André Comte-Sponville : « Il faut sortir du confinement à durée indéterminée »

Par Propos recueillis par Thierry Mestayer

Confiné, le philosophe André Comte-Sponville (*) met en garde contre une santé qui aurait supplanté la liberté.

« Même à deux, le confinement reste une privation de liberté », martèle le philosophe André Comte-Sponville.
« Même à deux, le confinement reste une privation de liberté », martèle le philosophe André Comte-Sponville. (Photo Alexandre Marchi/L’Est Républicain/PhotoPQR)
Dans quel état d’esprit avez-vous abordé cette sixième semaine de confinement pour cause de coronavirus ?

Avec sérénité et lassitude !

Avec sérénité ?

Moi qui suis d’un tempérament anxieux, je n’arrive pas à m’inquiéter pour le Covid-19 ! Plus je vieillis, moins j’ai peur de la mort. Et c’est normal : il est moins triste de mourir à 68 ans, c’est mon âge, qu’à 20 ans. Ensuite, parce que mes enfants sont moins exposés que moi. Je n’arrive pas, enfin, à m’effrayer d’une maladie qui n’est mortelle que pour 1 % des cas (un peu plus pour les gens de mon âge). Il meurt, en France, 600 000 personnes par an, dont 150 000 de cancer. En vérité, je crains beaucoup plus la maladie d’Alzheimer, dont mon père est mort après des années d’une tristesse infinie. Il y a 225 000 nouveaux cas d’Alzheimer chaque année, avec un taux de guérison de 0 %.

Et la lassitude ?

Nous sommes confinés à Paris, ma compagne et moi, et cela commence à nous peser. Même à deux, le confinement reste une privation de liberté - la plus grave, de très loin, que les gens de ma génération aient jamais connue ! J’ai dit qu’il fallait respecter scrupuleusement le confinement, et je le fais. Mais, comme tout le monde, j’ai hâte d’en sortir ! Heureusement qu’Emmanuel Macron n’a pas suivi l’avis de certains médecins, qui voulaient nous confiner, nous les vieux, pour une durée indéterminée !

La santé est-elle trop importante pour être laissée aux seuls médecins ?

Ce sont les politiques qui décident, et c’est bien ainsi ! Qu’ils demandent l’avis des médecins, c’est d’évidence nécessaire. Mais ils doivent aussi demander celui des économistes, des chefs d’entreprise et des syndicats de salariés. Ce qui m’a inquiété, c’est qu’on n’entendait plus, sur nos radios et télévisions, que des médecins. Comme si c’étaient eux seuls qui devaient décider. Il n’en est rien ! La démocratie, c’est le pouvoir du peuple et de ses élus, pas celui des experts ! Attention de ne pas tomber dans ce que j’appelle l’« ordre sanitaire » (au sens où l’on parle d’« ordre moral ») !

Qui assurera la charge de ces longues semaines de confinement ?

Nous tous, bien sûr ! « L’État paiera », dit Macron, et ce, « quel qu’en soit le coût ». Il a raison. Mais l’État, c’est nous. « Il n’y a pas d’argent magique », disait le même Macron avant la pandémie. Les 100 milliards d’euros dépensés pour soutenir nos entreprises, il faudra les financer. Notre dette publique qui s’envole, il faudra la rembourser. Ce qui me gêne le plus, c’est que le confinement vise surtout à protéger les plus vieux (moyenne d’âge des décès liés au Covid-19 : 81 ans), alors le coût immense sera payé par les actifs et leurs enfants. Je me fais plus de soucis pour les jeunes, et pour la dette que nous allons leur laisser, que pour ma santé de presque septuagénaire !

Doit-on accepter de réduire nos libertés publiques - comme avec cette application de tracking numérique des individus - pour accélérer le déconfinement ?

Pourquoi pas, si c’est fait avec intelligence et précaution ? Soyons vigilants, sans être paranoïaques !

Le principe de précaution sanitaire, désormais mondialisé, est-il en train de nous achever ?
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Ce n’est pas le principe de précaution qui me gêne, quand il est bien appliqué. C’est plutôt ce que j’appelle le « pan-médicalisme » : faire de la santé la valeur suprême (ce qu’elle n’est pas : je mets plus haut la justice, l’amour ou la liberté). Cela conduit à déléguer à la médecine la gestion non seulement de nos maladies, ce qui est normal, mais aussi de nos vies et de notre société, ce qui est beaucoup plus inquiétant ! Souvenez-vous de ce dessin de Sempé : dans une église vide, une femme, seule devant l’autel, est en train de prier : « Mon Dieu, mon Dieu, j’ai tellement confiance en vous que, des fois, je voudrais vous appeler Docteur ! » Dieu est mort, vive la Sécu ! C’est une boutade, mais qui dit quelque chose d’essentiel. Ne comptez pas sur la médecine pour tenir lieu de morale, de politique ou de spiritualité ! Pour résoudre les maux de notre société, je compte plus sur la politique que sur la médecine. Pour guider ma vie, je compte plus sur moi-même que sur mon médecin.

(*) Auteur de « Contre la peur et cent autres propos », chez Albin Michel.
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