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Mort du fondateur de Radio Caroline, radio pirate ayant inspiré le film « Good Morning England »

Ronan O’Rahilly s’est éteint à l’âge de 79 ans, a annoncé le 20 avril la radio pirate qu’il avait fondée en 1964, devenue culte au point de rapidement concurrencer le monopole de la BBC.

Le Monde

Publié le 22 avril 2020 à 19h18

Temps de Lecture 5 min.

Ronan O'Rahilly, en 1969.

« Love, peace and good music » (Amour, paix et bonne musique) étaient ses maîtres-mots, au point d’en faire le slogan de sa radio pirate, née en 1964. L’homme d’affaires irlandais Ronan O’Rahilly s’est éteint à l’âge de 79 ans, a annoncé le 20 avril sur ses ondes Radio Caroline, qu’il avait fondée en 1964. Celle-ci, devenue culte au point d’inspirer la comédie Good Morning England (2009), n’était pourtant pas la première du genre.

1964. Depuis deux ans déjà, le jeune homme irlandais, manager d’artistes peu connus, tente de faire émerger ses talents sur la BBC, qui possède alors le monopole sur les ondes britanniques. Peine perdue : celle-ci ne diffuse que quelques heures de musique populaire par jour. Plus encore, il s’agit uniquement des tubes proposés par les deux labels qui règnent alors sur l’industrie musicale, EMI et Decca.

Le salut de Ronan O’Rahilly prendra la forme d’un vieux ferry danois, acquis par le biais d’une société enregistrée au Liechtenstein. Amarré dans les eaux internationales au large d’Harwich (Essex), le Frederica diffuse à partir de mars 1964 la musique pop. Celle des Beatles, qui avaient atteint la première place du hit-parade un an plus tôt avec Please Please Me, mais aussi celle de ses protégés, comme Georgie Fame, disque d’or avec Yeh Yeh et The Ballad of Bonnie and Clyde.

L’idée est loin d’être inédite : la première radio offshore, Skanes Radio Mercur, émettait dès 1958 à destination des auditeurs danois. Mais c’est Radio Caroline qui marque la mémoire collective du fait de son succès fulgurant : quelques semaines après sa création, ils sont 7 millions à l’écouter. En 1965, ils sont 39 millions, raconte le journaliste Daniel Lesueur dans son livre L’histoire des radios pirates. De Radio Caroline à la bande FM (Camion blanc, 2011).

La recette gagnante est simple : miser sur la jeunesse et la fraîcheur. Le nom de la radio pirate contient en lui-même ce programme. Selon le quotidien britannique The Guardian, Ronan O’Rahilly aurait eu l’idée d’appeler sa radio Caroline après avoir vu des photographies de la fille du président américain John Fitzgerald Kennedy dans un magazine, touché par la joie communicative de l’enfant de six ans.

Conditions spartiates à bord

A 25 ans, Ronan O’Rahilly devient millionnaire, grâce aux quelques minutes de publicité qu’il diffuse à son audience captivée. « Pas plus de six par heure ! », insiste-t-il. A bord, les conditions sont spartiates, et les DJ sont mal rémunérés. Radio Caroline ne tarde pas à faire des émules : sur les eaux internationales voguent aussi Radio Atlanta, Radio City, Radio London et Swinging Radio England.

Mais l’utopie des débuts ne dure qu’un temps. Le gouvernement britannique, qui ne peut s’attaquer directement à ces radios pirates qui émettent hors de son territoire, trouve un moyen détourné de les faire taire : frapper au porte-monnaie. En 1967, une loi interdisant aux firmes britanniques de financer directement, ou indirectement sous forme de publicité, les stations pirates est votée.

Le texte interdit également aux particuliers comme aux entreprises britanniques de ravitailler ces bateaux ou de travailler à leur bord. Simultanément, la BBC crée Radio One pour diffuser de la musique populaire. C’est la mort de nombreuses radios pirates. Ronan O’Rahilly n’abandonne pas, mais de nombreux DJ quittent le navire.

Diffusions de programmes rémunérés

S’amorce alors une période de vache maigre pour l’Irlandais. Pour renflouer les caisses, il accepte de diffuser des messes et d’autres programmes rémunérés. Même les DJ doivent faire des compromis. « Nous étions infestés de disques horribles qui n’avaient pas lieu d’être sur nos ondes », mais qu’il fallait diffuser parce qu’ils étaient payés pour l’être, raconte Tony Prince, alias The Royal Ruler, au Guardian. Quatre ans après le début de l’aventure, en mars 1968, c’est la faillite.

Ronan O’Rahilly se console avec le cinéma. En 1968, il produit La Motocyclette, un film érotique avec Alain Delon et Marianne Faithfull, qui figurera dans la sélection officielle du Festival de Cannes, dont l’édition sera cependant interrompue du fait des événements de Mai 68. En 1969, il décroche pour l’un des acteurs dont il est le manager, George Lazenby, le rôle de James Bond dans Au service secret de Sa Majesté… avant de dire à son protégé que la licence n’aura aucun avenir et de le convaincre de ne pas signer pour les films suivants.

L’Irlandais ne perd pas pour autant son objectif : faire renaître de ses cendres Radio Caroline. C’est chose faite en juin 1970, durant six jours. La radio pirate « fait campagne […] pour se venger [du premier ministre] Harold Wilson, qu’elle juge directement responsable de sa chute », explique le journaliste musical Daniel Lesueur à Télérama. Avec un franc succès. « La jeunesse anglaise qu’une loi vient d’autoriser à voter dès 18 ans – se rend aux urnes et renverse le gouvernement en place », poursuit Lesueur. Mais l’opposant de Harold Wilson qui lui succède, Edward Heath, qui avait promis d’offrir une place aux radios libres une fois qu’il serait élu, revient sur sa parole.

Opiniâtreté

Les années qui suivent restent chaotiques. Radio Caroline redémarre en 1972, mais six de ses DJ sont condamnés à cause de la loi votée cinq ans plus tôt. En 1975, une première tempête détériore le bateau, déjà en mauvais état, et une autre finit par le couler cinq ans plus tard. L’équipage, sain et sauf, est arrêté, et l’équipement de radiodiffusion rejoint les fonds marins.

En 1983, Ronan O’Rahilly relance la radio pirate à bord du Ross Revenge, lui aussi chahuté par les flots – une tempête casse le mât de transmission en 1987. L’opiniâtreté de l’Irlandais n’est pas du goût des autorités. En août 1989, des militaires néerlandais partent à l’abordage du navire, sous prétexte que les émissions de Radio Caroline brouillent celles des stations à terre aux Pays-Bas. Les disques sont saisis, les micros sont détruits.

A la fin des années 1990, Radio Caroline revient sur Internet. En 2017, elle retrouve une place sur les ondes, grâce au concours d’une parlementaire. Un triomphe que Ronan O’Rahilly n’a pas pu goûter pleinement. Quatre ans plus tôt, on lui a diagnostiqué une démence sénile.

Sa vie aurait-elle été « gâchée » par Radio Caroline, selon les termes de l’un de ses amis, rapportés par The Guardian en 2009 ? Certainement pas, selon l’intéressé, qui répond cette année-là au quotidien britannique : « Je ne pense pas que créer quelque chose qui a permis à des millions de personnes de se divertir gratuitement et innocemment pendant [plusieurs] décennies puisse vraiment être décrit comme du “gâchis”. Cela représente probablement la façon la plus utile dont j’aurais pu passer ma vie. »

Ronan O’Rahilly en quelques dates

21 mai 1940 : naissance en Irlande.

Mars 1964 : fondation de Radio Caroline.

1967 : une loi sanctionne les entreprises finançant directement ou indirectement (par la publicité) les radios pirates, portant un coup aux finances de Radio Caroline.

1968 : produit La Motocyclette, en sélection officielle du festival de Cannes.

1969 : obtient pour l’un de ses protégés, George Lazenby, le rôle de James Bond dans Au service secret de Sa Majesté.

1972 : relance Radio Caroline.

20 avril 2020 : mort à County Louth (Irlande).

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