Tribune 

« La vie s’est refermée sur les amants clandestins comme un piège », par Nicolas Mathieu

Nicolas Mathieu

Ecrivain

Le prix Goncourt 2018 publie régulièrement, sur Instagram, des « cartes postales » littéraires souvent liées à l’actualité. Comme celle-ci, parue ce lundi 27 avril au temps confiné du coronavirus.

Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.

On imagine la peine des couples clandestins, ceux qui s’aiment en secret, dans le dos d’un mari ou d’une femme qui ne suffit plus. Pour eux, le confinement a sonné le glas des cinq à sept, des chambres d’hôtel l’après-midi, des rencontres à la hâte dans un parking, culotte froissée dans une poche, poitrine mordue dans le noir. Les voici assignés à domicile conjugal.

La ville les sépare comme jamais. Il n’y a plus de TGV pour les infidèles. Le monde a dressé entre eux des murs de règlements et les attestations n’ont pas de case pour leurs sorties en douce, pas de régime dérogatoire pour leurs baisers illégaux. Ils s’appellent peut-être en cachette, on devine leurs textos tapés trop vite au prétexte d’une cigarette, dans un jardin, au bas de l’immeuble. Tu me manques j’en crève ta peau ton cul vivement demain vivement nous.

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Le soir, quand je lève les yeux vers les fenêtres allumées, dans la rue, je soupçonne ces drames relatifs. Dans cette maison, une femme est dans son lit qui pense à des mains d’homme sur ses hanches. A cet étage, un type a mal à force de ne pas tenir contre lui ce corps exilé. A table, il fait bonne figure. La journée, il assure la continuité pédagogique, dit des mots anglais à des gens qui ne lui sont rien dans des réunions à distance dont il se fout. Il sourit à sa femme et son cœur se serre. L’autre est là-bas, elle couchera ce soir avec son mari, qui pourra la sentir et peut-être même lui faire l’amour.

La vie s’est refermée sur les amants comme un piège. Mais à la fin, on verra, quand les verrous auront sauté, ils feront l’amour à en crever, et le pays sera plein de leurs retrouvailles, la France crépitera comme un grand feu de sarments, il y aura derrière les rideaux tirés des petits hôtels du champagne et des sanglots, des dos zèbrés, des draps qu’on empoigne et ces mots si vieux : tu m’as tellement manqué.

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Nicolas Mathieu, bio express

Né en 1978 à Epinal, Nicolas Mathieu est notamment l’auteur d’« Aux animaux la guerre » (Actes Sud), qui a été adapté en série télévisée par Alain Tasma pour France 3, et de « Leurs enfants après eux » (Actes Sud), qui a remporté le prix Goncourt 2018. Il publie régulièrement de courts textes, comme celui-ci, sur son compte Instagram.

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