INTERVIEWVIDEO.« Y a de quoi se jeter d'un pont », la détresse des médecins libéraux

VIDEO. Coronavirus en Paca : « Il y a de quoi se jeter d'un pont » , la détresse des médecins libéraux

INTERVIEWLe président de la fédération des médecins des Bouches-du-Rhône alerte sur la détresse et l’angoisse des généralistes et médecins libéraux face au manque de moyens pour lutter contre le coronavirus
Auscultation d'un patient par un médecin généraliste dans son bureau. Illustration.
Auscultation d'un patient par un médecin généraliste dans son bureau. Illustration. - S. ORTOLA / 20 MINUTES
Mathilde Ceilles

Propos recueillis par Mathilde Ceilles

L'essentiel

  • Le président de la fédération des médecins des Bouches-du-Rhône s’inquiète du nombre de médecins libéraux qui prennent une retraite anticipée, par peur de mourir du coronavirus.
  • Pour Michel Sciara, le coronavirus peut avoir de graves conséquences sur l’état psychique des médecins.

Ce serait les grands oubliés de cette guerre sanitaire, alors qu’il s’agit de soldats en première ligne. Après des semaines de mobilisation contre le coronavirus​, les médecins libéraux sont à bout de nerfs et d’énergie, selon le docteur Michel Sciara. Le médecin d’Istres, également président de la fédération des médecins de France dans les Bouches-du-Rhône, alerte sur les conséquences, notamment psychologiques, du coronavirus sur les médecins généralistes et autres médecins libéraux qui craignent pour leur santé et leur vie.

Quel est l’état d’esprit de vos collègues, notamment après la dizaine de décès de médecins libéraux du Covid-19, dont un décès récemment dans le Haut-Rhin ?

Il faut se mettre à la place d’un médecin libéral aujourd’hui. Il va devoir se battre seul et sans arme face à une maladie qu’on ne connaît pas. C’est inadmissible pour nous. Beaucoup de médecins, proches de la retraite, ont brutalement fermé leurs cabinets, sans donner aucun signe de vie. Et pourquoi ? Parce qu’ils ont peur de mourir du coronavirus. Et vous savez, la mort, on sait ce que c’est, on y est confronté depuis nos études de médecine.

Mon associé par exemple a 65 ans. Il y a quelques mois, on lui a diagnostiqué un cancer. Il a dit qu’il se sentait capable de tenir jusqu’à la retraite, en décembre prochain. Mais depuis la crise, il s’est mis à mi-temps et il envisage de s’arrêter avant. A Istres, nous avons douze médecins qui sont partis à la retraite en deux ans. Si en plus, une demi-douzaine s’arrête, c’est la catastrophe complète. On n’arrive déjà pas à répondre à la demande…

Le monsieur que vous avez au bout du fil aussi se pose des questions. Il a 67 ans. Il travaille depuis quarante ans. Il a oublié de s’arrêter. Il gère plein de choses, et avec le Covid, on est en burn-out permanent, alors que l’Etat n’a aucune considération pour les médecins libéraux. A quoi bon mourir sur scène, alors qu’on n’a pas de gants, pas de masques ? A quoi bon exercer dans ces conditions et ne pas profiter de sa retraite ? A quoi bon finir sa vie en mourant du Covid dans son cabinet sans pouvoir être enterré par ses enfants ? Qu’est-ce qui me retient ?

Pourquoi dites-vous manquer de considération ?

Quand vous avez une maladie, vous faites quoi ? Vous appelez votre médecin traitant. Les médecins généralistes sont donc automatiquement les premiers sur la ligne de front par rapport à cette maladie. Alors quand vous entendez que l’Etat privilégie les surblouses et les calots à l’hôpital, c’est se foutre de la gueule du monde. On nous a attribué chaque semaine six masques FFP2 et 12 masques chirurgicaux. Ce matin, j’ai bousillé deux masques en deux minutes devant un patient mort de rire, car l’élastique d’occasion a craqué. Et vous savez pourquoi ? Parce qu’on nous donne des masques périmés. C’est comme si, dans les années 1940, on nous donnait comme fusil des baïonnettes face aux Allemands suréquipés. On a des blouses cousues par des couturières ! C’est d’un ridicule… Mais ce ridicule tue en France des médecins.

Quelles conséquences cette situation peut-elle avoir sur votre profession ?

Notre santé mentale est mise à rude épreuve. Moi si j’étais malheureux en amour ou avec mes enfants, il y a de quoi se jeter d’un pont… Mais le médecin ne tombe pas en dépression tout de suite. Il tombera en dépression après la crise. La première des difficultés, c’est la lourdeur des charges. Un médecin qui faisait entre 25 et 30 actes par jour arrivait à faire face. Aujourd’hui, les médecins ne peuvent voir que 10 personnes par mois. Ils ne s’en sortent plus, et ils vivent donc un stress vital.

Il faut ajouter à cela le stress pour ses patients. Moi, j’ai déjà perdu dix patients du Covid-19. Et c’est éprouvant. Ce sont des gens que je connaissais depuis longtemps. Ça fait de la peine. C’est dur de dire qu’on se reverra plus. Les médecins sont des humains aussi fragiles que les autres.

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