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Billet de blog 10 avril 2014

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Pourquoi je quitte le Parti socialiste

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Paris, le 10 avril 2014

Premier Secrétaire du Parti socialiste

10, rue de Solférino

75007 PARIS

Objet : Démission

Cher Harlem ou celui (celle ?) qui te remplacera,

Je souhaite mettre fin aux mandats que j’exerce au Parti socialiste. Après 13 ans de militantisme, je rends ma carte.

Je me suis engagée en politique convaincue que les injustices et les inégalités n’étaient pas la faute à pas de chance mais le produit de choix politiques qui ont toujours favorisé quelques-uns au détriment de tous les autres. J’ai adhéré au Parti socialiste convaincue que nous pouvons transformer le réel et que l’organisation collective d’individus doués de raison est le meilleur moyen de contrer un ordre établi qui creuse les inégalités, fragilise nos sociétés et porte en son sein le rejet des autres, quels qu’ils soient.

Depuis deux ans que la gauche est au pouvoir, j’ai le sentiment que nous avons plus géré que transformé. Comme si le pouvoir nous avait changés au point que nous ayons abandonné toute analyse des rapports de forces. La société est traversée par des intérêts contradictoires, notamment économiques : nous devons choisir pour qui nous voulons agir et nous battre. C’est bien d’une bataille dont il s’agit. Car dans ces rapports de force sociaux, la gauche est – devrait être – du côté des salariées et salariés, des femmes et des hommes qui ne détiennent pas le pouvoir, les codes culturels ou les richesses. Nous devrions être leur porte-voix et leurs défenseurs.

Nous avons cessé ce combat. La liste de nos renoncements est si longue ces derniers mois que cela donne le tournis. Au lieu de construire un rapport de force et de nous dégager des marges de manœuvres politiques et économiques pour mieux répartir les richesses, nous avons – presque méticuleusement – remis en cause nos fondements politiques.

Nous avons fait reculer la gauche dans les têtes et dans les faits lorsque nous avons parlé de coût du travail ou lieu de parler de la richesse qu’il constitue et du coût – exorbitant – du capital. Nous avons fait reculer la gauche quand nous avons hésité ou capitulé face à des ultra-conservateurs minoritaires. Nous avons fait reculer la gauche lorsque nous avons entériné une réforme des retraites contre laquelle nous étions descendus dans la rue dix-huit mois auparavant. Nous avons fait reculer la gauche lorsque nous avons choisi de parler de « ras-le-bol fiscal » ou du « trop d’impôts » plutôt qu’engager la fameuse réforme fiscale promise en 2012. Nous allons faire reculer la gauche avec le « pacte de responsabilité » qui demande aux salariés et salariées de financer des exonérations pour les entreprises, sans qu’aucune contrepartie solide soit exigée.

Un autre chemin était possible. François Hollande l’avait d’ailleurs dit lors du discours du Bourget : le changement, c’était pour maintenant. Changer la société, changer la vie. Nous aurions pu, fort des 18 millions de voix du 6 mai, imposer ce changement en Europe et renégocier le traité budgétaire. Nous aurions pu nous appuyer sur les nombreux travaux de celles et ceux, parmi lesquels des prix Nobel, qui appellent à refuser le dogme de l’austérité. Nous aurions pu prendre appui sur les manifestations en France et en Europe, syndicales ou associatives, qui revendiquaient plus de justice et de protection sociale. Au lieu de nous nourrir de la force donnée par le suffrage universel et les mouvements sociaux, nous avons choisi de les ignorer.

Nous avons payé le prix fort lors des dernières élections municipales. Avons-nous tiré les leçons de ce scrutin ? Non, pas plus que nous ne l’avions fait après le 21 avril 2002 ou le 29 mai 2005. La seule chose que nous avons dit, c’est « ne vous inquiétez pas, on va mieux vous expliquer ». Comme s’il s’agissait simplement d’un problème de communication ou de casting. Les citoyennes et citoyens ne sont pas idiots, ils ne sont simplement pas d’accord. Et pour une raison très simple : les politiques que mène actuellement la gauche au pouvoir vont à l’encontre de leurs intérêts.

Alors que nous devrions changer de cap, nous continuons à leur adresser des sourires polis : « c’est difficile, mais nous n’avons pas le choix ». Mais s’il n’y a pas d’alternative, à quoi cela sert de faire de la politique ? Les grandes écoles regorgent de femmes et d’hommes très compétents qui sont tout à fait capables de gérer au mieux les comptes pour les faire rentrer dans les exigences de Bruxelles. La politique, c’est l’inverse : refuser l’état de fait et construire un rapport de force permanent qui nous donne des nouvelles marges de manœuvres pour agir. En donnant le sentiment qu’il n’y a pas d’autre voie possible, nous renforçons la désespérance et les partis qui prospèrent dessus.

Certes, nous nous heurtons à des années de construction libérale de l’Europe et à dix années de droite au pouvoir qui a profondément rebattu les cartes. Je ne reproche pas au Parti socialiste de ne pas avoir renversé la table. Je lui reproche de n’avoir même pas essayé de la faire bouger.

Je suis restée au Parti socialiste pendant 13 années, pas toujours d’accord avec les orientations qu’il portait mais convaincue qu’il fallait mieux un outil – même imparfait – capable de changer la vie que pas d’outil du tout.

Si je pars, c’est que je constate que le Parti socialiste tel qu’il existe aujourd’hui n’est plus cet outil de transformation de la société. Il suffit d’ailleurs de regarder avec un peu de lucidité ce qui se passe au sein même de cette organisation : j’ai vu pendant des années une reproduction implacable des inégalités (sociales, de sexe, d’origine, etc…) que nous combattons à l’extérieur.

Je vais donc aller construire la gauche ailleurs et participer comme je peux à préparer une alternative au chemin politique que vous avez décidé d’emprunter.

J’espère que les chemins de toutes et tous les militants de gauche finiront par se retrouver pour construire ensemble un projet politique qui fasse reprendre à notre société la marche du progrès.

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