La téléconsultation médicale : une pratique ancienne et délicate

Lettre enluminée ©Getty - Leemage/Universal Images Group
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Brutalement revenue sur le devant de la scène afin de déjouer les mécanismes de contagion grâce aux progrès des technologies de la communication, la téléconsultation ne date pourtant pas d'hier. Au XVIIIe siècle, il était même courant de consulter un médecin... par voie épistolaire ! Xavier Mauduit s'entretient avec Isabelle Robin, historienne du soin.

La médecine moderne a fait de l'examen clinique (palpation, auscultation, questions et autres examens) et de l'échange en tête-à-tête entre le praticien et son patient le socle de toute consultation. Au point qu'il n'y a pas si longtemps, l'idée d'effectuer une consultation à distance, par téléphone, visioconférence, voire par simple lettre ou e-mail, nous aurait semblé parfaitement incongrue. 

Pourtant, à la faveur du développement des technologies de communication et de la saturation de certaines branches de notre système de santé - et plus encore depuis le début de l'épidémie de Covid-19 et de ses impératifs de distanciation - la téléconsultation médicale s'est imposée comme une alternative à la consultation en présence. Ecrire à son médecin a pourtant longtemps été un moyen parfaitement classique d'avoir recours à son savoir ! Au début du XVIIIe siècle par exemple, la consultation épistolaire est une activité routinière, quasi quotidienne, d'un médecin parisien. 

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Mais comment consultait-on à distance alors ? Quel type de relation médecin-patient rendait cet exercice possible ? Et en quoi cette relation était-elle différente de celle qui nous unit à notre médecin aujourd'hui ? Xavier Mauduit, producteur de l'émission Le Cours de l'histoire, s'entretient avec Isabelle Robin, historienne du soin et de l'assistance. 

Une autre conception de la médecine...

Xavier Mauduit : Comment, en tant qu'historienne, en êtes-vous arrivée à étudier ces consultations épistolaires ? 

Isabelle Robin : A l'époque moderne, en particulier au XVIIIe siècle, c'est une pratique très ordinaire que d'échanger avec son médecin par lettre, en écrivant ses problèmes, ses souffrances, les symptômes, etc. En retour, les patients attendent que le médecin leur envoie ce qu'on appelle un concilium, c'est à dire un avis, une "consultation écrite" détaillée. Celle-ci comprend une analyse de la maladie, un diagnostic, des indications ; enfin, la dernière partie est consacrée aux remèdes. Cette pratique était assez courante - à partir du moment où les gens savaient lire et écrire, bien sûr - et il existe des fonds de correspondance de ce type-là un peu partout en Europe. Pour ma part, j'ai travaillé sur un fonds parisien, celui d'Étienne François Geoffroy, qui a vécu au tout début du XVIIIe siècle et exercé pendant une vingtaine d'années. 

XM : Comment se comporte un médecin face à son patient au XVIIIe siècle, "en vrai" ?

IR : Il est très difficile de le savoir parce que les sources directes de ce qui se passe lors de ce qu'on appelle le "colloque singulier", c'est-à-dire cette rencontre entre le médecin et le malade - qui d'ailleurs peut ne pas être une rencontre à deux, mais inclure d'autres personnes - sont peu nombreuses. On sait que l'échange reposait essentiellement sur la description faite par le malade de ce qu'il ressent, de ses problèmes, etc. Il y avait parfois des examens - pas une auscultation telle que nous la connaissons, mais il pouvait y avoir palpation : pour reconnaître une tumeur, sentir un ganglion, un gonflement quelconque d'un organe. Aujourd'hui, on a très vite dans une rencontre avec un médecin un moment d'examen du corps : au XVIIIe ça n'est pas systématique, parce que ce n'est pas considéré comme indispensable. 

En savoir plus : Nuit de la Médecine
Histoire des médecins

... et un autre rapport au temps

XM : Au XVIIIe siècle, si les postes fonctionnent plutôt bien, il faut malgré tout du temps pour acheminer un courrier. Est-ce à dire que ces consultations épistolaires ne concernent que certaines maladies ? 

IR : Bien sûr. Aujourd'hui, quand nous nous parlons de téléconsultation, nous sommes dans l'immédiateté ; au XVIIIe siècle, Laval est à six heures de cheval de Paris ; Rennes à huit heures : il faut donc compter quinze jours environ pour avoir une réponse de son médecin. Cela ne peut donc pas concerner une maladie qui évolue trop vite : souvent, ce sont des maladies chroniques qui font l'objet de ce type de demandes. Si l'on est dans une épidémie de variole, cela ne sert à rien d'écrire parce qu'on n'a pas le temps d'avoir une réponse... Et puis, si la maladie est bien identifiée, on n'a pas forcément besoin d'aller faire appel à un médecin qui est si loin.

XM : A quel moment cette pratique commence-t-elle à paraître archaïque ? 

IR : Pendant longtemps, elle est aussi un moyen pour les médecins de faire connaître leurs pratiques, de les donner à lire à des confrères plus jeunes ou à des étudiants : beaucoup de médecins au XVIIe ou au XVIIIe siècle publient des recueils de leurs "consultations écrites" qui constituent de véritables ouvrages de pratique médicale. A partir du XIXe siècle, ces recueils ne vont plus être jugés très probants. D'autre part, au début du XIXe siècle, la médecine connait des transformations très importantes. La promotion d'une médecine qui ausculte les malades, systématiquement, impose la présence du médecin au pied du lit du malade, à l'hôpital ou chez lui. A partir de là, la consultation épistolaire perd de son intérêt.

XM : Nous assistons donc à la résurgence d'une pratique considérée comme archaïque il y a peu de temps encore ?

IR : Il y a une quinzaine d'années, quand j'ai commencé à m'intéresser à ce type de sources, j'ai souligné à quel point il nous paraissait étrange aujourd'hui d'avoir ce système d'échanges avec son médecin. Cela étonnait tout le monde l'idée qu'on pouvait soigner à distance ! C'était tellement sorti de nos esprits et de nos pratiques. Effectivement, depuis quelques années - et encore plus depuis quelques semaines - la consultation à distance a resurgi comme une évidence - avec cette question de la temporalité qui a complètement changé puisqu'on peut avoir une réponse immédiate. C'est assez étonnant de voir que l'on revient à une pratique qui paraissait totalement dépassée, que l'on jugeait davantage comme une curiosité amusante plutôt qu'une pratique utile à la médecine contemporaine.  

Un podcast réalisé par Milena Aellig

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