Publicité

Ces chercheuses au cœur de la lutte contre le coronavirus

Marie-Paule Kieny
Marie-Paule Kieny, ancienne directrice adjointe de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), lors d'une conférence de presse sur la virus Ebola. (Genève, le 21 octobre 2014.) Fabrice Coffrini / AFP

Elles sont au cœur de la lutte contre le Covid-19. À armes égales avec les hommes, ces femmes décryptent le virus, réalisent des essais cliniques, coordonnent, explorent… Une course contre la mort qui bousculera peut-être des décennies de misogynie dans le monde de la recherche.

Personne n'aurait imaginé, il y a encore quelques mois, le confinement de la moitié de la population mondiale. Pas même la communauté scientifique. Ni Marie-Paule Kieny, l'une des plus prestigieuses chercheuses françaises, ancienne directrice adjointe de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Ni Isabelle Imbert, enseignante-chercheuse à l'université d'Aix-Marseille, qui travaille depuis plus de dix ans sur les coronavirus. Cette dernière le reconnaît : "Jamais je n'aurais cru à un tel scénario. Je ne pensais pas que l'infectiosité et la contagiosité seraient si importantes."

Confinée dans une chambre de son appartement marseillais après avoir contracté le virus, la quadragénaire jongle avec un emploi du temps serré et une nouvelle activité : les relations avec la presse. "Je suis très sollicitée, cela fait désormais partie de mon quotidien, mais je ne peux répondre à tous les médias, car j'ai beaucoup de travail de recherche à faire." Et pour cause : elle a été sélectionnée, avec dix-neuf autres candidats, par le conseil scientifique de REACTing, un consortium coordonné par l'Inserm et soutenu par les ministères de la Santé et de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation. Une branche spéciale de REACTing est consacrée à la lutte contre l'épidémie de Covid-19. "Mon projet repose sur les travaux menés sur le SARS-CoV au cours de ces treize dernières années. Il s'agit de comprendre, au niveau moléculaire, comment fonctionne la machinerie du virus, qui lui permet d'amplifier son génome. À partir de ces connaissances, il sera ensuite possible d'identifier des médicaments qui bloqueront cette photocopieuse virale", détaille cette passionnée.

Du Sida au Covid-19

Parmi les autres lauréates de REACTing, figure France Mentré, professeure de biostatistiques à la faculté de médecine de l'Université de Paris. Son projet concerne une cohorte (ou large groupe) de patients infectés par le Covid-19 à travers l'Hexagone. "L'objectif de cette cohorte est d'avoir un enregistrement clinique, radiologique et biologique sur tous les patients Covid-19 en France. L'idée est aussi d'avoir des prélèvements spécifiques pour travailler sur la réponse immunitaire. Elle permettra de comprendre l'évolution de la maladie et de voir ce qui peut l'aggraver ou pas."

Aujourd'hui, de nombreuses femmes chercheuses sont au cœur de la lutte contre l'épidémie de Covid-19. Avec, comme chef de file, Françoise Barré-Sinoussi, qui a pris la tête, le 24 mars, du nouveau comité installé par Emmanuel Macron à l'Élysée, le Comité analyse recherche et expertise (Care). Cette nomination vient saluer le parcours exceptionnel de cette virologue qui a co-découvert en 1983 à l'Institut Pasteur, avec le Pr Luc Montagnier, le rétrovirus responsable du sida, une identification qui leur a valu en 2008 d'obtenir le prix Nobel de médecine.

Marie-Paule Kieny a elle aussi intégré Care. Depuis Genève, où elle est confinée avec sa famille, l'ancienne directrice de l'OMS multiplie les téléconférences. "Le comité Care diffère du Conseil scientifique mis en place en février, qui permet de regarder la situation et de donner les grandes lignes de la politique scientifique. Au sein du Care, nous évaluons les propositions dans le détail comme, par exemple, les demandes de financement de vaccin." Mais son travail ne s'arrête pas là. Elle participe également au projet Discovery, un essai clinique européen qui étudie quatre traitements, dont la controversée chloroquine, pour lutter contre le Covid-19. La Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Espagne en font partie.

En vidéo, 10 femmes qui ont marqué l'histoire des sciences

Une course contre la montre

Ne m'imaginez pas dans un vrai laboratoire, je suis dans un bureau

Pr France Mentré

Les premiers résultats de cet essai devraient être connus d'ici à la fin du mois, selon la Pr France Mentré, responsable méthodologique de Discovery. "À l'heure où je vous parle, nous ne pouvons pas dire si la chloroquine est efficace. Nous devons pour cela évaluer 3100 patients. Il faut faire des études comparatives avant de tirer des conclusions." Chaque jour, France Mentré rejoint son équipe de chercheurs à l'hôpital Bichat, à Paris. Les laboratoires sont ouverts uniquement pour le personnel dédié au Covid-19. "Je travaille sept jours sur sept. J'ai connu cette densité lorsque je préparais des thèses ou des concours. Aujourd'hui, ce qui est difficile pour moi, c'est que je suis statisticienne : je dois attendre les données des médecins, mais ils ont déjà tellement de travail… Ne m'imaginez pas dans un vrai laboratoire, je suis dans un bureau."

Dominique Costagliola, épidémiologiste et biostatisticienne, directrice adjointe de l'Institut Pierre Louis d'épidémiologie et de santé publique (IPLESP) et membre de l'Académie des sciences, travaille chez elle pour ne prendre aucun risque. Et mène de front plusieurs projets. "Mes recherches portent sur le VIH mais, avec cette crise, je consacre l'intégralité de mon temps au Covid-19. Je participe au conseil scientifique de REACTing. Je suis aussi directrice de recherche à l'Inserm, donc je coordonne les projets, je sollicite ceux qui font des essais cliniques. Je fais aussi partie du Comité de recherche Covid-19 AP-HP", énumère celle dont le CV déborde.

"Ce qui est important dans un premier temps, c'est de prioriser les urgences, en évitant la progression du virus et en diminuant la contagiosité, notamment chez les soignants, très exposés", estime la scientifique. Celle qui admet ne pas avoir autant travaillé depuis la fin des années 1980 et les débuts de l'infection au VIH a hâte de commencer un projet concret qui lui tient à cœur : l'utilisation du plasma des personnes guéries. "Il faut voir si on peut l'utiliser pour traiter les personnes infectées. Concrètement, il s'agit d'explorer la piste de l'immunité passive : injecter à une personne malade du plasma de convalescent, ce qui pourrait lui permettre d'avoir rapidement une réponse de type anticorps et donc éviter la progression de la maladie. Cette approche ne marche pas dans toutes les infections virales, mais elle peut être très utile pour certaines."

À lire aussi" Les femmes dirigeantes affrontent-elles mieux la crise du coronavirus? Ce phénomène qui interroge les médias

Si le monde de la recherche est connu pour sa forte concurrence à cause des nombreux appels à projets, le Covid-19 est à l'origine d'une solidarité unique. Les chercheuses interrogées sont toutes unanimes. "Là, les gens essayent de travailler ensemble et de trouver des solutions", se réjouit Dominique Costagliola.

10% de femmes professeures

Souvent, les hommes ne nous prennent pas au sérieux ou nous mettent des bâtons dans les roues

Isabelle Imbert

Cet inédit va-t-il bousculer - enfin - des décennies de misogynie dans le monde de la recherche ? C'est l'autre pari à soutenir. "Je suis maîtresse de conférence, en bas de l'échelon des enseignants chercheurs. Les chefs d'équipes sont souvent des hommes. Seulement 10% de femmes accèdent au poste de professeure d'université, alors que paradoxalement les étudiants en biologie sont majoritairement des femmes, regrette Isabelle Imbert. Souvent, les hommes ne nous prennent pas au sérieux ou nous mettent des bâtons dans les roues, j'en ai souffert dans ma carrière." Dominique Costagliola se dit "frappée" par l'absence de femmes aux hauts postes de la recherche. "Pendant ma carrière, parce que je suis une femme, on m'a longtemps dit que j'en faisais trop. Qui disait cela ? Toujours des hommes, qui en faisaient dix fois plus. Je vois très peu de changement aujourd'hui malgré ma longue expérience. À l'Inserm, il y a beaucoup moins de femmes directrices que de chargées de recherche", constate-t-elle.

France Mentré confie avoir ressenti, elle aussi, des discriminations. "On nous donne toujours l'impression que la parole de l'homme est celle de la vérité. À l'AP-HP, c'est très criant." Malgré tout, Marie-Paule Kieny, qui a fait une grande partie de sa carrière à l'OMS, tempère : "Je n'ai jamais ressenti aucune discrimination, mais ma fille dit que j'oublie, alors peut-être que j'ai oublié… Ce qui est certain, c'est que pour faire une carrière scientifique, il faut avoir une structure, et j'ai eu la chance d'avoir à mes côtés mes parents pour s'occuper de ma fille quand je n'étais pas là."

"Douze à dix-huit mois pour trouver un vaccin"

Il faudra encore attendre des semaines, voire des mois, pour connaître les résultats des recherches. Mais toutes ces chercheuses l'affirment d'une seule voix : pour faire face à cette épidémie, il est essentiel de tester toute la population. "En effectuant un test sérologique, on va pouvoir savoir si on a été infecté ou pas. Si on a été touché, alors on sera immunisé. Pour Covid-19, si on arrive à un taux de 60% de personnes immunisées, on arrivera à endiguer l'épidémie, détaille Isabelle Imbert. Aujourd'hui, on a besoin d'une réponse thérapeutique. Pour cela, une des stratégies est de tester des médicaments qui ont déjà été approuvés par les autorités sanitaires. Ainsi, en cas d'efficacité, la molécule peut être donnée aux patients très rapidement. Mais il faudra attendre douze à dix-huit mois pour trouver un vaccin."

À lire aussi" Coronavirus : "Il nous faudra vivre avec la maladie jusqu'à l'arrivée d'un vaccin"

Comme elle, Marie-Paule Kieny reste vigilante. "Il ne faut pas trop espérer un vaccin avant un an, et encore, aujourd'hui on n'a toujours pas trouvé de vaccin pour contrer le VIH. Tout cela est un marathon." L'enjeu est vital, mais le temps est aussi compté. Il faut à tout prix éviter une seconde vague épidémique à l'automne.

Ces chercheuses au cœur de la lutte contre le coronavirus

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner
8 commentaires
  • becassine

    le

    Oui l hydroxy chloroquine est efficace dès les 1er symptomes et non pas d effets secondaires sinon cela serait su dès les années 50. On traite encore les gens atteint du lupus et poly arthrite. Pas d effets secondaires!!!

  • LIONEL BUGES

    le

    Dans la guerre il n’y a pas d’hommes pas de femmes il y a des soldats Débat inutile et stérile au niveau zéro

  • José Bobo

    le

    Incroyable ! Qui aurait cru il y a encore 5 ans que des femmes réussiraient à devenir chercheuses en biologie et à faire presque aussi bien que leurs collègues masculins ?

À lire aussi