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L’Occident tenté de mettre la Chine à l’index

Au-delà des accusations mutuelles liées à la pandémie, cette crise inédite interroge la relation future entre un Occident hétéroclite et la puissance montante du XXIe siècle

Des agents de sécurité marchent devant un drapeau chinois à Pékin, le 1er mars 2008. — © China Photos/Getty Images
Des agents de sécurité marchent devant un drapeau chinois à Pékin, le 1er mars 2008. — © China Photos/Getty Images

Depuis des semaines, les tensions entre les pays occidentaux et la Chine grandissent. Aux invectives habituelles de Donald Trump s’ajoute une méfiance croissante des Européens, entre autres, quant aux origines et à la gestion de la crise sanitaire par Pékin. Les Occidentaux peuvent-ils se passer de la Chine? Nous proposons une série d’articles sur deux jours:

Le sentiment anti-chinois dans le monde n’a jamais été aussi fort depuis la répression de Tiananmen en 1989. Le constat n’est pas celui d’un expert à Washington ou à Bruxelles. Il émane d’un rapport rédigé par l’Institut chinois des relations internationales contemporaines, un centre de réflexion lié au Ministère de la sécurité d’Etat. Révélé lundi par l’agence Reuters, ce document a été adressé au début du mois d’avril aux plus hauts dirigeants chinois, dont le président Xi Jinping. D’après les sources de Reuters, le rapport s’inquiète de voir que la pandémie a entraîné une vague d’hostilité croissante «menée par les Etats-Unis et qui, dans le pire des cas, pourrait déboucher sur une confrontation armée».

D’Emmanuel Macron déclarant que la Chine devrait répondre «à des questions difficiles concernant l’apparition du virus» au secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo avançant l’hypothèse que la maladie se serait échappée d’un laboratoire de Wuhan, l’heure est aux récriminations envers Pékin. L’inquiétude de l’élite chinoise est-elle donc si grande? Pour Valérie Niquet, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique à Paris, le rapport évoqué par Reuters reflète une véritable préoccupation. «Cet institut a accès à toutes les informations sur la situation interne et externe de la Chine. La référence à Tiananmen est importante: après 1989, le pays avait été soumis à des sanctions économiques.» «Il s’agit d’une école de relations internationales de troisième ordre, tempère Lanxin Xiang, professeur d’histoire internationale au Graduate Institute à Genève et auteur de The Quest for Legitimacy in Chinese Policy (Ed. Routledge, 2019). Je n’y accorderais pas un poids démesuré, c’est juste le reflet d’un courant de pensée.»

Risque d’escalade

De fait, le Covid-19 atteint l’image de la Chine en Occident. Il y a quinze jours, un sondage du Pew Research Center révélait que deux tiers des Américains en ont désormais une vision négative, alors que les avis étaient presque partagés à égalité il y a trois ans. Mais il n’y a pas «un Occident», prévient Lanxin Xiang. A ses yeux, Pékin s’inquiète certes «du degré d’hystérie anti-chinoise alimentée par l’administration Trump, mais l’équation est différente avec l’Europe, où les critiques ne vont pas jusqu’à saper la légitimité du gouvernement chinois, ni à pousser à un changement de régime».

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Si le professeur affiche sa confiance dans ce qu’il nomme les «points de convergence à long terme entre Chine et Europe sur le commerce, le multilatéralisme ou le changement climatique», il rejoint le rapport révélé par l’agence Reuters sur un point capital: le risque de confrontation armée entre Pékin et Washington. «Cette pandémie fournit une occasion en or aux fanatiques évangéliques, anti-communistes et anti-chinois, comme Mike Pompeo et Mike Pence, pour entraîner Donald Trump, qui est totalement dénué d’idéologie. Je suis inquiet à l’idée de voir dégénérer un incident entre les deux marines en mer de Chine du Sud.»

L’hypothèse ne convainc pas Valérie Niquet: «Quelles que soient les déclarations de l’administration Trump, les Etats-Unis ne sont pas l’agresseur dans cette affaire.» Le risque d’une escalade militaire à la suite d’un accrochage sur fond de rhétorique acerbe nécessiterait, selon elle, une réponse ferme de Washington. «La seule issue est que les Etats-Unis jouent leur rôle de stabilisateur en Asie et affichent leur détermination. S’ils hésitent, cela encouragera ceux qui, à Pékin, pensent qu’il y a une occasion à saisir. Or la Chine sait pertinemment qu’elle n’a pas les moyens d’un conflit armé avec les Etats-Unis.»

«Vision binaire des Lumières»

Si l’axe principal des tensions s’articule entre Washington et Pékin, les Européens sont eux aussi face au défi de définir le regard qu’ils porteront sur la Chine une fois la pandémie passée. Valérie Niquet réfute toute intention d’en faire un Etat paria. «La question est de savoir si un système politique qui ne fonctionne pas selon les règles du monde libéral et dont l’unique objectif est le maintien au pouvoir du Parti communiste peut coexister avec le statut de superpuissance.» Mais les Occidentaux ont-ils encore les moyens d’imposer leur volonté? La spécialiste de l’Asie plaide pour exiger de Pékin qu’il respecte les règles du système international telles qu’elles existent.

«Ces pressions peuvent servir ceux qui, en Chine même, souhaitent voir leur pays évoluer. Il ne s’agit pas de changer de régime mais de le pousser à une évolution graduelle.» «Le régime chinois a ses failles, mais il faut cesser de le considérer avec une perspective idéologique, réplique Lanxin Xiang. Dire qu’un régime n’est pas légitime parce qu’il n’est pas démocratique, c’est oublier ce qu’il est capable de faire pour ses citoyens. Il faut se débarrasser de cette vision binaire issue des Lumières et se concentrer sur les résultats plus que sur les procédures.» Les Européens devront s’accorder sur leur approche d’ici au 14 septembre. Ce jour-là, Xi Jinping sera à Leipzig pour y rencontrer les 27 chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE.

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