La continuité pédagogique, une pression supplémentaire pour les familles en difficulté

confinement : quand la difficulté scolaire s'ajoute aux difficultés économiques et sociales ©Getty -  Westend61
confinement : quand la difficulté scolaire s'ajoute aux difficultés économiques et sociales ©Getty - Westend61
confinement : quand la difficulté scolaire s'ajoute aux difficultés économiques et sociales ©Getty - Westend61
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Comment est vécu le déploiement de la continuité pédagogique par les familles qui disposent de peu de moyens, a fortiori quand la préoccupation prioritaire de certaines d'entre elles est d'ordre alimentaire ? Éléments de réponses avec l'association qui regroupe des parents d'élèves du quartier populaire du Petit Bard à Montpellier, qui fait partie des réseaux d'éducation prioritaire (REP).

Aujourd’hui dans L’école, comment faire ? la continuité pédagogique dans les quartiers populaires, la perspective du déconfinement et du retour à l’école.

Pour en parler, l'équipe d'Etre et savoir a interrogé Fatiha Ait Alla -invitée en 2019 dans l’émission pour évoquer les actions du collectif des parents du Petit Bard, une association de quartier mobilisée depuis 2015 contre les inégalités scolaires à Montpellier. Cette mère d'élève engagée souligne l’importante solidarité et la mobilisation des réseaux d’entraide, des associations, et des enseignants pour faire face aux urgences sociales, alimentaires et éducatives dans les quartiers populaires - une solidarité qui selon elle ne peut toutefois suffire.

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A la veille d’un retour à l’école qui semble inquiéter de nombreuses familles, Fatiha Ait Alla évoque la manière dont l’impératif de continuité pédagogique a pu être suivi, perçu et vécu au Petit Bard.

Louise Tourret : Comment l'exigence de continuité pédagogique a-t-elle été comprise et appliquée dans les familles de votre quartier ?

Fatiha Ait Alla : Avec le confinement, une pression scolaire certaine s'est installée dans de nombreuses familles, puisque l’enfant est à la maison et qu'il faut éviter qu’il ne soit plus en difficulté qu'auparavant. La situation a généré plus de stress, d’anxiété et d’inquiétude, car certaines familles n’ont pas la possibilité d'aider les enfants, elles se heurtent à des barrières de compétences, de connaissances, de langue, même si c’est assez hétérogène, toutes les familles du quartier ne rencontrent pas les mêmes problématiques. Mais il est bien sûr nécessaire de parler de celles qui sont le plus en difficulté...

LT : Comment avez-vous essayé de vous entraider dans ce quartier où la solidarité est importante ? 

FAA : Oui, il y a de la solidarité au Petit Bard, et ce n’est pas nouveau. En ce qui concerne la question scolaire, on a la chance de pouvoir compter sur des personnes qui sont très solidaires et qui prennent du temps pour aider leurs voisins ou des personnes du quartier. Par exemple par le biais de visioconférences avec des groupes qui se créent notamment via les réseaux sociaux, et ça permet de transmettre les outils, des méthodologies, mais aussi de prendre le temps d’écouter et de voir quels sont les besoins, et l'entraide se fait. Les personnes qui ont des facilités et qui sont disponibles peuvent aider celles qui sont en difficulté, mais est-ce suffisant ? Bien sûr que non. On constate que cette continuité pédagogique avec l’école à la maison n’est pas réalisable au bout du compte. On peut arriver à maintenir certains acquis scolaires grâce aux activités que les enseignants transmettent : donner des exercices, des outils, sachant qu'ils prennent également des nouvelles régulièrement et essayent de motiver les élèves comme ils le peuvent pour qu’à la maison, l'apprentissage puisse continuer. Mais on ne peut pas vraiment parler de continuité pédagogique... 

Et en même temps, ce n’est pas la priorité, je le rappelle, pour les familles les plus en difficulté. Vous imaginez que lorsqu’il y a un petit logement partagé par beaucoup de personnes, avec des enfants qui n’ont pas le même âge, il y a déjà une pression sociale et économique auxquelles vient se rajouter la pression scolaire. Or, pour certaines familles, la priorité c’est de se nourrir. Ces conditions particulières révèlent des inégalités déjà existantes, qui s'accentuent avec le confinement. Dans l'association, on pense aux parents qui ne peuvent plus travailler ou qui ont perdu leur travail. Heureusement, nous avons à Montpellier des associations qui dès le départ sont restées mobilisées, et qui aujourd’hui sonnent l’alerte. Il y a même des enseignants qui disent "Attention, il y a des familles en difficulté au point qu'on ne sait pas si elles ont de quoi se nourrir".

Rue des écoles
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LT : Philippe Saurel, le maire de Montpellier, est plutôt opposé à la reprise de l’école. Comment cette rentrée - progressive, non obligatoire et dont on ne connait pas encore toutes les modalités - est-elle perçue dans les familles que vous côtoyez ? 

FAA : Pour les parents, c’est très clair, ils n’enverront pas leurs enfants à l’école tant qu’ils ne seront pas rassurés sur les conditions et la sécurité sanitaire. On fait confiance aux enseignants, on sait qu’ils vont pouvoir faire face à un mois, deux mois, trois mois d’enseignement à distance, et combler le retard au moment de la reprise. Ils travailleront pour combler les retards et les difficultés des enfants.

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LT : Votre association s’est toujours mobilisée contre les inégalités socio-scolaires. Craignez-vous que celles-ci se creusent à la faveur d’un confinement ? Vous apprêtez-vous à porter une parole sur cette question à la rentrée prochaine ?

FAA : Notre plus grande inquiétude porte sur l'après-confinement en effet. Que fera-t-on ? Nous tenons beaucoup à nos belles valeurs. Aujourd’hui, si avec le confinement nous sommes tous également privés de liberté, nous ne sommes pas tous égaux face aux conditions dans lesquelles il est vécu. C'est pourquoi nous faisons appel à une chose en laquelle nous croyons profondément : la fraternité. Pour que tous ensemble, on puisse faire face à ces inégalités et tous ensemble, œuvrer pour les surmonter. 

Bien sûr, ces inégalités ne datent pas d’aujourd’hui dans les quartiers populaires, mais le phénomène s'est accentué avec le confinement, et cela sera sans doute pire après. Comment feront ceux qui ont perdu leur travail pour en retrouver? Les personnes qui étaient en difficulté sociale le seront d’autant plus. Les enfants qui étaient en difficulté scolaire, comment allons-nous pouvoir les aider à relever le niveau, sans moyens ? Nous y arriverons en mettant en place - de manière plus large avec les élus, les institutions, le gouvernement - une politique pour pouvoir lutter contre ces inégalités. 

Nous serons toujours mobilisés tant que la situation ne changera pas, tant qu’il y aura des inégalités, et tant que nous serons dans l'impossibilité de faire vivre les belles valeurs républicaines auxquelles nous croyons.

Trois points à retenir :

  • La solidarité ne s'arrête pas avec le confinement, on s'entraide grâce à des discussions, des appels en visio. Des enseignants se sont mobilisés pour les élèves, et même si la continuité pédagogique est parfois difficile à mettre en œuvre dans certaines familles, ils ont pu repérer et aider des familles en difficulté.
  • Le retour à l'école n'est pas envisageable si les conditions ne sont pas réunies et elles ne semblent pas l'être. Les familles préfèrent attendre plutôt que d'alimenter une angoisse déjà importante autour des enjeux scolaires.
  • L'après confinement sera aussi un moment de mobilisation pour les association telles que "Les parents d'élèves du Petit Bard" car les inégalités scolaires auront augmenté.

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