Quand la crise du Covid accentue les stéréotypes de genre dans les médias

Place des femmes dans les médias, crise du Covid
Pour éclairer cette crise historique que nous traversons, les médias font-ils plus appel à des experts qu’à des expertes  ? La députée Céline Calvez a été chargée de remettre un rapport sur "la place des femmes dans les médias en temps de crise". Un texte de plus ou une vraie avancée ?

« Cette Une du Parisien a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase d’insatisfaction. La minoration de la place des femmes dans les médias a déjà été dénoncée, étudiée, il y a eu des avancées mais on manque de vigilance et c’est encore perçu comme un sujet non urgent… », déplore Cécile Calvez, députée LREM des Hauts-de-Seine, qui a été chargée par Marlène Schiappa d’une mission sur "la place des femmes dans les médias en temps de crise".

Le dérapage sexiste de trop ? Le 5 avril dernier, le quotidien mettait en Une les portraits des quatre experts interrogés sur leur perception du monde d’après la crise du coronavirus. Le message subliminal est facile à décrypter : le monde de demain sera un monde (encore) pensé par des hommes.

Une invisibilité dénoncée depuis des années

Exit donc les expertes qu’elles soient scientifiques, philosophes, économistes. Tollé général même à l’intérieur du journal, le Collectif des femmes journalistes du Parisien faisant part de son effarement et de sa colère : « Une vraie claque, un regrettable retour en arrière, alors que nous pensions avoir franchi un cap. » La direction présentera ses excuses pour cette "maladresse". Un mot qui fait bondir Isabelle Germain, fondatrice du site d’information paritaire les Nouvelles News.

C’est l’inertie des mentalités qu’il faut combattre, ne rien faire, c’est faire perdurer le sexisme.

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« Ce n’est pas une maladresse, c’est une politique éditoriale phallo-centrée. Cela fait plus de trente ans que des féministes, des associations comme l’Association des femmes journalistes (AFJ) et plus récemment Prenons la Une, dénoncent l’invisibilité des femmes dans les médias et les stéréotypes qu’ils continuent de véhiculer. De nombreuses études ont été menées mais c’est l’inertie des mentalités qu’il faut combattre, ne rien faire, c’est faire perdurer le sexisme. »

Depuis des années, en effet, les rapports et les études lancées par différents instituts s’accumulent. Si la part des femmes invitées en tant qu’expertes dans les émissions de radio et de télévision progresse, 37% en 2019 (étude CSA), tous médias audiovisuels confondus, les femmes n’ont occupé que 39% de l’espace l’an dernier. Un chiffre confirmé par l’étude publiée par l’Institution national de l’audiovisuel (INA) : grâce à l’intelligence artificielle, ce sont 700 000 heures de programmes diffusés entre 2001 et 2019 qui ont été analysées.

Tous médias audiovisuels confondus, les femmes n’ont occupé que 39% de l’espace l’an dernier.

Conclusion : entre 5 heures et minuit, à la radio, les hommes captent 68,8% du temps de parole et c’est quasiment la même chose à la télévision entre 10 heures et minuit : 67,7% du temps de parole leur revient. « Au delà d’un rapport, il faut une volonté politique, explique Céline Calvez. Ces études ont peut être été trop en avance. C’est vrai qu’il y a eu beaucoup d’études sur l’audiovisuel et la fiction mais peu sur la presse faute d’équivalent du CSA. Mais les techniques d’évaluation compliquées sont aujourd’hui plus faciles à appliquer grâce aux nouvelles technologies et à des outils plus faciles à appréhender par les rédactions. » Cela fonctionne déjà au Financial Times : 79% des experts cités dans ses pages étant des hommes, un logiciel alerte désormais les journalistes quand leurs articles omettent de citer des femmes.

Montrer les femmes autrement

Mais au-delà de la présence d’expertes dans les médias, la représentation des femmes pose aussi question. « Les médias sont un miroir de la société, un miroir parfois déformé et déformant, poursuit Céline Calvez. La place qu’ils accordent aux femmes en cette période de crise renvoie à leur prise en considération de façon plus globale dans les actions et les prises de décisions économiques et politiques. »

Il faut bien reconnaître que les héroïnes du coronavirus, et elles sont nombreuses, quand elles posent en Une, le sont très souvent en tant que soignantes prêtes au sacrifice. Les hommes ont des postures guerrières, ils sont là pour conquérir le monde, les femmes, elles, pour prendre soin des autres.

Les femmes sont les ouvrières du care, et les hommes, des généraux de combat alors que nous avons aussi des générales de combat qu’il s’agit de montrer.

Ce rôle sacrificiel n’a pas échappé à la députée : « Les femmes sont les ouvrières du care, et les hommes, des généraux de combat alors que nous avons aussi des générales de combat qu’il s’agit de montrer. Des professeures de médecine émergent pendant cette crise sanitaire, des expertes qui se font d’ailleurs plus pourrir que les hommes sur les réseaux sociaux car tous les regards sont posés sur elles. C’est ce contraste entre les femmes en première ligne et celles absentes des pages ou des écrans qui rend cette situation encore plus insupportable. »

Une vigilance plus que jamais d'actualité

Céline Calvez a six mois pour rendre son rapport qui devra évaluer les propositions déjà faites, et en inventer d’autres afin de dépasser le constat.

« Cette mission doit alerter et augmenter la vigilance. Il y a une exacerbation des inégalités de traitement pendant la crise, à nous d’exacerber les moyens pour y répondre. »

Ce rapport sera-t-il un rapport de plus ? Non, répond Isabelle Germain : « Il faut taper plusieurs fois sur un clou pour le faire rentrer. Il faut continuer à sortir des études, des rapports, à monter des commissions et à pousser des coups de gueule, sinon cela ne bougera pas. »

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