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« On en est réduits à l’amour courtois ! » : les couples à l’épreuve de la distance

De nombreux couples vivent le confinement séparés. Un moment qui peut remettre du sens et de l’ordre dans sa relation amoureuse.

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Publié le 27 mars 2020 à 23h17, modifié le 28 mars 2020 à 05h27

Temps de Lecture 5 min.

A Nantes (Loire-Atlantique), le 26 mars.

Loin des yeux, loin du cœur. Le confinement ferait-il les yeux doux à l’adage amoureux ? Les couples qui vivent séparés pendant cette période à durée indéterminée, ou entretiennent une relation à distance en temps normal, le sont parfois par choix, souvent pour prémunir l’autre d’une éventuelle contamination, mais aussi par contraintes familiale, professionnelle ou encore matérielle. Plus rarement pour le plaisir d’expérimenter une « distanciation amoureuse ».

Le confinement a mis un terme aux « tu rentres à Lille ce week-end ? » et aux « tu viens partager ma couette ce soir ? ». Séparés par deux petits kilomètres ou par plusieurs milliers, souvent pour la première fois, les duos doivent composer avec l’éloignement physique, sans en connaître précisément l’issue, et l’inquiétude de ne pas être là l’un(e) pour l’autre en cas de coup dur.

Estelle, étudiante en droit de 18 ans, en couple « distant » depuis deux ans, relativise :

« Le confinement n’est pas une épreuve pour nous deux, juste une étape en attendant de se retrouver. Ce doit être la même chose pour les couples de notre âge ou ayant une relation à distance. »

Gabriel, la quarantaine, 1 000 kilomètres entre lui et sa compagne qu’il voit deux fois par mois, ne partage pas ce point de vue :

« J’envie les personnes qui sont confinées chez elles en couple. Elles se plaignent d’être l’une sur l’autre ? Elles ne connaissent pas leur chance ! »

La séparation n’a pas le même sens qu’avant l’essor des nouvelles technologies, observe la psychiatre Sylvie Angel. « On est très liés, même quand on est séparés, et dans l’immédiateté. Il y a une séparation de corps mais le couple peut être en communion et vivre son intimité malgré tout. Comme pour une visite en prison, le couple se voit et partage, même sans contact charnel. »

Le confinement a érigé bien des murs invisibles. « Mon épouse et moi avons été séparés pendant toute la durée d’existence du mur de Berlin. Notre véritable alliance a débuté à la chute de ce dernier », raconte Klaus, 85 ans. Avant que le confinement soit instauré, sa femme a rejoint leur fille en Bretagne, lui est resté en Alsace.

« Nous sommes donc à nouveau séparés, elle à l’Ouest et moi à l’Est, par un mur imaginaire qui nous protège non pas l’un de l’autre mais l’un et l’autre. Cette épreuve est atténuée par le fait que nous communiquons grâce à WhatsApp. »

« On s’invente un monde frais et léger »

Frustrés mais résignés, les couples tirent parti des outils numériques pour entretenir leur relation et prendre leur mal en patience, revisitant les rituels amoureux et la présence de l’autre. Frédérique, retraitée de 65 ans, explique :

« Nous nous retrouvons sur Skype pour boire le café ensemble le midi. Depuis trois jours, nous nous retrouvons aussi pour dîner ensemble. Nous nous préparons comme pour un tête-à-tête au restaurant et nous partageons ces moments en oubliant la distance. »

Sidonie et Jean-Paul s’endorment quant à eux ensemble, le téléphone comme seul contact physique, gommant ainsi les 1 200 kilomètres qui les séparent.

« Habituellement, la communication pour la plupart des couples, notamment parentaux, est plutôt dans le faire” : Tu prends le pain ?”, N’oublie pas de vérifier les devoirs d’Hugo”… Les petits mots doux digitaux se font plus rares. Mais dans la situation présente, les échanges vont se recentrer sur la relation amoureuse, et plus largement resserrer les liens familiaux et amicaux », prédit Sylvie Angel, spécialisée dans la thérapie familiale.

Jessica, qui vit là sa première séparation en deux ans de relation, envoie depuis Bruxelles « quatre à cinq messages par jour, mais beaucoup plus sentimentaux qu’avant et aucun pour dire des choses insignifiantes ».

Nadia, trentenaire, en couple depuis trois mois, se repasse en boucle la chanson Dis, quand reviendras-tu ?, de Barbara. Elle à Paris, lui à Düsseldorf, en Allemagne.

« Comme tout début d’histoire, tout de l’autre est à découvrir et tout le peu que l’on connaît de l’autre nous manque atrocement. Tous les moyens disponibles sont utilisés : Netflix Party, WhatsApp, Skype, Instagram, téléphone, lettre, et même la télépathie ! »

Anne reconnaît n’avoir jamais autant communiqué par SMS « sérieusement, érotiquement, humoristiquement » avec son amant. « On s’invente un monde frais et léger pour oublier la situation assez pesante », raconte la Grenobloise.

« C’est long… trop long déjà »

Mais si le contact reste établi, les « je t’aime » plus nombreux et la complicité préservée, les amants se languissent. « C’est long… trop long déjà », soupirent nombre d’entre eux, à commencer par Lulla. « Absolument tout me manque chez lui, il est mon pilier au quotidien », assure la sage-femme de 26 ans. « Tout me manque de Florian, surtout son optimisme et sa bonne humeur en pareil temps », surenchérit Louanne, qui le rêve à ses côtés.

Des rêves qui n’en sont déjà plus pour la jeune Parisienne Léa : elle s’est disputée avec Matthieu juste avant la mise en place du confinement :

« Je voulais avoir une discussion avec lui, en vrai, mais elle n’a pas eu lieu. Notre relation ne survivra sûrement pas au confinement. »

La question reste en suspens pour Rose, des dizaines de messages au quotidien à celui qu’elle souhaite reconquérir, alors qu’il se trouve à 500 kilomètres de son domicile rennais :

« C’est très compliqué de convaincre à distance une personne de nous laisser une chance. »

« Le couple est dans une période d’évaluation, qu’il soit sous le même toit ou mis à distance par le confinement, rappelle Sylvie Angel. Le fait de ne pas partager une même temporalité, ou encore d’avoir des divergences de valeurs et de points de vue, peut créer des incompréhensions et des agacements. Inversement, cette épreuve peut ramener le couple à ses fondements essentiels et le renforcer. » C’est le moment propice, selon la psychiatre, pour se poser les vraies questions et réaménager ce qui doit l’être.

« Cruelle situation » pour les amours adultères

C’est une « cruelle situation » pour la Bordelaise Sophie, maîtresse d’un homme marié, « qui devait annoncer à madame sa décision de rompre » lorsque le couperet du confinement est tombé :

« On doit faire abstraction de nos interactions physiques, biochimiques, pulsionnelles et passionnelles. Notre relation n’est plus qu’épistolaire. On en est réduits à l’amour courtois ! »

La frustration exacerbe indéniablement le désir. Thierry caresse en secret le corps de la femme qu’il aime, à 80 kilomètres de chez lui, tandis que Marion fait l’amour par téléphone avec François, son amour de jeunesse retrouvé il y a neuf mois. Et Eva de conclure :

« Ce qui me manque le plus, c’est la chaleur de son corps quand nous dormons ensemble, et de l’embrasser à en perdre le souffle. Quoi qu’il en soit, ce maudit virus ne tuera pas notre amour ! »

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