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EnquêteCovid-19

Les dépisteurs du Covid-19 enchaînent les heures et les pénuries

Outil essentiel du déconfinement à venir, le dépistage s’accélère à travers la France, après des débuts désordonnés. Les techniciens du soin — soumis à des horaires « de fou » et au manque de matériel — racontent leur quotidien à Reporterre.

Depuis quelques semaines, des tentes se sont dressées aux abords des centres d’analyses. Des « drives » de dépistage ont également éclos sur les parkings, où les patients sont testés depuis leurs véhicules. Sous les toiles et dans ces « drives », le processus de dépistage se répète « 150.000 fois par semaine » selon Olivier Véran. Le ministre de la Santé a fixé le cap à 500.000 dépistages hebdomadaires pour le 11 mai, date présumée du début de déconfinement.

Jusqu’à présent, le seul test en vigueur en France est le dépistage [PCR|Polymerase chain reaction], qui permet de diagnostiquer la présence du coronavirus SARS-CoV-2 dans les muqueuses nasales. Il nécessite qu’un dépisteur introduise un écouvillon – un long coton-tige fin et souple – dans la cavité nasale de la personne testée. L’écouvillon s’enfonce sous les cornets pour atteindre le nasopharynx. Le technicien réalise alors une rotation du coton-tige pendant une vingtaine de secondes, et récupère un échantillon de cellules potentiellement porteuses de la charge virale.
Une fois le prélèvement accompli, l’écouvillon est placé dans un tube hermétique étiqueté — appelé un « milieu » — lui-même désinfecté à l’aide d’un agent virucide. Le tube est alors placé dans un sachet hermétique. Les gestes doivent être précis, et la méthode rigoureuse, au cas où la charge virale serait faible. « Il est important qu’il n’y ait pas de faux négatif en PCR, c’est une technique extrêmement sensible et spécifique, avertit le Dr Lochu, biologiste en charge des dépistages Covid-19 de Gen-Bio à Clermont-Ferrand. Il faut idéalement que le prélèvement soit fait dans la première semaine des symptômes, si on attend plus longtemps, on a moins de chance de trouver le virus. La seconde cause possible de faux négatif, c’est si le test n’a pas été correctement fait jusqu’au nasopharynx. »

« On travaille en combinaison d’astronaute », plaisante un biologiste.

Question sécurité, le prélèvement expose les techniciens à des éternuements et des projections de particules contaminés. « On travaille en combinaison d’astronaute », plaisante un biologiste. Ils en ont l’attirail : lunette de protection ou visière sur la tête, double paire de gants au bout des doigts (l’une est jetée après chaque test), blouse à manche longue couvert d’une surblouse, et l’inévitable masque FFP2. Cet attirail est doublé d’un équipement de protection individuelle (EPI) à usage unique, systématiquement changé entre chaque prélèvement pour éviter toute contamination. Le « milieu » est alors envoyé en laboratoire, où il est analysé dans un thermocycleur. En quelques heures, le dépistage est effectué, et son résultat envoyé par courriel au patient et à son médecin traitant.

Pour le moment, le gouvernement a focalisé ses efforts sur les Ehpad, points critiques du prélèvement. Mais les blocages administratifs persistent : « En Ehpad, il faut un cas positif pour dépister l’ensemble d’une structure », dit François Blanchecotte, président du Syndicat des biologistes (SDB). Le parcours pour se faire dépister reste long : en cas de symptômes, il est nécessaire d’obtenir une prescription de son médecin traitant pour aller se faire dépister.

Écouvillons, surchaussures, gants... Des pénuries en rafales

Mis en place dans l’urgence, les premiers temps du dépistage avait des allures « cauchemardesques, on manquait de tout », confie un dépisteur. « Nous avons été oubliés lors du premier approvisionnement de masques en pharmacie, les biologistes médicaux n’étant pas cités dans les listes de distribution », indique le Syndicat des jeunes biologistes médicaux (SJBM).

Si les stocks de réactifs ne sont plus le principal problème, la pénurie d’écouvillons guette. « On a utilisé beaucoup d’écouvillons urétraux à la place des écouvillons nasopharyngés. Là, on a épuisé le stock, soupire un dépisteur, on espère être approvisionnés très bientôt [1] en écouvillons nasopharyngés qui sont très fins parce qu’avec des écouvillons plus gros les prélèvements sont désagréables. On a également épuisé nos surchaussures. Quant aux gants, on en a récupéré dans une crèche voisine lors d’une pénurie transitoire. » Face aux carences, le système D est de rigueur. Certains techniciens emploient aujourd’hui des écouvillons métalliques très fins, souples, et dotés d’une petite boule permettant de ramener des cellules. La manœuvre, peu agréable en temps normal, est désormais clairement désagréable pour le patient.

« Ça s’est amélioré, on a davantage de petits écouvillons même si ce ne sont pas des nasopharyngés, on a des stocks de protections individuelles désormais. Dès qu’on trouve des équipements de protection individuels sur des catalogues ou chez des fournisseurs, on fait commande, mais les prix augmentent », avertit le biologiste. Et pour cause : la concurrence internationale est rude. Fin mars, le principal fabriquant italien d’écouvillon Copan Diagnostics à Brescia, en Lombardie, vendait ses stocks aux États-Unis… alors que son usine se trouvait au cœur de la zone la plus touchée par le virus, elle-même en manque crucial de tests. « Les prix s’enflamment : certaines blouses à usage unique se vendent dix ou treize euros pièce, au lieu d’un euro. C’est inimaginable ! » fulmine François Blanchecotte. Le président du Syndicat des biologistes libéraux plaide pour des achats groupés, avec l’aide de l’État, avec qui le dialogue est entamé.

Les premiers temps du dépistage avait des allures « cauchemardesques, on manquait de tout », confie un dépisteur.

Depuis qu’on leur a donné le feu vert pour démarrer les dépistages le 12 mars, les équipes de biologistes empilent également les heures. « Les techniciens bossent comme des fous, certains ne prennent pas de jours de repos, décrit le Dr. Lochu. À Clermont-Ferrand, on a travaillé le week-end de Pâques de 8 h à 22 h 30, on avait des demandes d’Ehpad et on a bossé de 9 h à 20 h le lundi de Pâques. On est tout le temps là. » Même écho à Pau, au sein de l’équipe du Dr Cens, du laboratoire Biopyrénées. « On travaille sans cesse, on n’a pas de jours de repos. On doit réfléchir à une nouvelle organisation, cela nous est tombé dessus il y a cinq semaines, et on est en constante évolution. »

Pour répondre à la demande grandissante de dépistage, les biologistes forment en permanence de nouveaux préleveurs. « Nous n’avons pas suffisamment de personnel pour prélever nous même les Ehpad. On forme donc des infirmiers pompiers, des infirmiers libéraux et des médecins, indique le Dr Lochu. Objectif de la formation : faire le geste correctement, s’habiller correctement, sécuriser le prélèvement et les documents l’accompagnant, afin qu’au laboratoire, on puisse manipuler l’échantillon reçu sans risque de contamination. »

Les tests sérologiques toujours sur le banc d’essai

Le test sérologique du SARS-CoV-2 en est quant à lui encore à ses balbutiements en France. Ce dépistage sanguin est censé détecter l’anticorps développé par le système immunitaire face au virus. Selon ses premiers promoteurs, il aurait pu permettre de détecter les anciens malades aujourd’hui immunisés. Chercheurs, biologistes et ministres avancent avec une grande prudence sur ces tests. « Il reste encore beaucoup de questions sur cette mémoire immunitaire, a prévenu Olivier Véran en conférence de presse le dimanche 19 avril. Tant qu’on y aura pas répondu, considérer qu’il faut s’appuyer sur les tests sérologiques serait anticiper une situation qui risque de ne pas coller à la réalité. »

Olivier Véran en conférence de presse le dimanche 19 avril.

Sur le terrain, les expérimentations sérologiques des biologistes n’ont pas été plus probantes. « Ça ne fonctionne pas. Ce n’est pas assez spécifique, pas assez sensible, averti le Dr Lochu. Aujourd’hui, il y a beaucoup de publications contradictoires. On ne sait pas si les anticorps sont protecteurs ou non, et il semble qu’on peut se faire réinfecter. » « La sérologie a pour l’instant un intérêt limité, confirme le Dr Cens, on sait que l’apparition d’anticorps est irrégulière, et on ne sait pas si les gens sont immunisés après infection. Actuellement, le seul examen fiable est la PCR ». En bref : sans avis formel des autorités sanitaires sur la question, l’avenir des tests sérologiques reste en suspens.

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