Kamel Daoud : "Nous sommes devenus une espèce menacée autant que nous étions une espèce menaçante"

"En tant que citoyen, je dirai que le bilan est bon, étonnement bon." estime Kamel Daoud, parlant de la gestion de la crise sanitaire en Algérie. - A. Daoud
"En tant que citoyen, je dirai que le bilan est bon, étonnement bon." estime Kamel Daoud, parlant de la gestion de la crise sanitaire en Algérie. - A. Daoud
"En tant que citoyen, je dirai que le bilan est bon, étonnement bon." estime Kamel Daoud, parlant de la gestion de la crise sanitaire en Algérie. - A. Daoud
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Confiné avec sa famille dans sa maison à Oran, l’écrivain et éditorialiste algérien évoque sa sidération face à la pandémie et son inquiétude sur les conséquences qu’elle pourrait induire dans nos futurs rapports sociaux. L’auteur confie être tiraillé entre l’envie de retrouver la vie d’avant et le désir d’un monde nouveau. Concernant l’Algérie, Kamel Daoud plaide pour un consensus politique entre le pouvoir en place et le Hirak, le mouvement populaire de contestation.

Depuis le succès de son premier roman publié en France Meursault contre-enquête (Actes Sud), prix Goncourt du premier roman en 2015, l’écrivain et journaliste Kamel Daoud n’a pas arrêté de sillonner le monde. Invité partout où ses livres sont traduits, le chroniqueur vedette du Quotidien d’Oran - et depuis quelques années de l’hebdomadaire Le Point - ne restait pratiquement jamais plus d’une semaine sans prendre l’avion. 

Sa vie d’intellectuel globe-trotter s’est arrêtée brusquement avec le confinement. "C’est effectivement une épreuve où l’on découvre l’immobilisation forcée, les corvées de la maison, l’inquiétude et la peur. Tout ce qui caractérise le confiné universel" dit-il. Au téléphone, la voix est grave, le débit plus lent qu’à l’accoutumée. On ne reconnaît plus le Kamel Daoud incisif qui déchaîne les passions médiatiques avec ses partis pris courageux et souvent clivants. Aujourd’hui, le ton est mesuré, parfois même hésitant : "Entre la terreur, l’espoir et le déni, je rêve de retrouver la vie d’avant et en même temps je sais qu’on ne peut plus fonctionner comme s’il ne s’était rien passé." 

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Pour Kamel Daoud cette crise sanitaire est "probablement" une crise écologique qui questionne notre rapport à la nature. "Nous sommes devenus une espèce menacée autant que nous étions un espèce menaçante" dit-il. Pour autant, il se méfie "des certitudes" affichées par les militants écologistes. "J’ai l’impression parfois qu’on tente de remplacer le pêché religieux par le pêché écolo" commente l’intellectuel algérien. 

"Je dois bien avouer que les autorités algériennes gèrent plutôt bien la crise sanitaire"

Kamel Daoud a fait le choix de rester avec sa famille à Oran. Ce n’est pas qu’un détail, l’auteur à succès avait la possibilité et les moyens de se confiner en France, son nouveau chez lui, où le système de santé est a priori moins défaillant qu’en Algérie : 

Finalement, je dois bien avouer que les autorités algériennes gèrent plutôt bien la crise sanitaire. Il y a eu un peu de stress les trois premiers jours du confinement avec des craintes de pénuries alimentaires, mais c’est vite rentré dans l’ordre. Et toute la communication autour de la pandémie a été et reste bien gérée, les chiffres des hospitalisations et décès dus au Covid-19 sont donnés tous les soirs, et ils sont suivis avec attention. C’est une bonne chose pour couper court aux rumeurs.  

Notre interlocuteur précise : "En tant que citoyen, je dirai que le bilan est bon, étonnement bon." 

Masque à côté de clés chez l'écrivain.
Masque à côté de clés chez l'écrivain.
- Kamel Daoud

Pendant le confinement et le couvre-feu, les arrestations d’opposants politiques et de journalistes continuent à Alger et dans d’autres villes du pays fait-on remarquer à Kamel Daoud. Récemment, le gouvernement a décidé de censurer deux sites d’information Maghreb Emergent et Radio M :

Il va de soi que je dénonce toute les arrestations politiques et que je suis solidaire avec ceux qui sont en prison, y compris ceux dont on ne parle jamais car ils n’ont pas de relais dans les médias. Néanmoins je dois rajouter que la situation n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire. Il n’y a pas d’un côté un régime dur et de l’autre un courant qui veut démocratiser le pays. Je pense qu’on a de part et d’autre des radicalités qui s’opposent et nous avons aussi de bonnes volontés de part et d’autre qui pourraient travailler ensemble et dégager un consensus.

"Ce n’est pas la fin du monde mais c’est quand même la fin de tout un monde"

Comment l’écrivain imagine-t-il le monde de demain et la vie d’après ? 

"Je crains que cette crise ne plaide pour les hyper-nationalismes et que les populismes vont peut-être s’accentuer. Mais ce qui m’inquiète encore plus c’est que nous risquons de ne plus aller vers l’autre, l’étranger, l’inconnu, comme on l’a toujours fait. Se serrer les mains, s’embrasser, se donner l’accolade, deviennent des actes dangereux. Le Sida avait déjà profondément impacté notre sexualité, le Covid-19 va peut-être tragiquement transformer la façon qu’on a aujourd’hui de toucher l’autre, de l’approcher, d’être à ses côtés." 

Pour Kamel Daoud, cette période "contrairement à ce qu’on avait tous cru au début du confinement" ni le moment propice pour lire et encore moins celui d’écrire. C’est le moment de réfléchir dit-il. "Ce n’est pas la fin du monde mais c’est quand même la fin de tout un monde".

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