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Entre la Chine et le reste de l'Asie, la guerre des tweets est déclarée

Face à l'activisme de militants prorégime chinois, de nombreux internautes thailandais, hongkongais ou taiwanais font alliance pour mieux affirmer leur volonté d'indépendance ou de libertés civiles.
par Carol Isoux
publié le 17 avril 2020 à 12h17

Tout a commencé il y a quelques jours par le tweet banal d'une starlette thaïlandaise, qui suggérait que le Covid-19 avait été fabriqué dans un laboratoire à Wuhan et demandait des comptes à la Chine sur sa gestion de la crise. Son petit ami, un acteur qui apparaît dans des coproductions asiatiques, s'est alors retrouvé la cible d'attaques des internautes chinois. Malgré les plates excuses de celui-ci, en fouillant dans leur passé numérique, les Petits Roses – le surnom donné aux jeunes nationalistes chinois actifs sur la Toile – ont fini par déterrer de vieux posts qui semblaient remettre en question l'unité indivisible de la Grande Chine : «Mon style vestimentaire n'est pas chinois, avait osé écrire la jeune Weeraya, alias #Nnevy, il est plutôt taïwanais.» Il n'en fallait pas plus pour exposer le jeune couple à un déferlement de violence virtuelle.

Une bataille rangée s’ensuit : les internautes thaïlandais se mettent alors à poster des images des pires agissements des touristes chinois dans leurs pays (enfants qui urinent dans des temples, adultes qui se battent pour accéder à un buffet…), les Chinois s’échauffent et tentent de leur opposer leur supériorité économique et culturelle. C’était sans compter le soutien massif des internautes hongkongais et taïwanais, trop heureux de pouvoir s’engager dans la brèche. Tout y passe, des dossiers les plus graves aux plus légers ; on glisse des mensonges d’Etat sur le coronavirus à la dictature du Parti communiste chinois et au mépris des droits humains… Les hashtags HongkongisnotChina et Taiwanisnotchina sont partagés des millions de fois. Quand soudain, un vieux contentieux fait irruption : qui donc de Taiwan ou du Continent a inventé le «Bubble Tea», ou «thé aux perles», une boisson lactée aux boulettes gélatineuses de tapioca, très populaire dans toute l’Asie ? Les nouveaux alliés décident de s’auto-surnommer «#Allianceduthéaulait», formule qui circule largement sur les réseaux.

Alliance panasiatique

Malgré une apparente légèreté et des mèmes à l'humour potache, ou peut-être justement grâce à eux, la liberté de ton et la force politique des messages sont étonnantes. Une reproduction de la fameuse scène de l'homme seul face aux chars place Tian An Men, réalisée avec des frites, suscite l'approbation générale. Enragés et à court d'arguments, les Petits Roses ont largement recours à l'insulte chinoise de prédilection sur les réseaux : NMSL, pour «ni ma si le» : «ta mère est morte». D'autres se contentent de marteler que dans le discours officiel, la Chine est la mère patrie de Hongkong et de Taiwan.

«C'est la première fois qu'il y a aussi clairement une alliance transasiatique de ce type», analyse Vorasakdi Mahatdhanobol, maître de conférences à l'université Thammasat à Bangkok. Depuis des mois, le soutien au mouvement prodémocratie de Hongkong est une façon pour une partie de la jeunesse thaïlandaise de montrer son opposition au gouvernement militaire pro-Pékin. Alors qu'il engage à «soutenir nos amis thais épris de liberté», Joshua Wong, figure de proue de la jeunesse hongkongaise, se demande si ce ne serait pas là l'occasion de «bâtir une nouvelle forme de solidarité panasiatique, opposée à tous les autoritarismes». Et les activistes de se mettre à rêver à un mouvement prodémocratie transfrontalier emmené par la jeunesse asiatique, à l'identité certes un peu floue, fondée sur quelques références geek communes, mais sensibilisée aux mêmes causes et capable d'agir ensemble. Hier, le hashtag «alliance du thé au lait» était relayé des milliers de fois pour attirer l'attention sur un rapport dénonçant le scandale de la rétention d'eau par les ingénieurs chinois en amont du Mékong.

Manque d'autodérision

L'épisode révèle aussi qu'à force de vouloir bâtir son indépendance technologique, Pékin a déjà perdu la guerre d'influence sur les grands réseaux comme Twitter ou Instagram. Parce qu'ils maîtrisent moins bien l'anglais, que leurs références culturelles sont différentes, les mèmes chinois rencontrent moins de succès que les autres, et finissent souvent par se voir enjoindre de «#Retournersurweibo» (le réseau social chinois équivalent à Twitter). A cela s'ajoute un manque quasi total d'autodérision, largement souligné par leurs adversaires, alors que les Thaïlandais ont pris un malin plaisir à amplifier les critiques formulées par les Chinois à l'encontre de leur gouvernement et même de leur royauté. Pour clore le débat, beaucoup se sont attachés à rappeler aux Chinois que ce même gouvernement qu'ils défendent avec tant d'ardeur leur interdit officiellement l'accès à Twitter. «Je suis très inquiète pour tous nos amis chinois qui utilisent un VPN, ironise une twitta taïwanaise. J'espère qu'ils ne seront pas arrêtés.»

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