plus menacées, et a interdit sa commercialisation. Mais cette convention, signée par 182 pays, dont la Chine, a été jusqu’ici faiblement appliquée.

Si bien que, au lieu de décliner, le marché du pangolin s’est beaucoup développé. Avec un changement important : alors qu’il était auparavant alimenté par des animaux capturés en Indonésie, en Malaisie et au Vietnam, il s’approvisionne désormais beaucoup en Afrique. La raison de cette évolution : le petit mammifère est devenu de plus en plus rare en Asie, victime du braconnage mais aussi de la déforestation, qui lui a fait perdre son habitat. Des chercheurs ont estimé en 2017 qu’entre 400.000 et 2,7 millions de pangolins sont désormais chassés chaque année dans les forêts d’Afrique centrale pour ravitailler le marché asiatique.

« Une situation désastreuse pour l’espèce, qui n’a pratiquement aucun moyen de défense contre les humains » 

Au Cameroun, où la viande de pangolin fait depuis longtemps partie des habitudes alimentaires d’une partie de la population, l’ONG The Last Great Ape (Laga), qui travaille sur la criminalité faunique en collaboration avec les autorités, est témoin de la montée en puissance de cette forme de contrebande, motivée avant tout par la demande en écailles en Asie du Sud-Est. « Il y a une dizaine d’années, le trafic d’écailles n’existait pas dans le pays », écrit son directeur adjoint, Éric Kaba Tah, à Reporterre : celles-ci n’avaient aucune valeur aux yeux des Camerounais. « Puis, nous avons commencé à découvrir l’existence d’un commerce illégal d’écailles. Les premières opérations contre des trafiquants ont eu lieu il y a environ sept ans et cela s’est intensifié avec l’arrestation de dizaines d’autres », raconte-t-il. Désormais, toute une chaîne d’acteurs, dont des habitants des zones d’origine des pangolins, s’est organisée autour de cette activité illégale. « Étant donné que ce sont de tout petits animaux, cela signifie que les trafiquants doivent en capturer le plus possible pour gagner beaucoup d’argent. Cela crée une situation désastreuse pour l’espèce, qui n’a pratiquement aucun moyen de défense contre les humains : les pangolins sont capturés après s’être mis en boule », détaille Éric Kaba Tah.

Le pangolin peut se mettre en boule, ce qui ne le protège pas des humains.

Ce trafic à destination de la Chine est difficile à combattre. « Une grande partie du commerce des écailles est le fait de syndicats du crime organisé. Lors de certaines de nos opérations, nous avons identifié des liens avec le commerce de la drogue, des armes, la traite des êtres humains et les crimes financiers », explique à Reporterre Ofir Drori, directeur du réseau africain Eagle (Eco Activists for Governance and Law Enforcement), dont Laga est membre. Presque tous les pays africains sont concernés, indique-t-il, précisant que « le Nigeria est un des principaux points chauds non traités », c’est-à-dire où l’interdiction décrétée par la Cites n’est pas appliquée. C’est ainsi de ce grand pays d’Afrique de l’Ouest qu’une majorité des pangolins braconnés sur le continent part vers l’Asie. Selon le directeur d’Eagle, le commerce d’écailles est plus lucratif que celui de l’ivoire. Il arrive que des membres de l’administration participent à ce trafic illicite : en 2019, un collaborateur du ministère des Ressources animales et halieutiques ivoirien a été arrêté alors qu’il transportait près de 150 tonnes d’écailles.

La pandémie du Covid-19 et le fait que les pangolins soient porteurs de coronavirus ne semblent pas avoir freiné le trafic. Au Cameroun, « nous voyons encore des réseaux qui mènent leurs activités dans la clandestinité et tentent de vendre des écailles. Des restaurants continuent de vendre de la viande », rapporte Éric Kaba Tah. « Pas plus tard que la semaine dernière, six tonnes d’écailles en provenance du Nigeria ont été saisies en Malaisie. Aujourd’hui même, nous sommes sur le point d’arrêter un trafiquant au Cameroun », complète Ofir Drori.

« Envoyer un message fort selon lequel ce commerce ne sera pas toléré maintenant et jamais » 

Éric Kaba Tah insiste : « Nous devons mettre fin à la vente de pangolins sur nos marchés et dans nos rues et envoyer un message fort selon lequel ce commerce ne sera pas toléré maintenant et jamais. Tout cela dépend de l’engagement du gouvernement et de sa capacité à mener des opérations sur les marchés ouverts, de la capacité des ONG et des organisations de la société civile à aider le gouvernement camerounais, et du courage des autorités locales pour faire ce qu’il faut. »

Fin février, secouée par la pandémie du Covid-19, la Chine a décidé d’interdire complètement le commerce et la consommation d’animaux sauvages. Mais l’interdiction totale à l’échelle mondiale — pour des raisons sanitaires — du commerce d’animaux sauvages, réclamée par des scientifiques et des ONG de conservation, est loin de faire l’unanimité. Ceux qui s’y opposent soulignent que cette activité procure des moyens de subsistance à une partie de la population mondiale et qu’une interdiction pourrait notamment augmenter le risque de la voir davantage contrôlée par le crime organisé. Une équipe de chercheurs de l’université d’Oxford propose, dans une tribune publiée le 8 avril, d’améliorer « la réglementation des marchés des espèces sauvages, en particulier ceux impliquant des animaux vivants. Cela pourrait se faire en se concentrant sur les espèces les plus menacées et en améliorant les conditions le long des chaînes d’approvisionnement et sur les marchés, notamment en matière de santé, de sécurité et d’hygiène, et en procédant à des contrôles sanitaires réguliers des animaux ».

« Les causes du déclin des populations d’animaux sauvages ont facilité la transmission de virus animaux à l’Homme » 

Pour limiter les risques de zoonose, maladie qui se transmet de l’animal à l’homme et vice-versa, il faudrait aussi modifier d’autres comportements humains. Une étude récemment publiée par The Royal Society a confirmé que les activités anthropiques ont fait perdre aux animaux sauvages leur habitat, les obligeant à se rapprocher des humains, ce qui augmente les possibilités d’interactions entre espèces et de transmission de maladies. « Notre étude met en évidence les processus convergents par lesquels les causes du déclin des populations d’animaux sauvages ont facilité la transmission de virus animaux à l’Homme », affirment les auteurs de ces recherches.

Un pangolin capturé par des trafiquants relâché dans la nature, au Cambodge, en 2007.

Cette réalité sera de plus en plus difficile à ignorer. Elle est d’ailleurs déjà prise en considération au sein de la Banque mondiale. L’un des cadres de l’institution financière internationale a écrit en mars, que « la déforestation et le changement d’affectation des terres, la fragmentation des habitats, l’empiétement des activités humaines, la croissance démographique et l’urbanisation rapides sont autant de facteurs écologiques, comportementaux et socioéconomiques qui amplifient l’exposition humaine et multiplient les risques de contagion ». Il poursuivait : « Les activités anthropiques annulent l’effet tampon qu’exercent la biodiversité et les écosystèmes, ce qui augmente le risque de voir apparaître une nouvelle pandémie. Inverser ces tendances est, plus que jamais, un enjeu de santé publique mondial. » Des propos qui ne manquent pas de piquant quand on sait que la Banque mondiale a encouragé, pendant des années, l’exploitation industrielle des forêts tropicales, malgré les alertes formulées par des organisations de défense de l’environnement et des biologistes.

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