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Climat

Une sécheresse exceptionnelle afflige l’est de la France et l’Europe centrale

L’est de la France et l’Europe centrale ont connu un début de printemps dramatiquement sec. Les sols sont soumis à rude épreuve, d’autant plus que les épisodes de sécheresse se sont multipliés ces dernières années. Pour les céréales hivernales, le mal est fait.

Dans l’est de la France, les pluies tombées mardi 28 avril et mercredi 29 ont été accueillies comme le messie. « Il n’était pas tombé une goutte depuis le début du confinement, dit Denis Perreau, paysan dans le nord-ouest de la Côte-d’Or. Une sécheresse printanière de cette intensité-là, c’est exceptionnel. » En cette fin de mois d’avril généralement arrosée, du Grand Est à Rhône-Alpes en passant par la Bourgogne-Franche-Comté, la situation était devenue plus que critique. « Les déficits de pluviométrie sont impressionnants, confirme Michèle Blanchard, climatologue à Météo France. En Alsace, Bourgogne, Franche-Comté, ils ont atteint plus de 90 %. » C’est-à-dire qu’il a plu moins de 10 % que ce qui devrait tomber normalement. À Saint-Dizier (Haute-Marne) comme à Grenoble (Isère), pas une goutte d’eau pendant plus de 40 jours ; les villes de Metz (Moselle), Nancy (Meurthe-et-Moselle), ou Langres (Haute-Marne) ont comptabilisé elles aussi plus de 30 jours consécutifs sans précipitation.

Outre le manque d’eau, « le mois d’avril a été particulièrement chaud, poursuit Mme Blanchard. Les 27 premiers jours sont environ 3 °C au-dessus de la normale saisonnière, ce qui est relativement élevé. Et dans les régions de l’Est, les températures étaient de l’ordre de 4 °C plus élevées. » Un mercure au plus haut et une pluviométrie au plus bas, le résultat ne s’est pas fait attendre : « Ces deux phénomènes combinés provoquent un assèchement des sols, et donc une sécheresse agricole », conclut la climatologue. Dans certaines zones comme dans le département du Doubs, les terres sont ainsi sèches « comme au 15 août », a observé le météorologue François Jobard sur Twitter. « Ce n’est pas juste une façon de parler, écrit-il, l’indice d’humidité des sols au 22 avril (0,58) est même légèrement en dessous de la valeur médiane (depuis 1958) d’une mi-août (0,60/0,63). »

« On sait que les territoires marqués par la sécheresse printanière vont rester fragiles cette année » 

Ailleurs, des cours d’eau se sont vidés. Dans l’Yonne, le niveau des rivières est au plus bas. Plus à l’ouest, la Loire fait aussi grise mine, accusant une situation d’étiage (des débits d’eau au plus bas, normalement atteints au cœur de l’été) extrêmement précoce. Pour que le fleuve remonte, il faut en effet qu’il pleuve en amont, dans le Morvan et le Massif central. De nombreux départements — Isère, Loire, Ain, Ardèche — ont été placé en « vigilance sécheresse ». En outre-mer, une sécheresse affecte particulièrement les Antilles (Guadeloupe et Martinique) ; des pénuries d’eau affectent la distribution d’eau potable et conduisent à des restrictions importantes et des tours d’eau.

En ce qui concerne le sous-sol, le bilan est plus nuancé. « Cet hiver, les nappes se sont très bien rechargées en eau, précise Violaine Bault, hydrogéologue au Bureau de recherches géologiques et minières. Mais cette recharge n’a pas suffi sur certaines nappes qui sont en déficit depuis trois ans, particulièrement en Auvergne Rhône Alpes, en Bourgogne et dans le Haut-Rhin. » D’autant plus que cette année, beau temps oblige, la végétation a repris plus tôt qu’à l’accoutumée, « pompant » les quelques gouttes de pluie. « Les nappes ne se rechargent plus depuis début mars, et celles qui sont dites “réactives” car situées dans des sols poreux, se vident très vite, explique l’hydrogéologue. C’est le cas par exemple des alluvions du couloir du Rhône et de la Saône ou des calcaires du jurassique dans le Jura. » Ces régions sont ainsi plus rapidement vulnérables à la sécheresse.

État des nappes au 1er avril 2020, par le BRGM

Les ondées de ces derniers jours seront-elles suffisantes pour inverser la donne ? À Météo France, on ne se risque pas à des pronostics. « Pour le moment, on a eu des averses ou des pluies orageuses, qui sont trop ponctuelles pour inverser réellement la donne. Il faudrait des pluies longues et régulières pour mettre fin à l’assèchement des sols », dit Michèle Blanchard. Des précipitations sont attendues cette fin de semaine, avant le retour d’un anticyclone. « Mais on sait que les territoires marqués par la sécheresse printanière vont rester fragiles cette année. »

Lors d’une réunion organisée mercredi 29 avril, la secrétaire d’État Emmanuelle Wargon a fait le point sur les territoires « qui présentent les probabilités les plus fortes de rencontrer des pénuries d’eau d’ici à la fin de l’été et ainsi d’anticiper ces situations » : la plupart des départements de Rhône-Alpes, de Bourgogne et de Franche-Comté sont concernés.

Le risque de sécheresse par département au 29 avril 2020.

Au-delà des frontières orientales de l’Hexagone, la situation n’est pas meilleure. En Allemagne, il n’est tombé que 5 % des pluies normalement attendues en avril. D’après le service météorologique fédéral allemand, c’est le mois le plus sec depuis le début des premiers enregistrements en 1881. Les sols, qui souffrent encore des conséquences de la grave sécheresse de 2018, sont lourdement touchés. L’absence de pluies printanières a aussi fait baisser les niveaux d’eau du Rhin, voie principale des barges qui acheminent tout, de l’acier au pétrole et au charbon, vers les usines. Un nouveau grain de sable dans la machine économique allemande, déjà bien grippée par la crise sanitaire.

La Pologne se prépare à « l’une des pires sécheresses depuis plus de cent ans » 

Voisine de l’Allemagne, la Pologne se prépare à « l’une des pires sécheresses depuis plus de cent ans ». Le manque d’eau a favorisé de grands incendies dans le parc national de la Biebrza, dont 6.000 hectares de forêt sont partis en fumée ; des bancs de sable blanc habituellement cachés à deux mètres sous l’eau sont apparus au milieu de la Vistule, le plus grand fleuve polonais, dont la profondeur officiellement mesurée est tombée à 60 cm. La Russie a également été touchée par des incendies : en Sibérie, dans la région de Kemerovo, des feux de prairies ont atteint des habitations. En plus des problèmes de navigation fluviale, cette sécheresse en Europe centrale fait craindre des récoltes de céréales réduites à peau de chagrin… et donc une envolée des prix agricoles.

Même constat inquiet chez les agriculteurs français. « Les blés et les orges d’hiver ont beaucoup souffert, l’herbe pour les moutons a séché sur place, et les lentilles et pois de printemps n’ont pas bien levé », constate Denis Perreau sur sa ferme. Également secrétaire national de la Confédération paysanne, il a pu échanger avec d’autres collègues, tout aussi pessimistes. « Sur tous les plateaux de Côte-d’Or, c’est la catastrophe », rapporte-t-il. Et les quelques pluies annoncées pour cette semaine ne le rassurent pas : « Pour les céréales d’hiver, le blé notamment, le mal est fait. » Surtout, ce nouvel épisode sec vient s’ajouter à la longue liste des aléas climatiques survenus ces dernières années. « Je suis très inquiet, on sera débarrassé du coronavirus avant le changement climatique », dit le paysan.

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