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Série

Coronavirus: Iran, le régime avant le peuple?

La scène est surréaliste. Le 24 février, le vice-ministre iranien de la Santé apparaît à la télévision lors d’une conférence de presse. Iraj Harirchi tente de rassurer sur l’épidémie de coronavirus. Échec. Il est lui-même fébrile, transpire à grosses gouttes et présente tous les symptômes d’une grippe. Le lendemain, il est testé positif au Covid-19. À ce moment-là, l’Iran figure déjà au deuxième rang des pays les plus touchés par la maladie, derrière la Chine. Mais trois jours auparavant, et malgré les risques encourus, la République islamique a maintenu les élections législatives.

Une Iranienne portant un masque et des gants marche devant un graffiti à Téhéran, le 13 avril 2020.
Une Iranienne portant un masque et des gants marche devant un graffiti à Téhéran, le 13 avril 2020. ATTA KENARE / AFP
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Désormais confiné chez lui à Téhéran, le jeune Mirza* n’en démord pas. « Nos dirigeants étaient au courant des risques épidémiques. Et pourtant, ils nous ont demandé d’aller voter il y a un mois, le 21 février, sans aucune protection, ni aucune mesure de distanciation sociale. C’est à ce moment-là que le virus s’est répandu partout dans le pays », s’insurge celui qui a tenu à garder secrète son identité, pour des raisons de sécurité.

« Le régime iranien ne fait que mentir. Tout ce qui lui importe, ce sont ses propres intérêts. Pour se maintenir au pouvoir, il a besoin de montrer qu’il contrôle la situation, quitte à sacrifier tout le monde », affirme le jeune homme. Exaspéré, il dit ne plus faire confiance aux autorités de son pays. « En novembre dernier, les gens ont manifesté contre les dirigeants iraniens et quelle a été la réponse du pouvoir ? La répression. Ensuite, il y eu l’affaire du général iranien Qassem Soleimani, éliminé par les Américains. Et là encore, quelle a été la réponse du régime ? En voulant se venger, il a abattu l’avion d’Ukraine Airlines, avec à son bord près d’une centaine d’Iraniens ! Comment voulez-vous avoir confiance en ces gens ? »,peste-t-il.

Mirza n’a quitté son appartement qu’à deux reprises depuis le début du confinement et communique via messagerie cryptée. Il se sent « terrifié » à l’idée de contracter le coronavirus. Et redoute surtout d’être hospitalisé, alors que son pays manque cruellement de matériel médical.

Aujourd’hui, amer, il se remémore encore ce mois de février et cette fameuse conférence de presse du vice-ministre de la Santé. Iraj Harirchi, visiblement malade, en train de consciencieusement démentir des rumeurs colportées par un député iranien de Qom. L’élu ultraconservateur tentait en réalité d’alerter les autorités. Ahmad Amirabadi Farahani, avait évoqué la mort de cinquante personnes dans sa ville, décédées des suites « d’une pneumonie virale ». Le vice-ministre avait alors« promis de démissionner » si ce chiffre était confirmé.

Les villes saintes, épicentres du coronavirus en Iran

Machhad et Qom sont les deux principales villes saintes d’Iran. Chaque année, des millions de pèlerins chiites se recueillent dans les sanctuaires de l’imam Reza (Machhad) et de Fatima Maasoumeh (Qom). Religieux, hommes, femmes et enfants se pressent sur les tombeaux de ces descendants du prophète de l’islam.

Comme tous les lieux de pèlerinage, ces deux villes sont également considérées comme des places fortes commerciales. Les échanges avec les pays de la région, et notamment avec la Chine, y sont très importants.

Ce même 24 février, alors que Téhéran tente de rassurer, le Koweït, Bahreïn, le sultanat d’Oman et l’Irak annoncent avoir détecté leurs premiers cas d’infection au coronavirus. Il s’agit alors de personnes ayant voyagé en Iran. Le ministère de la Santé du Koweït précise même que les trois ressortissants testés positifs au virus rentraient de Machhad.

Les jours passent et les autorités iraniennes entretiennent toujours le flou. Au sommet de l’État, le cafouillage est total. Certains responsables politiques finissent même par accuser « des clandestins entrés illégalement dans le pays depuis le Pakistan, l'Afghanistan et la Chine », d’avoir importé le virus. D’autres évoquent « un commerçant de Qom ayant effectué plusieurs voyages à Wuhan », principal foyer de l’épidémie en Chine.

Manque de transparence, dissimulation ? Le lanceur d’alerte, le député ultraconservateur de Qom, laisse publiquement éclater sa colère. « Malheureusement, le coronavirus est arrivé à Qom depuis trois semaines et cela a été annoncé trop tard », dénonce finalement Ahmad Amirabadi Farahani, fin février.

Beaucoup, en Iran, accusent les autorités d’avoir gardé secrète la crise du coronavirus, dans le but de maintenir les élections législatives du vendredi 21 février.

Jour de vote à Téhéran

Ce vendredi d’élections, le coronavirus ne fait pas les gros titres en Iran. L’avant-veille, les autorités ont reconnu du bout des lèvres l’existence de quatre cas, à 150 km de la capitale iranienne. Alors, dans la ville la plus peuplée du Moyen-Orient, personne ne se sent vraiment concerné. Il faut dire que les Téhéranais ont d’autres préoccupations. Étranglée par les sanctions américaines de plus en plus sévères depuis deux ans, une partie de la population met désormais en cause les autorités iraniennes. La rue dénonce la corruption d’une élite déconnectée de la misère du peuple. Et le taux d’abstention record annoncé promet une nette victoire aux conservateurs. Ce serait le début d’un virage politique, après deux mandats du président réformateur Hassan Rohani, en poste jusqu’en 2021.

Tôt ce matin-là, les citoyens les plus convaincus se rendent tout de même aux bureaux de vote. Journalistes, électeurs et candidats se bousculent. Il n’y a pas d’isoloir. Chacun discute avec son voisin des candidats, quel nom inscrire sur le bulletin à glisser dans l’urne. Aucune mesure particulière n’est mise en place pour limiter la propagation du coronavirus. Une jeune fille en tchador présente son acte de naissance. Comme tout le monde, elle trempe son doigt dans le pot d’encre. « C’est la première fois que je vote », nous explique-t-elle. « C’est important pour moi, car je veux lutter contre la corruption qui gangrène le pays. Je vais voter pour les conservateurs »,confie-t-elle, pleine d’espoir.

Non loin, dans un parc, l’ambiance est tout autre. Des familles flânent sous un doux soleil hivernal. Désabusées, elles n’iront pas voter.

Bref, c’est un jour d’élections comme n’importe quel autre à Téhéran. La vie suit son cours, comme si de rien n’était. Pas une fois nous n’avons entendu parler du coronavirus lorsque la nuit tombe sur la capitale. De retour dans un bureau de vote désert, une jeune femme en charge de l’organisation des élections hésite pourtant avant de nous serrer la main. « On nous a dit de faire attention à cause du coronavirus ». Le début d’une prise de conscience tardive ?

Le confinement volontaire

Une fois la séquence électorale passée, les écoles converties en bureaux de vote garderont portes closes. Téhéran semble enfin prendre la mesure de la gravité de la situation. Des décisions sont prises : interdiction de rassemblements, télétravail, ou encore présence partielle des fonctionnaires dans les administrations.

Le confinement de la population reste volontaire. Objectif : ne pas aggraver la crise économique qui touche le pays.

Le 5 mars, le ministre iranien de la Santé apparaît à la télévision. « Écoles et universités resteront fermées jusqu'à la fin de l'année (iranienne), le 19 mars », ordonne Saïd Namaki. « Tout va bientôt rentrer dans l’ordre »,tente de rassurer régulièrement de son côté le président Hassan Rohani.

Mais son gouvernement paraît hésitant. L’exécutif iranien donne des consignes ambiguës. Dans un premier temps, les déplacements dans le pays sont déconseillés, mais pas interdits. Malgré les risques de propagation du virus, des millions d’Iraniens prennent alors la route à l’occasion des vacances de Norouz (le nouvel an iranien), le 20 mars.

À la fin du mois, le pays est prostré. Une personne meurt toutes les dix minutes du coronavirus.

Chaque jour, le bilan officiel fait état de cent cinquante décès. «  Ces statistiques, ces chiffres ne sont pas fiables. Ils sont loin de la réalité. Ici, personne n’y croit »,assureMirza, notre premier témoin.

Le confinement se prolongera finalement jusqu’au 11 avril. Depuis, les autorités ont permis la réouverture progressive des commerces et les déplacements interrégionaux.

Mais aujourd’hui encore, les écoles, les universités, les mosquées, les sanctuaires chiites, les cinémas, les stades et autres lieux de regroupement restent fermés dans tout le pays, qui vit au rythme du ramadan et de la distanciation sociale.

* Le prénom a été modifié

Retrouvez toute notre série : La riposte pays par pays 

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