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Cannes : David Lisnard, maire « 100 000 volts »

Nettoyage des rues par drone, fabrication de masques pour tous les habitants, création d'un « Amazon » local… Le maire de Cannes, privé de Festival, s'est démultiplié pour faire face à l'arrêt brutal du tourisme et de l'événementiel. Il nous détaille son plan pour le rebond.

Privé de Festival, le maire de Cannes face à la crise
Privé de Festival, le maire de Cannes face à la crise (©Laurent Carré pour Les Echos Week-end)

Par Marina Alcaraz

Publié le 7 mai 2020 à 09:01Mis à jour le 7 mai 2020 à 12:18

En temps normal, ce devrait être l'effervescence. Une armée logistique devrait s'activer à tout préparer pour accueillir les stars venues présenter leur film dans le plus prestigieux des festivals de cinéma. Cannes devrait déjà retenir son souffle avant le moment phare de l'année . Mais, en ce début mai 2020, la célèbre Croisette est quasi déserte. Faute de Festival, son palais, face à la mer, héberge une quarantaine de sans-abris, pour les protéger du Covid-19.

David Lisnard, le maire de la ville - tout juste réélu sous l'étiquette Les Républicains au premier tour des municipales, avec un score en forme de plébiscite (88%) -, n'a pas pris une minute pour célébrer sa victoire. Car il doit gérer une crise sans précédent : à cause de l'arrêt complet du tourisme, principal secteur économique avec quelque 3 millions de visiteurs annuels, et l'annulation de tous les grands événements, la cité de 75 000 habitants est en suspens.

Une gestion de crise jour et nuit

« Si le Festival de Cannes est l'événement le plus connu, l'annulation des salons professionnels pourrait sans doute se révéler plus douloureux : il risque de falloir du temps pour faire revenir les entreprises, dans un contexte de récession », s'inquiète l'élu. Le palais des festivals apporte chaque année 850 millions d'euros de retombées économiques directes et indirectes au travers d'une cinquantaine de manifestations.

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Le jour où nous l'avons rencontré une première fois, fin février, l'édile venait d'apprendre l'apparition d'un premier cas de coronavirus dans sa ville ; on le sentait anxieux. Depuis, l'homme de 51 ans s'est littéralement démultiplié, au prix de cernes marqués sous les yeux. « C'est une gestion de crise jour et nuit, avec l'obsession de sauver des vies. On se doit de prendre les décisions au bon moment », raconte celui qui est dans l'équipe municipale depuis 2008, d'abord comme premier adjoint, puis aux manettes à partir de 2014.

David Lisnard, photographié à la mairie de Cannes, le 24 avril dernier.

David Lisnard, photographié à la mairie de Cannes, le 24 avril dernier.©Laurent Carré pour Les Echos Week-end

Sur le front sanitaire et la question particulièrement épineuse des masques, dès le 16 mars, la ville de Cannes en met à disposition pour les soignants puis peu de temps après pour tous les agents sur le terrain : policiers, agents sociaux, éboueurs… « Nous avions mis en place une étude des risques dès 2014, parmi lesquels figurait une épidémie. Nous avions donc des masques en stock. Mais nous avons aussi une équipe d'acheteurs qui a ses filières pour fournir des produits à l'hôpital… ce qui ne relève pourtant pas de la gestion de la mairie en théorie », estime l'hyperactif. Une manufacture de masques, créée avec des couturiers et des retoucheurs professionnels, a été montée en toute hâte pour équiper tous les habitants.

La création d'un « Amazon » local

Fils d'un footballeur professionnel et d'une danseuse, devenus commerçants, David Lisnard a aussi beaucoup fait pour le tissu économique local. Il connaît de première main les sentiments qui étreignent les petits détaillants, lui qui a repris un temps une boutique. Il a ainsi monté un service de commande et de livraison des maraîchers, une plate-forme de dons destinée à acheter des produits dans des petits commerces pour les livrer aux soignants notamment, ou encore un service de garde d'enfants des caissiers. En tant que président de l'agglomération, il vient de lancer un mini- « Amazon » local, conçu par une start-up du coin, qui recense les magasins aux alentours pour inciter les résidents à consommer local.

« Il a à la fois une vision hélicoptère et une vision de terrain, avec un grand souci du populaire au bon sens du terme », témoigne Maxime Saada, le patron de Canal +. « Il ne brasse pas du vent. Quand on lui envoie des débriefs, on sait qu'il les lit car il nous répond à 22 heures. Son équipe suit chaque demande de prêts d'hôtels ou de restaurants, relance les banques, se félicite Christine Welter, présidente du syndicat des hôteliers. Il sait nous rassurer en période d'incertitude. »

Avoir « un coup d'avance » sur l'Etat

La mairie de Cannes va bien souvent au-delà des recommandations de l'Etat : mise en place de thermomètres dans certains commerces, promotion de drive-tests pour dépister le coronavirus, désinfection des rues par drone. « J'ai géré des crises lourdes par le passé comme les inondations de 2015, et je sais qu'il faut savoir ne compter que sur soi-même. Je ne crois pas au centralisme bureaucratique. Un maire doit prendre des initiatives, engager sa responsabilité, explique le premier magistrat de Cannes. La stratégie nationale est guidée par la pénurie. Nous essayons d'avoir un coup d'avance. »

Toute son action n'est pas exempte de polémiques. « Les autorités de santé ne préconisent pas le nettoyage des rues, dangereux pour l'environnement. Mais le maire a du mal à recevoir les critiques, à reconnaître ses erreurs », fustige Olivier Baconnet, qui a mené aux municipales la liste « Le lien écologique et solidaire » (moins de 5% des voix).

Même sa maîtrise de la communication, particulièrement sur les réseaux sociaux - il a 33 000 abonnés sur Twitter où il se définit d'abord comme père de famille - fait parfois grincer des dents. « Il a un côté un peu narcissique », euphémise l'une de ses connaissances. Dans son bureau, une photo le montre aux côtés de Steven Spielberg et Nicole Kidman en train de pianoter sur son smartphone. « Je leur montre comment tweeter », a-t-il relaté au Point en 2014.

50 grands événements par an

Parmi les plus importants :

Le Festival de Cannes : avec 125 000 festivaliers en 2019 dont plus de 12 000 professionnels pour le marché du film.

Le Mipim : , dans l'immobilier, comptant 27 000 professionnels accrédités en 2019.

Les Cannes Lions : , festival de la créativité, notamment dans la publicité (15 000 professionnels).

Le MipCom et le MipTV : dans l'audiovisuel (respectivement 14 000 et 9 500 professionnels).

Le Yachting Festival : , qui accueille 50 000 visiteurs.

Le Festival des jeux : , avec 115 000 visiteurs en février dernier, dont 5 000 professionnels.

Pragmatique et proactif

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David Lisnard voue un attachement viscéral à la ville qui l'a vu grandir. « Dès l'adolescence, il m'avait dit qu'il voulait être maire de Cannes », confie Rémy Giudice, un ami d'enfance. Avec une haute idée de la fonction : « Quand j'ai été élu la première fois, tout le monde voulait fêter ça. Mais je n'avais pas le coeur à boire, je sentais le poids de la responsabilité qui m'incombait. Je suis quelqu'un qui doute, j'ai peur de ne pas être à la hauteur des attentes, de ce 88%… » confesse-t-il. L'édile mène Cannes en businessman : « On gère une ville comme une entreprise, sauf qu'on ne distribue pas de dividende. »

Le maire (à droite), lors d'une visite à l'Ehpad Les Broussailles du centre hospitalier de Cannes.

Le maire (à droite), lors d'une visite à l'Ehpad Les Broussailles du centre hospitalier de Cannes.©Laurent Carré pour Les Echos Week-end

Ce marathonien - qui a toutefois renoncé à courir en ce moment « pour donner l'exemple » -, a formé autour de lui une équipe qui ne compte pas ses heures. « C'est un maire totalement atypique, toujours en mouvement, qui a tendance à internaliser les choses, plutôt que de déléguer à l'extérieur », affirme Stéphane Courbit, le patron de Banijay, devenu avec le rachat d'EndemolShine le numéro 1 de la production audiovisuelle.

« Il est pragmatique, proactif. Par sa connaissance de la ville et du tissu touristique et économique, ses ambitions dans la filière audiovisuel-cinéma, il apporte beaucoup au Festival », relève Pierre Lescure, le président du Festival de Cannes. Il y a bien eu quelques frictions entre Lisnard et Thierry Frémaux, le délégué général du Festival. Mais elles sont dues au fait qu'ils ont « tous les deux des caractères forts », et relèvent du passé, assure l'ancien patron de Canal +.

Il assume de déplaire

Des frictions, il peut en naître avec d'autres personnes. Car celui qui a installé un punching-ball dans son bureau peut se montrer « entêté », jugent les moins enthousiastes. En témoigne son acharnement à lancer un festival des séries : alors que plusieurs villes sont en compétition en 2017 pour accueillir un tel événement, Cannes prévient qu'elle en organisera un de toute façon, quel que soit le choix du gouvernement, qui désignera finalement Lille.

En l'occurrence, son audace (ou son outrecuidance) lui vaudra, aussi, des ralliements. « Quand j'ai vu ses déclarations, je l'ai appelé pour lui proposer notre soutien », se souvient Maxime Saada, qui a fait de Canal le partenaire privilégié de Canneseries. En tout cas, ce maire « à la fois méthodique et rock'n'roll, avec son vieux combi Volkswagen », comme le souligne Sophie Mouysset, l'une de ses collaboratrices depuis une vingtaine d'années, assume de déplaire. Une professionnelle se souvient ainsi d'un dîner où un acteur connu, enivré, lui avait lancé des propos sexistes : « Il a été le seul à avoir le courage de se lever et de lui demander de se taire, se fichant des conséquences que cela pourrait avoir pour lui-même. »

Proche d'Edouard Philippe

Pas mondain, pas du genre à courir les cocktails, David Lisnard est tout de même familier des sphères parisiennes. Il est notamment proche d'Edouard Philippe et connaît bien certaines stars des médias. « Le monde entier passe par Cannes et il sait s'activer pour en profiter », confirme Maxime Saada. Le maire a réussi à mobiliser plusieurs grands noms de l'audiovisuel et de la culture pour appuyer son initiative « Cannes on Air » visant à faire de la ville un hub de l'audiovisuel .

Pas mondain, pas du genre à courir les cocktails, David Lisnard est tout de même familier des sphères parisiennes.

Pas mondain, pas du genre à courir les cocktails, David Lisnard est tout de même familier des sphères parisiennes.©SYSPEO/SIPA

« Nous avons la culture internationale, la luminosité, la capacité de gérer de grands événements, la légitimité », avance le concepteur du projet à 500 millions d'euros (public et privé) qui couvre l'ensemble de la filière, avec un campus universitaire dédié aux métiers de la création et du contenu, des studios de tournage et de postproduction, un agrandissement du palais des festivals, un multiplex, et surtout un grand musée dédié au cinéma, l'un des plus importants en Europe, prévu pour 2025. « On va continuer à développer cette filière, même si le calendrier doit être un peu revu », concède-t-il.

Des ambitions nationales ?

Grand lecteur malgré son emploi du temps ultra-chargé - parmi les auteurs qui l'ont le plus marqué, il cite entre autres George Orwell ou Romain Gary -, David Lisnard croit fermement au pouvoir de l'éducation : « Quand j'étais jeune, un professeur ne m'avait pas encouragé à faire des études de sciences politiques, étant issu d'un milieu populaire. Je crois, au contraire, qu'il n'y a pas de déterminisme. Et que le capital que l'on peut se constituer par la culture est essentiel. »

Il a fini par faire Sciences Po Bordeaux. Le maire a ainsi développé l'éducation culturelle et artistique dans toutes les écoles et veille à ce que les Cannois profitent des événements internationaux, avec, par exemple, des invitations aux projections de films. Dans un lieu où le taux de pauvreté atteint 19% - au-dessus de la moyenne nationale - mais où les milliardaires viennent amarrer leurs yachts, le maire doit jongler entre les priorités. « Il faut traiter chacun d'égal à égal. Je n'ai pas peur d'envoyer des voitures de luxe à la fourrière. »

Beaucoup lui prêtent désormais des ambitions nationales. « Je le vois jouer un rôle important dans le futur », dit Maxime Saada. « Je n'ai pas de prétentions particulières. J'aime ma ville, l'aspect humain, technique, juridique du rôle de maire et surtout… J'aime prendre des décisions, faire bouger les choses », répond l'intéressé.

Par Marina Alcaraz

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