Dévoué à ses patients de Saint-Denis, le «docteur Hossenbux», nouvelle victime du coronavirus

Trois médecins de ville sont morts des suites du Covid-19 en Seine-Saint-Denis, département frappé de plein fouet par l’épidémie. L’un d’eux, Mohammad Hassen Hossenbux, exerçait à Saint-Denis depuis 30 ans.

 Saint-Denis. Le docteur Mohammad Hossenbux, fait partie des trois généralistes du 93 morts du Covid-19.
Saint-Denis. Le docteur Mohammad Hossenbux, fait partie des trois généralistes du 93 morts du Covid-19. DR

    Son cabinet, situé à proximité de la gare de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), dans une rue passante, était toujours plein. Le « docteur Hossenbux » recevait sans rendez-vous, et sans restrictions. Même les plus démunis, sans carte Vitale ou sans papiers, osaient pousser la porte de la petite salle d'attente, située dans une résidence du centre-ville.

    La porte est désormais close. Le 14 avril dernier, Mohammad Hassen Hossenbux est mort des suites du Covid-19 à l'hôpital Foch de Suresnes (Hauts-de-Seine). Il avait 68 ans. C'est, selon le décompte de l'Ordre des médecins du 93, au moins le troisième généraliste emporté par le virus en Seine-Saint-Denis après la mort de deux médecins de Sevran et Noisy-le-Grand. Un quatrième professionnel a semble-t-il été admis il y a peu en réanimation. A l'échelle du pays, un récent recensement faisait état de neuf médecins en activité décédés.

    Etabli à Saint-Denis depuis trente ans

    Le docteur Hossenbux, établi à Saint-Denis depuis environ trente ans, travaillait sans compter ses heures. « Il était très dévoué, il a aidé beaucoup de monde », glisse son ami de toujours, Iqbaal Jhurry. « Sa porte était toujours ouverte. Je pense que c'était un très bon médecin, au diagnostic très sûr », glisse une riveraine. Des voisins directs s'agaçaient toutefois, depuis des années, de voir la file d'attente déborder du petit cabinet, et encombrer l'escalier.

    Au tout début de l'épidémie, son fils et sa fille s'étaient inquiétés de voir leur père ainsi exposé : « On lui avait dit d'aller chercher des masques à la pharmacie. Il a bien essayé, mais on était en pleine pénurie. Il était un peu remonté, d'être obligé d'aller travailler sans matériel de protection. Mais il a voué sa vie à soigner les gens, alors il y est allé quand même… »

    Le médecin est tombé malade très vite. Selon sa famille, il avait dû cesser de travailler avant même le début du confinement, le 17 mars dernier. « Il est passé une première fois aux urgences, en est sorti parce que son état ne semblait pas trop grave. Et puis il est retourné à l'hôpital. Il y a passé deux semaines et il est décédé. »

    «Il recevait des gens parmi les plus pauvres»

    Une certaine confusion a sans doute régné durant les premiers jours du confinement. Dans un message posté sur Facebook, une habitante affirme ainsi que les consultations se sont poursuivies au-delà du 17 mars. « Peut-être que les patients ont continué à venir, ne sachant pas que mon père était arrêté? » glisse son fils.

    Le « docteur Hossenbux » aurait-il pu instaurer des règles de distanciation dans son cabinet minuscule ? Aurait-il pu recourir à la téléconsultation, recommandée par le ministère de la Santé pour limiter les risques de contagion ?

    Il suffit d'entendre son fils pour comprendre le décalage entre les préconisations officielles et la réalité du terrain : « Mon père était un ancien. Il avait un ordinateur, mais il n'était pas très à l'aise avec tout ce qui est applications, téléphone portable, technologie. Consulter par Internet ou par téléphone aurait été très compliqué pour lui. Il recevait des gens parmi les plus pauvres, qui ne parlaient pas français. »

    La communauté pakistanaise en particulier, se pressait chez ce médecin, le seul de Saint-Denis à parler ourdou — une langue dont il avait appris les rudiments à l'école, à l'île Maurice dont il était originaire.

    «On n'a pas eu le minimum pour se protéger»

    Face à l'épidémie, « chacun s'est organisé comme il a pu », constate de son côté Jean-Luc Fontenoy, président de l'Ordre des médecins départemental. Ce généraliste de Livry-Gargan espace désormais les rendez-vous « pour éviter que les patients se croisent », recourt à la consultation par téléphone et nettoie scrupuleusement son cabinet. Mais, rappelle-t-il, « ce n'est un secret pour personne : les soignants en ville ont manqué de matériel. On pensait avoir des masques qu'on n'a pas eus… »

    Ludovic Toro, maire UDI de Coubron, également médecin généraliste, se souvient de ces patients « qui m'ont apporté mes premiers masques FFP2, dans de petits sacs. » Le praticien a, dès le 19 mars, porté plainte, avec un collectif de médecins, contre Edouard Philippe et Agnès Buzyn. « L'Etat a failli à sa mission, qui était de protéger ses soignants, estime-t-il. Pendant trois semaines, on est restés sans masques. On n'a pas eu le minimum pour se protéger. »

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