3592 Amerique Trump
crédit : Alexandra Espana

Toute sa vie, Donald Trump s'est extrait de situations délicates. A quelques mois de l'élection présidentielle, et malgré la pandémie, il pourrait réussir à sauver sa place...

Alexandra Espana

Les cadavres s'empilent devant le bureau de Donald Trump. Ce 23 avril, des manifestants ont déposé une vingtaine de sacs mortuaires devant le Trump International Hotel de Pennsylvania Avenue, à quelques mètres de la Maison-Blanche. Ils scandent : "Trump ment, les gens meurent." Les cadavres sont factices, évidemment, mais leur présence devant l'hôtel cinq étoiles qui appartient à The Trump Organization rappelle l'évidence : les Etats-Unis sont l'un des épicentres de la pandémie de Covid-19. Et le président n'y est pas pour rien. Après avoir minimisé l'épidémie pendant des semaines puis décrété qu'elle s'en irait "comme par miracle", Donald Trump peine à coordonner la réponse américaine.

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Chaque jour, son point presse d'information se transforme en show médiatique émaillé de dérapages. "Ses conseillers lui écrivent des discours, il les lit à peine, puis il improvise et raconte ce qui lui passe par la tête", constate Jennifer Mercieca, professeure de communication à l'université A&M du Texas.

Ainsi, le 23 avril dernier, le bateleur suggère l'idée folle qu'ingérer du désinfectant et exposer ses organes à des rayons ultraviolets pourrait prémunir contre le coronavirus ! Aux Etats-Unis, le tollé est immédiat. Et le reste du monde s'étrangle d'horreur. Même dans son propre camp, les élixirs frelatés du Dr Trump ne font pas recette. Dans les médias américains, certains conseillers disent (anonymement) leur consternation face à ces points presse qui laissent pantois les plus trumpistes des élus républicains.

L'expert des situations impossibles

Dès lors, la question se pose : l'ampleur de la pandémie (plus de 60 000 morts) et les excès de cette communication pourraient-ils compromettre la réélection, en novembre, du président sortant ? "Son principal argument de campagne était l'excellente santé de l'économie, observe Seth Masket, directeur du Center on American Politics à l'université de Denver. Mais celle-ci dévisse complètement. C'est le pire scénario pour Donald Trump. Dans l'histoire contemporaine, chaque président qui a raté sa réélection (Jimmy Carter en 1981, George Bush en 93) traversait une crise économique."

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Quoique confiné dans sa maison du Maryland, son rival démocrate, Joe Biden, est donné largement gagnant par les instituts de sondages. Même Rasmussen, proche des républicains, promet à l'ancien vice-président de Barack Obama une avance de 8 points. Plus inquiétant encore pour Trump : sa cote de popularité s'effondre dans les swing States, ces Etats qui font basculer l'élection. Le président est donné perdant dans le Michigan, le Wisconsin, la Pennsylvanie et même la Floride.

Mais il est loin d'avoir dit son dernier mot. Toute sa vie, il s'est extrait de situations impossibles : faillites de ses casinos, scandales sexuels, collusion avec la Russie, procédure d'impeachment... "Donald Trump peut s'appuyer sur son génie de la rhétorique, il manie les mots avec une telle confiance qu'il peut détourner l'attention de manière à n'être tenu responsable de rien", analyse Jennifer Mercieca. En d'autres termes, il joue l'attaque, faisant porter la responsabilité de l'épidémie à la Chine, à l'Organisation mondiale de la santé ou même à Barack Obama, accusé d'avoir mal préparé les Etats-Unis à la crise.

Soldats de l'extrême droite

Dos au mur, Trump se replie aussi sur sa base électorale. D'abord, en interdisant toute immigration pour une durée de deux mois. Ensuite, en soutenant les manifestations anticonfinement qui ont éclaté dans le pays à la mi-mars. Dans ces rassemblements, les affiches pro-Trump se mêlent aux slogans antiscience et antigouvernement.

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La machine à propagande est en marche. "Derrière ces manifestants se cache un réseau de conservateurs traditionnels qui apportent leur argent et leur capacité à structurer des mouvements, observe le journaliste indépendant David Neiwert, auteur de Alt-America : la montée de la droite radicale sous Donald Trump (2017). Ce mouvement vise clairement à le faire réélire. Un jeu dangereux : on a vu ces trois dernières années à quel point les soldats de l'extrême droite américaine pouvaient se montrer violents."

Vers une abstention record?

Ce comportement radical n'est pas la seule chose qui inquiète les démocrates. Lors d'une levée de fonds, le 23 avril, Joe Biden a mis "sa main à couper" que Donald Trump tenterait de repousser les élections de novembre. Un scénario improbable, selon Seth Masket, car inédit dans l'histoire américaine et non prévu par la Constitution. "Mais les précédentes déclarations de Trump, notamment sur l'éventualité d'une guerre civile en cas d'échec de sa réélection, font naître des craintes légitimes sur la tenue d'élections démocratiques dans un contexte si particulier", admet le politologue.

Autre scénario possible : Donald Trump encouragerait subtilement les électeurs démocrates à rester chez eux le 3 novembre. Dans le plan de sauvetage voté par le Congrès, seulement 400 millions de dollars sont prévus pour adapter l'élection présidentielle à la pandémie. Or il en faudrait au moins 2 milliards pour garantir la sécurité des électeurs le jour du scrutin, avec davantage de bureaux de vote et d'assesseurs et un recours accru au vote par correspondance.

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En l'absence d'un tel plan, l'abstention pourrait atteindre des records. Les électeurs les plus radicaux auraient alors tout intérêt à se déplacer en masse aux urnes pour faire pencher la balance en faveur de leur champion. Le Dr Trump a plus d'un tour dans son sac.

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