Voitures dégradées et mots d'insultes : des Parisiens pas toujours les bienvenus dans les remparts de Saint-Malo

Des « Casse toi » apposés sur les pare-brise des voitures immatriculées en région parisienne, quand elles ne sont pas parfois dégradées. Ambiance dans les remparts de Saint-Malo.

« L’invitation » laissée sur cette voiture immatriculée en région parisienne est claire…
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Autocollants sur les pare-brises, plaque d’immatriculation arrachée, « mots doux » inscrits sur les pare-choques… Plusieurs voitures stationnées dans les remparts de Saint-Malo et qui ont le malheur d’être immatriculées dans la région parisienne ont eu droit à ce genre de « souvenirs » ces dernières semaines.

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Violence sur les réseaux sociaux

Sur Internet, les réseaux sociaux s’enflamment à la moindre évocation des arrivées de Parisiens avant ou pendant le confinement.

Les voilà accusés de tous les maux : ils videraient les rayons des supermarchés, viendraient en vacances quand les locaux sont scrupuleusement confinés, seraient responsables de la fermeture des plages, et auraient bien sûr apporté le coronavirus dans notre région « relativement » épargnée.

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Les ambulanciers n’hésitent pas à évoquer des patients transportés. Yann parle ainsi d’une « Parisienne arrivée il y a trois jours, transportée à l’hôpital avec une suspicion de Covid » avant de finir par la qualifier elle et ses semblables « d’inconscients égoïstes. »

« Toujours les mêmes qui ne respectent rien » pour Gaëtan, tandis que Romain répond à Jacques qui tentait de demander un peu de bienveillance :

« Ils arrivent de l’endroit névralgique du virus et vous leur souhaitez la bienvenue… S’ils vous contaminent vous les remercierez d’être venus à Saint-Malo ? »

Un dernier fait tomber le couperet sur « les parisiens » venus pour fuir un confinement dans des appartements étriqués :

« Habiter dans une cage à lapin sans ascenseur à Paris est un choix. »

Des commentaires comme ceux-là, il y a en a eu des centaines…

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« Casse-toi »

Dans les rues, la violence virtuelle devient parfois réelle.

C’est surtout au petit matin, et à notre connaissance uniquement Intra-Muros, le « quartier historique » de Saint-Malo, que l’on voit la « haine anti-parisien » se déployer. Et cela se passe sur les voitures.

Comme à la porte Saint Pierre, cette voiture immatriculée 91 qui s’est vue gratifier d’un « Casse-toi » sur son capot. Écrit au marqueur, que l’on n’espère pas indélébile…

Cette voiture immatriculée 92 qui s'est vue gratifiée d'un « Casse-toi » sur son capot. Écrit au marqueur, que l'on n'espère pas indélébile...
Cette voiture immatriculée 91 qui s’est vue gratifier d’un « Casse-toi » sur son capot. Écrit au marqueur, que l’on n’espère pas indélébile…

Il y a eu aussi des petits mots doux scotchés sur des portes d’habitation, signés d’un « habitant du caillou. » Certaines victimes de cette vague de haine ont fait part de papiers dans la même veine, collés sur les vitres des véhicules. Impossible de tout enlever…

« Je vis et travaille à Saint-Malo, j’aimerais que les prétendus justiciers d’intra me fichent la paix »

Comme cette professionnelle de la recherche médicale qui témoigne :

« On m’a écrit avec de la colle les chiffres 75 sur mon pare-brise. Très difficile à enlever et pas de visibilité en conduisant. Je vis et travaille à Saint-Malo, j’aimerais que les prétendus justiciers d’intra me fichent la paix. »

Plaintes au commissariat

Mais les « anti-parisiens » se renouvellent : désormais ils tentent d’arracher les plaques d’immatriculation.

Mais les « anti-parisiens » se renouvellent : désormais ils tentent d'arracher les plaques d'immatriculation.
Mais les « anti-parisiens » se renouvellent : désormais ils tentent d’arracher les plaques d’immatriculation.

Mauvaise cible que cette voiture du 91 : Jean-Marc, son propriétaire, est issu d’une lignée de Malouins depuis sept générations. Il vit bien ici mais occupe un emploi à Paris… en télétravail. Cette voiture à la plaque en partie arrachée n’est autre qu’un véhicule de fonction. Plutôt contrarié de retrouver la voiture de son entreprise dans cet état après n’être pas sorti pendant trois jours de chez lui, il a déposé une plainte au commissariat.

« Nous avons déjà reçu deux plaintes » nous expliquait, il y a dix jours, le commissaire Guillaume Catherine qui espère que les choses se tasseront rapidement…

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Des autocollants 35 pour cacher leurs 75

Face à ces comportements, les « Parisiens » n’osent plus vraiment sortir de leurs appartements. Ou collent des autocollants 35 sur leurs 75. Le gérant du tabac en a vendu quelques-uns ces jours-ci, et on les voit fleurir sur les plaques. Mais ça ne suffit pas toujours :

« Ma voiture garée en bas de chez moi le long des remparts s’est vue arracher l’autocollant 35 que j’ai collé sur la plaque initialement 75 »…

Quand on les trouve, ceux qui acceptent de dire quelques mots demandent l’anonymat, faut-il se résoudre à écrire « par peur des représailles. »

« Je me sens Malouine »

« Je regarde ma voiture chaque jour en me disant que je vais finir avec un pneu crevé, » témoigne une jeune femme habitante des Hauts-de-Seine, arrivée le 16 mars, soit la veille des mesures sanitaires, dans sa résidence secondaire.

« Je me suis dit que ce serait beaucoup plus agréable pour les enfants d’être ici. »

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Cet appartement, elle y a habité une partie de son enfance. Elle a fréquenté la petite école d’Intra-Muros, et sa grand-mère habitait à Saint-Servan.

« Je me sens tellement Malouine… et en même temps considérée comme une pestiférée. Ce n’est pas très agréable. »

Ces regards sombres, elle les a sentis sur elle il y a quelques jours alors qu’elle venait chercher quelque chose dans son coffre et que deux couples de retraités passaient auprès d’elle. « Ils m’ont dévisagée et ont murmuré deux trois choses… »

« Ça ne donne pas envie de venir »

Si cet anti-parisianisme ne la décourage pas de venir, ce n’est pas le cas d’autres qui commencent à se poser la question. Céline le dit dans un commentaire sur Facebook :

« J’ai le plaisir de posséder depuis 30 ans un petit bout de grenier près de la place du Marché aux Légumes. Je ne suis pas sûre d’avoir envie d’y revenir lorsque, dans quelques mois, les choses seront redevenues normales. Penser, en traversant la rue Porcon, que les 3 ou 4 personnes qui me souriront ont peut-être écrit les horreurs que je viens de lire me donnerait immédiatement envie de rendre tripes et boyaux dans le caniveau. »

Pour Jérôme : « Ça ne fera pas de bien au tourisme si les touristes parisiens et d’ailleurs lisent les commentaires réguliers ici qui les vouent aux gémonies ».

Ça ne donne pas envie de venir. Par leurs commentaires haineux, quasi racistes et souvent injustifiés, de nombreux commentateurs sont en train de flinguer 30 ans de changement d’images de la Bretagne. C’est triste. Personne n’a gueulé dans le sud… »

Des volets ouverts

On ne va pas le nier, de nombreux résidents hors de la commune sont arrivés à Saint-Malo, particulièrement intra-muros. « Je vois des clients que j’ai habituellement aux vacances… » explique une commerçante. « Des volets se sont ouverts » ajoute une autre.

Le commissaire l’admet :

« Il y en a qui sont passés entre les mailles du filet… »

Dans les rues en tout cas, ce n’est pas l’invasion des grands jours estivaux. Le confinement Intra-Muros comme ailleurs à Saint-Malo est globalement respecté. « Les gens qui sont dehors ont le droit de l’être », précise Guillaume Catherine. Et le quartier ne souffre pas de pénurie : les boulangers ont des invendus sur les bras chaque soir et le supermarché voit ses rayons bien fournis. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça ne se bouscule pas au portillon.

« Halte à la stigmatisation »

Comme une bouffée d’oxygène dans cette ambiance pesante, ces Parisiens malmenés ne sont pas « détestés » de tous.

D’abord sur le web, quelques voix s’élèvent dans la masse de commentaires injurieux. Comme celle de Gabriel :

« Halte à la stigmatisation, qu’ils soient touristes, résidents secondaires ou étrangers, ça devient indécent comme débat… heureusement que c’est pas la guerre… pourquoi pas leur proposer une étoile jaune ? »

Ou bien encore celle de Doom’z : « Déferlante de haine, vous ressemblez à un peloton d’exécution, on continue dans la haine de l’autre ou en essaie de vivre ensemble ? »

« Si on ne devait compter que sur les gens qui habitent Saint-Malo, on n’irait pas bien loin ! »

Des commerçants les défendent

Pour prendre leur défense, il y a aussi les commerçants. Une boulangère s’insurge en apprenant cette chasse à l’homme :

« On est bien contents qu’ils viennent toute l’année ! Si on ne devait compter que sur les gens qui habitent Saint-Malo, on n’irait pas bien loin ! »

Des habitants manifestent aussi leur désolidarisation. « C’est incroyable… les gens sont fous… » soupire ce jeune résident.

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Quelques-uns ont leur théorie sur cet excès de chauvinisme malouin : les rancœurs auraient été attisées par la fermeture des remparts, vécue comme une punition par les Malouins alors que, dans leur esprit, ce sont les Parisiens qui enfreignaient les règles. Mais cela n’excuse pas ces comportements.

Yoann E, habitant des murs, a pris l’initiative d’écrire un petit mot doux lui aussi à celui ou ceux qui dégradent les voitures depuis quelques jours :

« Nous, Bretons, sommes respectueux et courageux […] Au nom de tous les Malouins agressés, si Malouin tu es, fais-toi connaître, et assume ta lâcheté et ta bêtise […] Moi, Malouin du Caillou, je te défie, sûr que je suis, certain que tu n’auras pas ce courage ni la dignité des nôtres […] J’attends ton nom »

À ce jour cet appel est resté sans réponse…

Reportage de Sophie Le Noën

Yoann E, habitant des murs, a pris l'initiative d'écrire un petit mot doux lui aussi à celui ou ceux qui dégradent les voitures.
Yoann E, habitant des murs, a pris l’initiative d’écrire un petit mot doux lui aussi à celui ou ceux qui dégradent les voitures.

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