François Baroin, président des maires de France, en novembre 2019 à Paris

L'ancien ministre de l'Economie se refuse à toute critique de la gestion gouvernementale de la crise du coronavirus.

afp.com/Ian LANGSDON

Si vous cherchez François Baroin, n'allumez pas votre poste de télévision, ne consultez pas vos mails, n'ouvrez pas votre journal. Vous avez peu de chance d'y trouver une mention du président de l'Association des maires de France, avare d'interviews, pas plus présent sur Twitter, le réseau social préféré des politiques. A rebours des autres figures de la droite française - Xavier Bertrand, Valérie Pécresse, même Laurent Wauquiez est sorti de sa réserve - le président de l'Association des maires de France cultive la discrétion depuis le 15 mars. "Je suis très concentré sur ma mission de maire, qui est de protéger la population", accepte-t-il exceptionnellement de confier à L'Express.

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Sur la gestion gouvernementale de la crise, il se refuse à la moindre critique. Pas son rôle, jure l'ancien ministre de l'Economie. Pas le moment non plus. "Je me mets à la place de ceux qui prennent les décisions. Pour avoir été en responsabilité, je suis conscient de la difficulté de gouverner", assure celui qui a encore en tête la crise de 2008 et ses conséquences - même si Nicolas Sarkozy tenait alors le chiraquien éloigné du gouvernement. Une réserve coutumière chez François Baroin. Déjà, en janvier son silence sur la "circulaire Castaner", qui modifiait la présentation des résultats des élections municipales, avait fait jaser, alors que beaucoup de maires s'étaient élevés contre la mesure. "La polémique n'est pas à la hauteur de François Baroin", répondaient alors ses proches. Quid de l'épidémie de coronavirus, qualifiée par Emmanuel Macron de "plus grave crise sanitaire qu'ait connue la France depuis un siècle" ? N'est-elle pas à la hauteur d'un homme dont on évoque régulièrement les ambitions pour la prochaine élection présidentielle ?

"Ce n'est pas quand le

"Il est sur le terrain, les mains dans le cambouis", se borne-t-on à répondre dans son entourage. Chaque jour, le maire de Troyes parcourt les quelques mètres qui séparent son domicile de l'Hôtel de Ville, dont la devise sur le fronton "Liberté, Egalité, Fraternité, ou la mort", rappelle à quiconque l'importance des valeurs républicaines. Là, le quinquagénaire enchaîne les visioconférences, tout en regrettant qu'elles n'insufflent pas la même énergie qu'une réunion en chair et en os.

Pour sa ville, il a commandé 150 000 masques en tissus à l'industrie textile de la région. En tant que président de l'AMF, François Baroin consulte les maires, relaie les bonnes pratiques, tempère les élans des plus zélés, échange jusqu'à deux ou trois fois par semaine avec les ministres, surtout Jacqueline Gourault, Olivier Véran, ou Christophe Castaner. Avec Edouard Philippe, les relations sont bonnes, et l'écoute mutuelle.

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En revanche, il n'échange ni WhatsApp ni coups de fil nocturnes avec Emmanuel Macron : leur première discussion date du 24 avril, soit un mois et demi après le début de la crise. En petit comité, l'ancien ministre émet parfois un avis tranché. Comme lors d'un conseil stratégique du parti Les Républicains, quand, interrogé sur le désir de certains membres de LR de rejoindre Emmanuel Macron pour former une union nationale, il lâche : "Ce n'est pas quand le Titanic sombre qu'on monte dedans."

Le maire de Troyes François Baroin, et Emmanuel Macron, au 100e congrès des Maires de France, en 2017, à Paris

Le maire de Troyes François Baroin, et Emmanuel Macron, au 100e congrès des Maires de France, en 2017, à Paris. Leur première discussion depuis le début de la crise date du 24 avril.

© / afp.com/ludovic MARIN

Et s'il manquait de courage?

Il n'empêche, au sein de la droite, la réserve du Troyen inquiète. Dans un parti ravagé depuis la défaite à l'élection présidentielle de 2017, nombreux sont ceux qui aimeraient voir en lui l'incarnation de la relève. Jusqu'ici, le taiseux a tout fait pour éviter de se prononcer sur son envie de se lancer dans la course à la présidentielle en 2022, laissant les uns et les autres tergiverser sur son entrain. Les oracles n'ont plus qu'à interpréter les signes. Son silence serait-il celui du renoncement ? Les avis divergent. Ceux qui ont toujours douté du courage du bébé Chirac y voient naturellement une confirmation de leurs doutes.

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"On a le sentiment qu'il manque d'envie... La droite a besoin de gens solides qui donnent une direction", assène un député, peu convaincu. "Vous y avez déjà cru, vous, à l'hypothèse Baroin ?" grince un ténor de LR. Ceux qui le soutiennent ont le blues. "La séquence ne lui est pas très favorable..." glisse un ancien ministre. François Baroin entend-il ces amis qui le pressent d'intervenir ? Brice Hortefeux, qui lui conseille de faire entendre sa voix de président de l'AMF, en demandant par exemple que les maires distribuent les masques et le gel ayant servi au premier tour des municipales ? A tous ceux qui lui conjurent de sortir de sa réserve, il rétorque : "C'est le temps du pouvoir et des experts."

Hors de question, dans cette période, de se montrer déloyal à l'égard du président de la République. Ni de se prononcer en faveur ou non de la chloroquine. Pas son job. Le patron des maires, certes, prépare une prise de parole pour les prochains jours, mais ce sera pour faire des propositions, sur l'organisation de l'Etat et sur l'Europe. Il laisse les polémiques aux parlementaires chargés d'animer les commissions d'enquête qui ne manqueront pas de fleurir. "Les Français ont peur, il faut faire tout ce qui est possible pour les rassurer", répète-t-il en privé de sa voix grave.

Capitaine discret

Ceux qui ont connu une autre époque, celle de Nicolas Sarkozy, s'étouffent. Les deux hommes ont pourtant échangé il y a trois semaines. "Il est dans le partage des idées avec François Baroin", témoigne un proche du maire de Troyes, qui ajoute : "Mais il n'est pas dirigiste, il considère François comme un grand garçon." Faut-il voir dans la discrétion de François Baroin le signe qu'il rechigne à se lancer corps et âme dans la course à la présidentielle ? Attention aux conclusions hâtives, tempère sa garde rapprochée. "Les gens oublient toujours que François a été journaliste, et qu'il sait très bien gérer le temps médiatique", assure son ami le ténor du barreau Francis Szpiner. "S'il prenait la parole maintenant, il pisserait dans un violon", ajoute le député du Pas-de-Calais Pierre-Henri Dumont.

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Avant le confinement, il corrigeait gentiment les jeunes députés qui, pour le charrier, le saluaient dans les couloirs du parti d'un tonitruant "bonjour, monsieur le président !" "Arrête avec ça", répondait-il dans un sourire. La crise du coronavirus change-t-elle la donne ? "Je pense que la situation actuelle renforce son envie d'y aller. Car il voit tout ce qu'il aurait pu faire autrement, et à quel point le pays à envie d'un capitaine", assure un proche. Et que dans la tempête, un capitaine doit savoir se taire et agir avec discrétion, aurait pu ajouter François Baroin. Mais gare à l'excès de prudence. "Il faut, parmi le monde, une vertu traitable : à force de sagesse, on peut être blâmable", prévient Philinte dans Le Misanthrope. Une trop grande retenue pourrait aussi nuire à la santé politique.

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