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La fac d'Assas tente de surveiller ses étudiants à coup d'eye tracking

Webcam allumée, eye tracking, accès aux messageries personnelles... Tout est bon pour que personne ne triche selon certains professeurs de l'université Paris II Panthéon-Assas.
Justine  Reix
Paris, FR
Photo Adobe
examen à distance Assas Paris

L'organisation d'examens à distance n'est pas de tout repos et certaines universités comme Paris II Panthéon-Assas ont préféré laisser le choix aux enseignants concernant les modalités des partiels. Depuis le début du confinement, les profs décident eux-mêmes des conditions des examens qui, pour la plupart, se sont déroulés sous haute surveillance.

Le 27 avril dernier, un chargé de TD de cours d'anglais a envoyé les modalités d'un examen à ses étudiants. Au programme : eye tracking et accès aux messageries des boîtes mails et réseaux sociaux. On aurait presque envie de dire « Assas is watching you ». La trentaine d'élèves concernés a aussitôt prévenu un élu étudiant pour dénoncer cette pratique.

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Mais n'exagérons rien, les logiciels qui permettent de décrypter les mimiques faciales sont particulièrement coûteux. Aussi réputée soit-elle, la fac d'Assas n'a pas les moyens de se payer un tel équipement. Pourtant, l'enseignant met en garde ses élèves : ils doivent garder leurs webcams allumées mais aussi lui laisser un accès total à leurs ordinateurs, y compris les messageries privées. Et le meilleur reste à venir : « Les technologies que je peux utiliser contiennent un "eye ball tracking" – aussi appelée oculométrie en français. Si vous regardez souvent autre chose que votre écran d'ordinateur, comme le plafond par exemple, une enquête pourra être ouverte. »

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Quelques heures plus tard, l'enseignant changera d'avis sur les conditions de l'examen, inquiet des réactions de ses étudiants. Mathias Nieps, étudiant et élu UNEF à Paris II, à l'origine du tweet, craignait depuis plusieurs semaines une dérive de ce genre : « Il y a deux semaines j'ai envoyé une lettre à la présidence de l'université, pour la consultation des modalités d'évaluation, pour parler des inquiétudes des étudiants et notamment mettre en garde l'université sur les questions des données personnelles. » L'arrêté pris au terme de la consultation est resté muet sur les données personnelles malgré la contribution de l'étudiant sur ce sujet.

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Extrait de la lettre de l'étudiant Mathias Nieps envoyé à la présidence de l'université.

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En mars dernier, le ministère de l'enseignement supérieur de la recherche et de l'innovation préconisait une télésurveillance. Mais rappelait aussi l'importance de la protection des données personnelles : « Le travail de mise en place d’une télésurveillance à domicile engendre un traitement de données à caractère personnel et doit donc être établi conjointement avec le délégué à la protection des données personnelle de l’établissement en respect des contraintes de RGPD [Règlement général sur la protection des données, NDLR]. »

Contacté par la rédaction de VICE, le professeur concerné a refusé de répondre à nos questions. Selon plusieurs sources étudiantes et universitaires, il avait l'habitude d'utiliser le logiciel Zoom pour les examens à distance lorsqu'il enseignait à l'étranger. C'est cette application qu'il comptait utiliser pour son examen, tué dans l'œuf.

Zoom possède des fonctionnalités qui permettent de donner un accès quasi total de l'ordinateur à un membre de la réunion (sous autorisation). Grâce au partage d'écran, si les réseaux sociaux et les mails sont ouverts, les messages peuvent facilement être lus et vérifiés. Et le logiciel permettait également, il y a encore quelques semaines, de surveiller l'attention du participant.

Alors que l'utilisation de l'application a explosé durant le confinement, Zoom a dû abandonner l'eye tracking le 2 avril dernier. Après de nombreuses plaintes d'utilisateurs liées à la confidentialité et aux données personnelles, le logiciel a été dans l'obligation de retirer cette fonctionnalité. Jusqu'alors, des enseignants du monde entier se partageaient en ligne des conseils pour fliquer leurs étudiants lors de cours et d'examens à distance. Grâce à une fonctionnalité à activer dans les paramètres d'utilisation de Zoom, l'hôte de la réunion pouvait voir en direct, à l'aide d'une petite cloche, ceux qui regardaient plus de 30 secondes autre chose que leur écran. Un pourcentage du taux de concentration sur l'écran était aussi proposé à la fin de l'appel sous le nom de chaque participant. Et tout ça, sans autorisation. On comprend pourquoi la fonctionnalité a été retirée.

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Alicia* étudiante en L2 de droit à Panthéon-Assas affirme avoir eu de nombreux cours sur Zoom :
« Notre prof nous a dit qu'elle verrait si on n'était pas concentré. Je n'ai pas du tout pensé à de l'eye tracking mais j'ai eu un peu peur qu'elle nous filme ou quelque chose du genre » raconte-t-elle. Ces nouveaux cours sont devenu une nouvelle source de stress pour l'étudiante. « J'ai l'impression d'être une gamine. Si je n'écoute pas ou ne réussis pas mon année c'est mon problème. On n'est plus en primaire. » Ces dernières semaines, elle passe de nombreux examens et tous se sont déroulés sous surveillance par webcam.

Mathias Nieps est de l'avis d'Alicia* : il faut accorder plus de confiance aux étudiants. « Soit on considère les étudiants comme des gamins irresponsables qui veulent en foutre le moins possible et tricher, soit on nous évalue sur nos capacités de réflexion, à chercher des informations et les mettre en ordre par exemple, plutôt que de recracher un cours appris par cœur. » Pour l'étudiant, le chargé de TD n'est pas celui qu'il faut blâmer. Selon lui, la fac n'aurait donné aucune directive précise sur les conditions d'examens à distance aux enseignants.

Mais l'université Panthéon-Assas n'a pas dit son dernier mot et se dédouane complètement de ces pratiques qu'elle affirme ne jamais avoir approuvées. Selon Manuel Miler, directeur des études et de la vie universitaire, l'enseignant n'avait pas conscience de ce qu'il proposait : « Il s'agit d'une initiative personnelle, ce chargé de TD vient d'un pays anglo-saxon où il a l'habitude de ce genre de pratique. Il ne savait que ça ne pouvait pas se faire en France. » En effet, aux États-Unis, par exemple, le flicage des étudiants est monnaie courante. Certaines entreprises en ont même fait leur spécialité et proposent de surveiller chaque étudiant personnellement durant leurs examens.

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Au début du confinement, Assas aurait communiqué des noms de logiciels utilisables pour les cours : Moodle pour déposer les devoirs et Glowbl pour les visioconférences. Mais rien concernant les examens. « Les enseignants n'ont pas reçu de directive, pour le contrôle continu ce sont les titulaires du cours qui définissent les modalités de l'examen » affirme Manuel Miler. Mais cela n'a pas l'air d'être très grave selon lui.

Dans quelques jours, l'université compte publier des ordonnances dans lesquelles les conditions d'examens seront enfin précisées. Seules les épreuves orales pourront se faire sous surveillance de webcam. Avant la fin de l'interview, je demande au directeur des études et de la vie universitaire d'Assas : Si l'enseignant vous avait contacté pour vous demander l'autorisation de réaliser un examen dans ces conditions, lui auriez-vous refusé ? De longues secondes d'hésitation avant de répondre « Probablement oui. »

* Les prénoms ont été modifiés.

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