Le handicap face au Covid-19 : "On se sent abandonné"

10 millions de personnes handicapées en France, mais peu entendues ni prises en compte pendant cette crise sanitaire  ©Maxppp - Gérard Houin
10 millions de personnes handicapées en France, mais peu entendues ni prises en compte pendant cette crise sanitaire ©Maxppp - Gérard Houin
10 millions de personnes handicapées en France, mais peu entendues ni prises en compte pendant cette crise sanitaire ©Maxppp - Gérard Houin
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Elles font partie des invisibles : les personnes handicapées ont du mal à faire entendre leur voix, et c'est particulièrement criant lors de cette crise sanitaire. Or, ils sont 10 millions en France, en situation de handicap physique, mental ou sensoriel. Nous avons voulu leur donner la parole.

On en parle peu lors de cette crise sanitaire : les personnes handicapées et leur difficultés depuis le confinement, que ce soit dans leur quotidien ou au travail. Les situations sont bien sûr diverses, selon la nature du handicap, mais elles sont parfois criantes. C'est le cas notamment de personnes atteintes d'un handicap mental, qui se retrouvent dans leurs familles toute la journée, car elles n'ont, temporairement, plus de structures pour les accueillir.

Comment ces personnes en situation de handicap -10 millions en France ! - vivent-elles le confinement et surtout comment préparent-elles le déconfinement ? Les entreprises gèrent-elles bien la situation avec leurs travailleurs handicapés ? Quelles leçons tirer de cette crise pour le monde d'après et arriver à plus d'inclusion ? Hashtag est allée à la rencontre des intéressés, de leurs proches, des professionnels qui travaillent à les aider.    

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Céline Martinez, mère d'un enfant atteint d'une maladie génétique rare 

Céline Martinez, maman d'un enfant handicapé mental, craque. Son petit dernier, William, 11 ans, est atteint du syndrome de Prader-Willi, qui occasionne notamment un défaut de satiété - le poussant à vouloir manger continuellement - et des crises de colère intense. Habituellement accueilli par un Institut médico-éducatif (IME) dans les Hauts-de-Seine, William se retrouve désormais toute la journée à la maison, puisque son établissement est fermé, du fait de l'état d'urgence sanitaire. "Nous, aidants d'une personne handicapée, on se sent abandonné", déplore t-elle. "Ce confinement a réduit à néant tout ce qu'on a mis en place depuis une dizaine d'années, avec un enseignement spécialisé. Aujourd'hui, mon enfant est en perte de repères, il n'a pas d'activités, j'ai réussi à en mener pendant un mois, à lui faire la classe, mais aujourd'hui mes forces m'abandonnent. Mon enfant ne supporte pas le vide, si je ne suis pas reposée, à l'écoute, il ne va pas bien ; dès que je vais passer un coup de fil par exemple, les cris, voire les coups vont redoubler" explique t-elle.

Pour alerter sur sa situation et celle des aidants en général (entre 8 et 11 millions en France), elle a tourné une vidéo dont nous reproduisons ici un long extrait :   

"A domicile, la problématique majeure est que pour certains types de handicaps, le confinement aggrave les troubles ou altère la santé mentale", reconnaissait la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, dans une interview à l'hebdomadaire le Point le 24 avril. "C'est pourquoi, dès le 2 avril, nous avons autorisé plusieurs sorties par jour, et à plus d'un kilomètre du domicile, car c'est un temps de décompression essentiel." Ce n'est toutefois pas toujours compris par le voisinage. Céline Martinez doit ainsi affronter des regards insistants, quand elle sort de son immeuble avec son fils plusieurs fois par jour. 

Au bout de plusieurs semaines, elle a pu obtenir un peu d'aide, une heure deux fois par semaine, de la part du personnel de l'IME. "Un service très insuffisant et qui a déjà des limites car souvent la psychologue et son référent n'arrivent pas à gérer les obsessions de mon fils, dans un univers qui ne leur est pas familier, c'est même dangereux pour eux, m'expliquent-ils". Et d'ajouter : "j_e trouve anormal que le Président de la République, le gouvernement ne parlent pas des enfants porteurs de handicaps et des parents qui crient leur détresse sur les réseaux sociaux_". Aucune mention par exemple dans le plan de déconfinement annoncé par Edouard Philippe ; ce qui a valu à la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées Sophie Cluzel, qui saluait ce "discours inclusif" sur sa page Facebook, un flot de réactions indignées. 

Aujourd'hui, Céline Martinez demande la réouverture des IME mais déplore n'avoir aucun horizon en la matière. Elle appelle aussi et surtout de ses vœux un changement de mentalités afin qu'on considère comme prioritaires les personnes handicapées et leurs aidants.

Patrick Soria, d'une association qui accompagne des personnes handicapées mentales en Vendée  

Dans les centres qui accueillent des personnes handicapées (IME, ESAT, accueils de jour ...) et qui sont fermés depuis l'annonce du confinement, on travaille depuis plusieurs semaines à l'après 11 mai. "Tout n'est pas prêt au moment où nous parlons", reconnait Patrick Soria, directeur général de l’Adapei-Aria de Vendée - une des associations adhérente de l'Unapei, qui porte la voix des personnes handicapées, intellectuels et cognitifs. "Pour nos centres d'hébergement, notamment, nous avons posé comme préalable, la réalisation de tests, pour être sûrs que le virus ne vienne pas contaminer d'autres personnes dans l'établissement. Autre préalable : avoir la garantie d'avoir des masques en quantité suffisante". 

Patrick Soria de l'Adapei-Aria : "Tests, masques, nous avons posé quelques préalables pour la réouverture de nos structures".

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Patrick Soria, dont l'association accompagne 5 000 personnes, dont 900 enfants, préfère d'ailleurs parler de "levée progressive du confinement" que de déconfinement. Pour prendre les bonnes décisions, il attend aussi les remontées des parties prenantes. Il a ainsi adressé aux intéressés un questionnaire FALC "facile à lire et à comprendre" pour recueillir leur parole : comment envisagent-ils l'après 11 mai, quelles sont leurs observations et craintes éventuelles ? "Les associer à nos décisions, les impliquer, c'est essentiel, ils doivent être traités comme des citoyens à part entière et il n'est pas question que le confinement remette cela en cause !"explique t-il.    

La formation est aussi cruciale. A l’Unapei, on prévoit ainsi des “formations accélérées de tous les professionnels, et des sensibilisations pédagogiques" en direction des aidants familiaux et des personnes en situation de handicap. Il faut aussi, selon l'association instaurer des "règles de vie encadrant les séjours au sein des établissements socio-médicaux : quatorzaine pour le retour en structures, espaces dédiés aux visites, circuits de circulation pour éviter les croisements ou encore adaptation de la restauration collective en petits groupes”.

Farid Marouani : "dans nos entreprises adaptées, on a produit des masques , une fierté pour les salariés " 

Depuis l'annonce du confinement, les établissements et services d’aide par le travail (ESAT), qui ont recours à des travailleurs handicapés, ont fermé ou réduit leur activité au maximum. Les EA, Entreprises d'utilité sociale, ayant une obligation d'employer 80 % de travailleurs handicapés, ont dû mettre au chômage partiel une majorité de leurs effectifs, du fait de la baisse des commandes, puisqu'elles travaillent pour de grands groupes. Cela dit, elles ont pu redonner du travail à certains salariés, grâce à de nouvelles lignes de production pour fabriquer des masques en tissus, sur-blouses pour le personnel de santé ou encore visières. 

Atelier de fabrication de masques au sein de l'entreprise adaptée APF France handicap d’Echirolles.
Atelier de fabrication de masques au sein de l'entreprise adaptée APF France handicap d’Echirolles.
- APF Entreprises

"Un projet accueilli avec beaucoup d'enthousiasme, ils ont tous été volontaires, avec la fierté de se rendre utile", explique Farid Marouani, directeur des opérations de la mission entreprises d'APF France handicap. "On produit 100 000 masques de catégorie 1 par semaine et on devrait en produire rapidement un million par mois". Un projet qui a vu le jour grâce à l'impulsion des pouvoirs publics (plus précisément du Haut commissaire à l'inclusion dans l'emploi Thibaut Guilly).

Hakim Kasmi journaliste à France Culture et non voyant : "il a fallu réadapter mes outils informatiques" 

Hakim Kasmi, grand reporter au service économique et social de France Culture
Hakim Kasmi, grand reporter au service économique et social de France Culture

Pour les personnes handicapées qui ont pu basculer en télétravail, l'adaptation peut s'avérer compliquée. Hakim Kasmi, grand reporter au service économique et social de France Culture, en a fait l'expérience. Il a fallu adapter ses outils informatiques, ce qui n'a pas été une mince affaire. Mais aujourd'hui il dit avoir gagné en autonomie, et "c'est la bonne nouvelle, je pourrai désormais envoyer moi même un reportage par mail quand je suis à l'extérieur, sans demander de l'aide à quelqu'un, c'est une vraie révolution ! Vous m'auriez posé la question il y a un mois, je vous aurai dit, c'est impossible ! ". 

Hakim Kasmi, journaliste à France Culture : "Il a fallu adapter les outils au télétravail"

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Hakim s'est préparé à la sortie du confinement. Mais il sait que rien ne sera simple après le 11 mai, et qu'il sera toujours obligé de faire très attention et de limiter ses déplacements, un crève-cœur, lui qui est un grand voyageur. "Ne pas prendre l'avion ou le train, ça va beaucoup me manquer, d'autant qu'une partie de ma famille est en Algérie" explique t-il. 

Rémy et Mathilde, en couple, et tous deux handicapés déplorent un manque d'information 

Rémy Valencia, 30 ans, est déficient visuel : il nous a interpellé sur Facebook. Nous l'avons joint, par vidéo interposée, en même temps que sa petite amie Mathilde Cormery. Tous deux, vivant chacun chez leurs parents dans deux communes de l’agglomération dijonnaise, nous ont longuement décrit leur quotidien, leurs moments de doute et leurs interrogations sur l'avenir.  

Rémy Valencia et Mathilde Cormey ont interpellé Hashtag sur Facebook
Rémy Valencia et Mathilde Cormey ont interpellé Hashtag sur Facebook

En service civique à l'université de Bourgogne, mon contrat se terminait au 31 mai, mais comme les universités ne vont pas rouvrir, je n'ai plus de travail, et surtout, je n'ai aucune nouvelle de leur part, alors que j'avais candidaté pour continuer à travailler dans la structure ! 

En temps normal, les personnes handicapées sont très touchées par le chômage, là ça va être encore plus compliqué de retrouver du travail !" - Rémy Valencia.

Très investi dans le domaine associatif, il a aussi été alerté par des jeunes sur l'incapacité de l'enseignement supérieur à assurer l'accessibilité numérique pour les déficients visuels. "Les universités n'arrivent pas à assurer la continuité de l'accompagnement, étant donné que tout est passé en numérique ; il faut faire beaucoup de transcriptions pour que l'étudiant puisse lire les documents, aient accès aux sujets d'examen, mais face à l'urgence, ça n'a pas été fait". Or on approche des examens !"

Mon vœu le plus cher, c'est que demain, en sortant de ce confinement, il y a ait une société plus inclusive ; on  a redécouvert nos seniors en Ehpad, des gens en grande fragilité. Il faut qu'on comprenne que ces gens faibles, fragiles existent et qu'on leur donne la place qu'ils méritent.

Sa petite amie, Mathilde, 22 ans, est infirme moteur célébral (IMC), elle marche avec un déambulateur, et est en fauteuil quand elle se déplace à l'extérieur. Etudiante, en passe de se réorienter vers une autre filière, elle est dans le flou pour la rentrée. Elle doit entamer des démarches pour être épaulée par un AESH (accompagnant des élèves en situation de handicap), mais ne sait pas combien de temps cela prendra, or ces démarches sont déjà longues à accomplir en temps normal. "Il serait bien d'être aidée pour savoir ce qui va être mis en place et que le gouvernement se penche un peu plus sur la question"

Laetitia Forfer, kiné et non voyante, a du changer de métier

Kinésithérapeute, c'est le métier de Laetitia Forfer, non-voyante, qui ne peut exercer son métier pendant ce confinement, car seuls sont possibles les soins à domicile et la téléconsultation.

"La perte financière est très importante et j'ai donc envoyé un mail à l'ordre des kiné qui ne m'a apporté aucune solution, c'est dommage qu'on ne pense pas d'avantage aux personnes en situation de handicap, surtout que, dans mon métier, je ne suis pas une exception non plus. On aurait peut-être pu penser à nous mettre à disposition un taxi, ou une aide financière pour pallier cette situation ? On aurait pu en discuter, tout simplement, mais ça n'a pas été le cas, et ce n'est toujours pas le cas d'ailleurs." déplore t-elle.  

Pour se rendre utile dans cette période tout en gagnant un peu d'argent, Laetitia Forfer s'est inscrite sur une plate-forme mise en place par les ARS (Agences régionales de santé) pour être "renfort Covid". Elle a été contactée par un EHPAD dans son département de l'Oise, où elle a passé plusieurs semaines en tant qu'aide-soignante. Un travail utile qui lui a permis de vivre plus facilement le confinement.

Mais les gestes les plus simples peuvent s'avérer compliqués. "Les attestations de sortie, on ne peut pas les remplir quand on est non-voyant, heureusement qu'il y a mon conjoint pour le faire !" raconte t-elle. 

Laetitia Forfer se prépare désormais à la réouverture prochaine de son cabinet, mais face aux difficultés financières qui s'annoncent, elle songe sérieusement à se réorienter vers une activité salariée. 

Cette crise peut changer le regard sur le handicap 

C'est l'espoir que l'on peut bien sûr formuler. Si on se penche plus spécifiquement sur le travail, cette crise est l'occasion pour les entreprises de rendre plus inclusif notre environnement en télétravail, selon Elie Sic-Sic, co-fondateur du cabinet Tell me the Truffe, qui entend faire évoluer le regard des entreprises sur le handicap. "On n'hésite plus à être pragmatique et c'est un acquis qu'il faudrait garder. On adapte ainsi les outils de visioconférence pour qu'ils soient accessible aux non-voyants, ou aux personnes sourdes. Et cela est valable pour tous les besoins spécifiques des collaborateurs. Envoyer une chaise confortable à quelqu'un qui n'en est pas équipé, un écran plus grand, ce ne sont pas forcément des options coûteuses, mais elles peuvent changer la donne".

Aujourd'hui, tout le monde fait preuve d'une capacité d'adaptation, ce serait dommage de perdre cette agilité, extrêmement précieuse pour réinventer l'entreprise de demain -Elie Sic-Sic

Pour les associations, il y a aussi eu un avant et un après. “_Cette crise a renforcé les liens : on ne voyait jamais certaines personnes, là on est en entré en contact avec eux. Il y a aussi eu une accélération du numérique, et on va travailler sur l’équipement de ceux qui n’ont pas les moyens de se doter d’outils informatiques. Des webradios se sont créées, sans c’est doute à poursuivr_e”, souligne ainsi Patrice Tripoteau, directeur général adjoint d'APF France handicap.

Des perspective intéressantes, ce qui n'empêche pas la vigilance. A l'APF, on met ainsi en garde : du fait de la crise économique, les collectivités n’auront peut-être plus les crédits pour faire les aménagements envisagés, afin d'améliorer l'accessibilité des personnes handicapées ... 

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