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«Prenez soin de vous»: une formule de politesse devenue virale

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Le chef de l’État a employé cette expression lors de son allocution. Une formulation populaire depuis le début du confinement. Que comprendre?

«Prenez soin de vous, prenons soin les uns des autres et nous tiendrons.» Hier soir, Emmanuel Macron a conclu son allocution par une marque d’attention. Une formule somme toute banale, se lisant dans la droite lignée d’un discours prévenant, mais qui, depuis le début de la crise sanitaire, connaît une nouvelle popularité. Pour ne pas dire «viralité».

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Qu’on en juge un peu nos messages! On ne signe plus froidement, mais fiévreusement. Les «cordialement», «amicalement», «sincèrement» et autres «bien à vous» ont tous, ou presque, laissé place au «prenez soin de vous». Et lorsque la locution ne contamine pas la toile, elle se propage dans les conversations orales. «Le confinement nous pousse à cette déclaration d’affection, analyse Jean Pruvost, lexicographe et auteur des Secret des mots (La librairie Vuibert). Non seulement elle abolit une forme de distance mais elle crée une forme d’unanisme. Nous sommes tous dans la même barque, avec les mêmes soucis, les mêmes peurs. Le virus d’une certaine façon nous démocratise.»

De fait, le «soin» sous-entend originellement une inquiétude, un souci. Ce, même si son étymologie est sujette à caution. Peut-être le mot viendrait-il du latin médiéval soniare «procurer le nécessaire, donner ou recevoir l’hospitalité» et de sunnis, «excuse légitime ou empêchement de comparaître», indique Le Trésor de la langue française. Enfin, dès le XIe siècle, on retrouve la forme «n’être en soign de» dans le sens de «n’avoir cure de» dans la Chanson de Roland et deux siècles plus tard, «n’estre en soing» pour «n’avoir pas de souci, n’être préoccupé de rien» chez Chrétien de Troyes.

Au XVe siècle, l’expression «venir à soing» confirme encore l’analogie. Elle s’emploie lorsqu’on «se fait du souci», lorsqu’on «est en peine». Du soin à prendre de soi aux soins à prendre de l’autre, il n’y a qu’un siècle. C’est ainsi qu’en 1538, naît la formule «avoir, prendre soin», telle qu’on la connaît encore aujourd’hui. Dès lors le soin se retrouve aussi au pluriel. Désormais, on donne des «soins». On «veille à ce qu’une chose se conserve, à ce qu’elle prospère», on «pourvoit aux besoins de l’individu». Littéralement, on le «soigne». Est-ce pour cela qu’on emploie d’autant plus ce terme aujourd’hui en période de pandémie? «Il y a un euphémisme dans la formule prenez soin de vous, explique Jean Pruvost. On sous-entend à celui à qui on le dit: “n’attrape pas cette maladie”. Et puis, peut-être est-ce plus inconscient, mais c’est aussi une chose que l’on se dit à soi-même: prends soin de moi.»

Des petits soins coquins

A compter du XVIIe siècle, le «soin» est en tout cas associé à la santé. On lit dans le Dictionnaire français de Richelet publié en 1680: «Soin application de la personne qui prendre garde à quelque chose. La santé est un trésor & on est fou quand on ne la ménage pas & qu’on en prend pas de soin.» Madame de Sévigné, qui conseillait du chocolat à sa fille en cas de maladie, l’employait par exemple pour parler «d’actions par lesquelles on conserve ou on rétablit la santé». Attention, cela ne veut pas dire que le soin se confinait! Loin de là. Chez Molière, les «petits soins» qu’on prodiguait étaient ainsi coquins. Il s’agissait d’attentions délicates, de petits services de la galanterie de l’amour…

La formule «prends soin de toi» a gardé cette forme d’intimité. «Elle est l’occasion de témoigner de l’amitié et de la sympathie à quelqu’un dans la sphère privée comme professionnelle», indique Jean Pruvost. En l’utilisant donc, on réinjecte de l’humain dans nos propos. «C’est bien moins impersonnel que bien à vous». Signerait-elle donc la mort des formules convenues?

Ce «prenez soin de vous» a quelque chose d’une promesse selon Jean Pruvost. «Avant le confinement, certains l’utilisaient déjà mais elle a maintenant éclos. Elle est révélatrice de sa manière d’envisager la société, estime le lexicographe. Elle sous-entend la volonté de créer une communauté et de refuser des relations, qui jusque-là ont pu être artificielles. Lorsqu’on dit prenez soin de vous, on incarne une relation. On s’adresse non pas à un pion mais à une personne. On dit finalement «je m’intéresse à toi». Reste maintenant à joindre le geste à la parole...

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«Prenez soin de vous»: une formule de politesse devenue virale

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22 commentaires
  • marjols

    le

    Je déteste cette expression sortie à tout bout de champ!

  • anonyme 28333

    le

    Psittacisme. Locutions creuses sur-employées dans le milieu professionnel.

  • jack Soul

    le

    horreur de ce genre de mot.ça fait même faux derche.

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