Pourquoi les théories du complot sont-elles si populaires ?
Il paraîtrait que nous n’avons jamais marché sur la Lune… La Nasa a beau multiplier clichés, démonstrations et témoignages, la rumeur court toujours. Comment expliquer le succès du conspirationnisme ? Quatre philosophes livrent leurs réponses top secrètes.
Parce qu’elles exercent notre esprit critique
René Descartes (1596-1650)
Au début des Méditations métaphysiques, Descartes entrevoit une hypothèse terrifiante. Et si, tout au long de notre existence, on nous manipulait ? Si, à la place d’un « vrai Dieu, qui est la souveraine source de vérité », il y avait (au ciel ou en coulisses) « un certain mauvais génie […] qui a employé toute son industrie à me tromper » ? Thèse audacieuse : ici, c’est Dieu lui-même qui est soupçonné, ce qui fait peut-être de Descartes le plus grand théoricien du complot de l’histoire… Mais regardons-y de plus près : chez lui, le complot est d’abord un outil intellectuel. Il pousse à remettre en cause les convictions les plus solides pour atteindre la certitude.
Parce qu’elles sont des manifestations de notre puissance
Friedrich Nietzsche (1844-1900)
Qu’est-ce qu’une théorie ? Une vision neutre et objective de la réalité ? Absolument pas, répond Nietzsche, c’est même tout l’inverse. Une théorie n’est que l’expression d’une interprétation du monde. Nietzsche développe une pensée perspectiviste : il n’y a pas de vérité au sens traditionnel du terme, mais un fourmillement de points de vue concurrents, dont chacun reflète les certitudes, les besoins et les valeurs de qui les défend. Expliquer, c’est donc toujours exercer une certaine « volonté de puissance » sur la réalité. Et si c’était précisément au nom de cette irréductible diversité des points de vue que nos théoriciens du complot contestaient les versions officielles ?
Parce qu’elles fournissent une explication facile
Gaston Bachelard (1884-1962)
L’attrait des théories du complot n’aurait pas surpris Bachelard. Il y aurait sans doute vu un mal nécessaire. En effet, le chemin vers la connaissance objective est semé de préjugés, de vices de raisonnement et de pseudo-explications. Connaître, c’est surmonter ces obstacles épistémologiques auxquels l’esprit cède presque automatiquement. La référence au complot est d’ailleurs un bon exemple de ce que Bachelard appelle « l’obstacle substantialiste », qui pousse à systématiquement expliquer les faits observés au moyen d’une cause unique et occulte. Si l’opium fait dormir, c’est à cause d’une « vertu dormitive ». De même, si la société a des problèmes, ce serait à cause d’un groupuscule tout-puissant qui agit dans l’ombre.
Parce que nous sommes toujours superstitieux
Karl Popper (1902-1994)
Dans La Société ouverte et ses ennemis, le philosophe des sciences analyse ce qu’il appelle la « thèse du complot, selon laquelle il suffirait, pour expliquer un phénomène social, de découvrir ceux qui ont intérêt à ce qu’il se produise. […] C’est, sous sa forme moderne, la sécularisation des superstitions religieuses. Les dieux d’Homère, dont les complots expliquent la guerre de Troie, y sont remplacés par les monopoles, les capitalistes ou les impérialistes ». À une époque où l’autorité de la science est de moins en moins discutable, le complotisme serait le nouveau visage de nos superstitions. Il est vrai qu’il est plus excitant de croire aux reptiliens qu’à des logiques économiques impersonnelles.
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