Entre le moment où Jeanne a pris la décision de rentrer en France et celui où elle a atterri à Roissy, il s’est écoulé moins de soixante-douze heures. “Le retour des États-Unis a été très chaotique. Ne vivant pas dans une grande ville, tous les vols directs vers la France étaient annulés. Après quatre modifications de mon billet et plus de six heures au total passées au téléphone, j’ai enfin pu attraper un vol. À l’arrivée, pas de famille, pas d’amoureux, pas d’amis pour m’accueillir…”

Rester sur place ou rentrer ? Pour la plupart des étudiants français inscrits cette année dans une université étrangère la décision a pris un tour crucial. En jeu : le risque de perdre le bénéfice d’un stage, d’une année ou d’un semestre d’études, et parfois beaucoup plus. Ou bien celui de rester séparé de ses proches pour de longs mois.

“Ma présence là-bas avait perdu tout son sens”

Quand, à la fin du spring break, son université a annoncé que tous les cours étaient transférés en ligne, Jeanne a d’abord pensé rester aux États-Unis, dans la petite ville universitaire de la côte Est où elle était en train d’écrire sa thèse et où “tout tourne autour du campus”. “Rester confinée en suivant les directives françaises alors que les autres ne le faisaient pas ne me posait pas de problème.” Puis les bibliothèques ont fermé en même temps que les centres sportifs et la vie sur le campus s’est presque éteinte. “Sans accès aux professeur.e.s qui m’accompagnaient dans mes recherches, ma présence là-bas avait perdu tout son sens”, regrette-t-elle.

À la veille de son départ, la vente de presque tous ses meubles en un temps record a rendu “très manifeste” à ses yeux la panique ambiante. “Les gens se préparaient à devoir se confiner chez eux, ils achetaient vite et sans marchander. La mère de ma colocataire américaine lui a fait livrer 48 rouleaux de papier-toilette via FedEx. Mon autre colocataire, une Espagnole, est rentrée du supermarché en me disant que les rayons de boîtes de conserve étaient presque vides…”

Oui, le Covid-19 a bouleversé mon année à l’étranger et j’ai encore du mal à accepter qu’elle se soit terminée de cette manière.”

“J’ai cours de 20 heures à 2 heures du matin !”

Inscrit à l’université de Montréal, Édouard avait lui aussi envisagé d’abord de rester, mais en accord avec ses parents il s’est finalement décidé le 20 mars pour un départ définitif le 22 au soir. “Ce qui a motivé mon choix : l’absence de couverture santé adéquate pour les étrangers au Québec, l’incertitude sur la façon dont les liaisons aériennes allaient être assurées au cours des prochains mois et l’impossibilité de travailler durant la session d’été.” Une décision facilitée par les mesures prises par l’université de Montréal, qui a très vite programmé une session d’été intégralement en ligne. Résultat : confiné en France, Édouard reste quant à lui serein. “Je suis seul, c’est idéal pour travailler. Même si le déroulé des cours en ligne rend les choses un peu compliquées. Les examens ont lieu à l’heure de Montréal et produire un travail de qualité dans ces conditions est un peu difficile.”

“Vu l’évolution de la crise et l’expiration de mon visa en avril, c’était sûrement la bonne décision à prendre”, confirme également Maxime, en dernière année à l’école des Mines d’Alès, qui a écourté son semestre d’hiver à l’université de Sherbrooke. Mis à part ses regrets d’avoir dû quitter bien trop tôt un pays “génial” et des gens “extrêmement généreux”, Maxime ne se plaint lui aussi que de son emploi du temps décalé :

De retour en France, je continue de suivre les cours en visioconférence pour valider mon semestre. Avec le décalage horaire, avoir cours de 20 heures à 2 heures du matin et passer un partiel de 19 heures à 22 heures, c’est assez folklorique. Ça n’arrive qu’une fois dans la vie… Merci le Québec !”

“Rentrer, c’était risquer de ne pas pouvoir revenir”

Au contraire, Yolène se félicite d’être restée à Vienne. Arrivée dans la capitale autrichienne le 18 février pour un séjour d’un semestre, elle a vu sa résidence universitaire commencer à se vider dès le 10 mars, à l’annonce des mesures de confinement. “J’ai dû prendre une décision rapide et j’ai choisi de rester. D’abord, parce que je ne voulais pas prendre le risque d’être contaminée dans l’avion et de contaminer d’autres personnes. Ensuite, parce que je ne savais pas ce qu’il en serait de mon semestre si je quittais Vienne. Rentrer, c’était prendre le risque de ne pas pouvoir revenir…”

Heureusement, l’Autriche est l’un des pays d’Europe à avoir géré la situation “au mieux”. Alors que le pays ne recense que 410 décès pour une population de 9 millions d’habitants, le confinement n’a jamais été total :

On peut sortir se balader seul ou avec les gens avec qui l’on habite. Finalement, j’ai bien fait de rester à Vienne.”

 La semaine dernière, les habitants ont même été autorisés à retrouver le chemin des parcs et jardins publics. Dans la résidence universitaire où vit Yolène, la solitude est par moments difficile à supporter. “Ceux qui sont restés sont confinés dans leur chambre…” Mais justement le confinement devrait être partiellement levé début mai. “Ça motive à garder le sourire et la motivation à se lever tous les matins.”

“Je n’étais pas prête à rentrer”

“Ici, à Cork, la situation est moins catastrophique que dans les grandes villes en France”, constate également Brunaelle, étudiante en master Relations internationales et actuellement en échange Erasmus en Irlande. “Le confinement (annoncé jusqu’au 5 mai) est moins strict qu’en France, nous n’avons pas besoin d’attestation. Les rues sont encore parfois bien remplies des passants en balade avec les beaux jours.” Pas question pour elle de quitter sa vie à Cork dans la panique et la précipitation, comme beaucoup d’autres étudiants l’ont fait :

J’ai eu le choix, contrairement aux étudiants américains, par exemple, qui ont dû rentrer aux États-Unis. L’année Erasmus est une année si particulière, qui a nécessité beaucoup de préparation, sur le plan administratif mais aussi au niveau psychologique (pas facile de quitter sa ville, sa famille, ses amis, ses repères !) que je n’était pas prête à partir. Je ne souhaitais pas, par ailleurs, prendre le risque de rapporter le virus chez moi, sachant que mon père a des soucis de santé.”

L’essentiel pour Brunaelle : finir son année à Cork “dans des conditions particulières, certes, mais pour mieux préparer mon retour sur tous les plans”. Concernant ses études, elle n’a “aucun souci”. Son université d’accueil a évidemment fermé mais la continuité pédagogique est assurée sans encombre. “Heureusement, la fac est très bien équipée pour le partage des cours en ligne. Les professeurs sont très accessibles par mail, discussions de groupe, Skype, appels individuels si besoin. La bibliothèque universitaire reste largement accessible en ligne et les examens se passeront également en ligne.” Seul souci, le confinement a impacté ses recherches de stage de juin à septembre : “J’ai besoin d’une expérience professionnelle pour assurer mes chances pour le stage obligatoire de fin d’études.” Or la plupart des offres sont suspendues dans les associations et les organisations internationales.

La vie est quand même étrange pour moi ici : l’ambiance n’est pas du tout la même que lors des mois précédents. Nous sommes habitués à rencontrer plein de gens, à bouger, à sortir… L’année Erasmus n’est pas faite pour rester enfermer dans sa chambre ! C’est donc une fin d’année d’échange très atypique. Mais je suis contente d’être rester en Irlande. Je considère que cela fait pleinement partie de mon expérience à l’étranger.”

“Je veux vivre mon Erasmus jusqu’au bout !”

Egalement en année Erasmus, mais en Espagne, à Valence, Océane a d’abord très mal pris les mesures de confinement. “J’étais frustrée de devoir changer complètement de mode de vie. Parce que la vie en Erasmus est bien remplie. On est actif tout le temps, on n’a jamais un jour sans rien faire. C’est une vie à cent à l’heure. Devoir rester chez soi d’un jour à l’autre pour une durée indéterminée après avoir vécu ça, c’est dur ! Surtout lorsqu’on sait que cette expérience géniale ne dure que quelques mois.”

La plupart de ses amis sont rentrés dans leur pays d’origine. Océane, elle, a préféré rester. “Je savais que je n’allais pas être seule : je vis dans un appartement avec trois colocataires avec qui je m’entends très bien. Et je ne voulais pas risquer de contaminer mes proches.” Surtout, elle n’était pas prête à accepter l’idée de rentrer en France sans savoir si elle allait pouvoir retourner à Valence :

Je veux vivre mon Erasmus jusqu’au bout. Ce confinement fait aussi partie de mon expérience. Surtout avec des colocataires internationaux : un Belge, une Péruvienne et une Espagnole.”

À Valence, l’université a mis en place des cours et des examens en ligne, “donc je peux continuer mon semestre, même si c’est assez dur de trouver la motivation pour réviser ses cours”. “Ici, le confinement est strict et on ne peut sortir que pour aller faire des courses. Heureusement nous avons un toit terrasse sur notre immeuble, ce qui nous permet de nous dégourdir les jambes lorsqu’il fait beau.” Retour en France prévu fin juin, mais “j’attends de voir comment la situation évolue pour prendre mon billet”.

“Pas question de quitter une ville qui a tant à m’apporter !”

C’est le 19 janvier dernier que Céline a posé pour la première fois le pied sur le sol new-yorkais pour effectuer un semestre d’études en sciences politiques et relations internationales à Columbia University. Le 22 mars, le gouverneur de l’État de New York annonçait le confinement général. “Deux mois trop courts, au cours desquels j’ai pu étudier, visiter, m’émerveiller en toute liberté. Puis tout s’est enchaîné rapidement : l’annulation des premiers cours de Columbia dès le 9 mars, l’arrêt des écoles de New York dans la même semaine, la fermeture des cafés, restaurants, musées et discothèques dans l’ensemble de la ville.”

À l’inverse de la majorité de ses amis étudiants français, Céline a décidé de rester dans sa “tanière” new-yorkaise :

Pas question de quitter cette ville qui commençait à m’être familière et qui avant encore tant à m’apporter, même d’une autre manière !”

Elle a la chance de vivre à New York dans de bonnes conditions, au sein d’une famille américaine d’origine dominicaine. “En plein Manhattan, mon logement possède également un petit jardin particulier, où je peux profiter des premiers beaux jours. Cet espace de verdure est ma bulle d’air.”

Ses journées sont rythmées par les cours virtuels de Columbia University, diffusés en visioconférence sur Zoom, qui doivent se poursuivront ainsi jusqu’à la fin du semestre. “Bien que ce système de visioconférence garantisse de bonnes conditions pratiques et techniques, la présence physique d’un professeur est bel et bien irremplaçable !”

Certaines journées peuvent lui paraître longues, mais les moments de convivialité et d’échanges partagés avec la famille qui l’héberge l’aident à retrouver motivation et vigueur. “Je garde l’espoir de pouvoir (en mai ? en juin?) retrouver une petite part du New York que j’avais tant aimé découvrir il y a quelques semaines. Une simple promenade prolongée dans les rues de Brooklyn serait déjà un immense plaisir.”

Je n’ai pas encore de vol retour, mais ce sera certainement pour fin juin, date de la fin de mon visa étudiant. D’ici là, je vis une expérience new-yorkaise différente, tronquée, certes, mais une expérience new-yorkaise quand même, et c’est déjà une grande chance.”

“Je reste au Canada parce que c’est ici que je veux travailler”

Clément, en master à Montréal, reconnaît qu’il n’a pas compris tout de suite la gravité de la situation. “Le 12 mars, jour même où le gouvernement du Québec a décidé d’interdire tout évènement non scolaire dans la province, je devais participer à une compétition interuniversitaire organisée par une association étudiante. Arrivé à l’université, j’ai appris que la compétition était annulée. Ça m’a vraiment semblé une décision trop sévère alors que seulement 17 cas de coronavirus étaient recensés dans la province !” Ce sont les décisions prises en France qui alertent Clément, ainsi que les fermetures annoncées de résidences universitaires aux États-Unis. “Je ne suis inquiété pour ma famille et mes amis en France. Ma tête n’était plus trop aux études…” L’annonce de la fermeture des frontières canadiennes a été un choc. “Seuls les résidents permanents et les citoyens canadiens pouvaient encore entrer dans le pays.” Dans ces conditions, pour Clément, la question du retour en France a cessé de se poser. “Comme je veux rester travailler au Canada, mes options se sont vite trouvées réduites. L’accélération des mesures, les fermetures de frontières et de la fin des vols commerciaux m’ont convaincu de rester à Montréal.”

Clément, qui doit obtenir son diplôme en août, se pose toutefois des questions. À commencer par celle de son visa post-diplôme. “La situation économique n’étant pas très favorable en ce moment, ce sésame pour rester au Canada sera-t-il encore accessible ? Cette semaine, le gouvernement québécois a évoqué son intention de réduire le quota de migrants acceptés dans le province… Chaque jour, je me demande si j’aurais un travail à la fin de mes études.”

Malgré de nombreuses incertitudes, Clément pense qu’en restant à Montréal, il a fait le bon choix. “Le simple fait de pouvoir sortir sans avoir besoin d’une attestation pour expliquer que je veux juste prendre l’air me rassure.” Tout comme les mesures prises par le gouvernement canadien, notamment pour soutenir le revenu des Canadiens “mais aussi des résidents temporaires ayant un visa ou un permis d’études comme moi”.

“Ce n’est pas le stage dont j’avais rêvé, mais je garde le moral”

Étudiante en droit de l’Union européenne à Aix-en-Provence, Jeanne a déménagé à Bruxelles en mars pleine de détermination, après une année d’échange en Chine, et elle aussi a décidé de rester. “Je ne pouvais pas rêver mieux que de faire mon stage de master à la Commission européenne. Je suis partie avec l’espoir de vivre une expérience exceptionnelle avec beaucoup de rencontres et qui m’ouvrirait de nombreuses portes pour le futur.”

Deux semaines après le début de son stage, la nouvelle tombe : teleworking pour toute la Commission. Trois jours après, la Première ministre Sophie Wilmès annonce le confinement en Belgique :

J’avais touché mon rêve du bout des doigts et aussitôt on me l’enlevait !

“Nos semaines sont rythmées par les allocutions tour à tour de Macron, Mattarella et Sánchez, sans oublier Sophie Wilmès et Ursula von der Leyen. Et pourtant on garde le moral ! J’apprécie mes rares sorties au supermarché dans les rues d’un quartier que je n’ai pas encore bien visité. Même à l’intérieur, je profite du ciel bleu. Bruxelles à l’air d’être si agréable au soleil ! Avec ma roommate, nous rivalisons de créativité pour cuisiner. Au final, nous ne nous en sortons pas si mal.”

Bien sûr, il y a un peu d’inquiétude personnelle pour l’avenir : qui va prendre des stagiaires après ça ? Combien de temps avant de trouver un premier emploi ? Et pour quel salaire ? “Déjà, auparavant, l’issue des études semblait compliquée, avec l’impression qu’un master, des stages, des années à l’étranger ne suffisaient pas… Maintenant, on ne sait plus trop ce qui va se passer… Alors, évidemment, la question de poursuivre une autre formation pour attendre que ça se calme se pose, et celle de son financement aussi…”

Non, ce n’est pas le stage dont Jeanne avait rêvé. Le teleworking n’est vraiment pas l’idéal pour elle :

Nous ratons tous les événements et les conférences qui rendent ce stage si spécial. Cela fait soixante ans que le programme de stages de la Commission européenne existe et je pense que tout le monde ici se souviendra de la promotion Covid-19 !”

“Décider de rentrer en France n’a pas été simple”

À l’inverse, Loriane, une étudiante en master de management de la solidarité internationale et de l’action sociale, a beaucoup de mal à se consoler d’avoir dû interrompre le stage de quatre mois qu’elle effectuait en Colombie. Le malaise qu’elle avoue ressentir depuis son départ précipité est encore plus profond que celui de Jeanne de retour des Etats-Unis. “Ça fait presque un mois que je suis rentrée et pourtant je n’ai pas la sensation d’être totalement revenue”, explique-t-elle. “A Bogota, j’avais intégré une association qui travaille avec des jeunes filles vivant dans les bidonvilles pour leur permettre de s’émanciper, de prévenir les violences sexuelles ou de se reconstruire.” Alors que le pays n’était qu’à peine touché par le virus, les autorités colombiennes ont décrété le confinement dès le 20 mars. L’association pour laquelle Loriane travaillait n’a soudain plus eu le droit de se rendre dans les bidonvilles. Les projets en cours ont été stoppés.

L’ambassade, mon école, ma famille, tout le monde m’a incité à rentrer en France. C’est une décision que j’ai prise à contrecœur…” 

Depuis son retour, Loriane a l’impression d’avoir abandonné les jeunes femmes avec qui elle travaillait, “de les avoir laissées tomber pour me mettre en sécurité”. Un “mal du pays” encore amplifié par les circonstances : à cause du confinement, Loriane n’a même pas pu revoir sa famille. “Ça n’a pas été simple et ça ne l’est toujours pas. Nous sommes nombreux et nombreuses dans ce cas.”