L’opération de contrôle se déroulait sans encombre ce dimanche de Pâques 12 avril sur le Vieux-Port à Marseille. Assis sur un banc, un homme démuni de son attestation de déplacement dérogatoire au confinement avait été invité à rentrer chez lui sans que l’équipage de la CRS autoroutière ne le verbalise. Mais lorsqu’il s’est agi d’intervenir auprès d’un jeune homme soupçonné d’avoir craché sur deux passants qui lui auraient refusé une cigarette, les choses ont incroyablement dérapé.
Deux policiers marseillais, le brigadier Michel Provenzano, 46 ans, et son jeune collègue stagiaire, frais émoulu de l’école de police, Mathieu Coelho, 26 ans, ont été respectivement condamnés, mercredi 6 mai, à quatre ans et dix-huit mois de prison pour l’enlèvement et la séquestration d’un jeune réfugié afghan, abandonné trente kilomètres plus loin dans un lieu isolé. Les deux fonctionnaires ont été écroués à l’issue de leur procès devant la chambre des comparutions immédiates où ils avaient été conduits à la sortie de leur garde à vue devant l’inspection générale de la police nationale (IGPN). Un troisième membre de l’équipage, une jeune femme adjointe de sécurité, a été condamné à un an de prison avec sursis.
Jamshed S., un Afghan de 27 ans, avait été relâché après un premier contrôle de son titre de séjour de réfugié. Evoquant des invectives en afghan et des doigts d’honneur, les policiers l’avaient rattrapé. Clé de bras et projection violente sur le véhicule, attestent les caméras de vidéosurveillance. « C’est à partir de là que Michel [Provenzano] s’est énervé », a déclaré la jeune adjointe de sécurité, chargée de procéder au menottage. Au prétexte de consignes destinées à limiter les gardes à vue aux seules infractions au confinement et aux violences graves, les policiers avaient choisi de « l’enlever du secteur », plutôt que de le présenter pour outrage à « un officier de police judiciaire qui nous aurait ri au nez ».
« Ça fait du bien, ça soulage »
Pour Mathieu Coelho, « c’est notre première grosse erreur, on aurait dû laisser tomber et le laisser partir ». Au lieu de quoi, l’équipage le conduit dans un endroit désert, un chemin forestier de Châteauneuf-les-Martigues, à une trentaine de kilomètres. Michel Provenzano s’isole avec le jeune réfugié derrière une butte après avoir pris soin de déposer son arme de service dans le vide-poches du véhicule. « Par peur de faire des conneries », a-t-il déclaré au tribunal.
S’il conteste l’avoir frappé, la jeune adjointe de sécurité l’a aperçu mettre « une gifle ou un coup de poing » au visage du jeune homme laissé sur place, une fois son portable cassé. Par crainte qu’il ne photographie la plaque de la voiture, a expliqué Mathieu Coelho. Dans la voiture le brigadier lâche à ses deux jeunes collègues : « Ça fait du bien, ça soulage. » Les deux hommes décideront ensuite la rédaction d’une fausse main courante précisant qu’ils avaient déposé Jamshed S. au commissariat pour défaut d’attestation.
« Trente-trois minutes de dérapage, de folie hors cadre contre vingt ans passés dans les CRS sans aucune mention disciplinaire », a plaidé Me Nicolas Berthier, avocat de Michel Provenzano qui a concédé avoir « fait une énorme connerie » et être pris dans « un effet tunnel ». Face à ses collègues de l’IGPN, il avait d’abord maintenu avoir déposé Jamshed S. à l’hôtel de police jusqu’à ce qu’on lui prouve que leurs téléphones et celui de la victime avaient « suivi » le même chemin, ce soir-là. « Vous faites exactement comme les voyous », lui a opposé la présidente du tribunal. Les trois policiers se sont excusés auprès du jeune Afghan présent à l’audience, l’un d’eux disant même avoir « déshonoré [son] uniforme »..
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