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Grands mammifères

Tiger King sur Netflix : plus de tigres captifs aux Etats-Unis que libres dans la nature

La série documentaire Tiger King diffusée sur Netflix met en lumière le business incroyable des grands félins aux Etats-Unis. Si elle s'attarde particulièrement sur les rivalités et personnalités des protagonistes, Sciences et Avenir s'est davantage intéressé au sort de ces animaux.

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Joe Exotic (Joseph Maldonado-Passage) est un ex éleveur de tigres et exploitant de zoo. Il est l'un des protagonistes de la série Tiger King, diffusée sur Netflix. Il purge actuellement une peine de prison.

Joe Exotic (Joseph Maldonado-Passage) est un ex éleveur de tigres et exploitant de zoo. Il est l'un des protagonistes de la série Tiger King, diffusée sur Netflix. Il purge actuellement une peine de prison.

USA Today Network/Sipa USA/SIPA

Le Soleil cogne en Floride. Eric Goode, le réalisateur de la série documentaire Tiger King s'étonne donc de pouvoir filmer une panthère des neiges retenue captive à l'arrière d'un camion surchauffé. Pour Goode c'est l'étincelle, et un sujet en or : "ce phénomène américain des félins domestiques". Sa série, diffusée sur Netflix, rencontre actuellement un vif succès. Sciences et Avenir a tenté de prendre la pleine mesure de ce triste phénomène.

La cruauté de ces "zoos en bord de route"

Avec le recul, Mike Tyson en convient : posséder des tigres de compagnie était une idée "débile", a-t-il déclaré dans différents médias. Mais l'ex-boxeur n'a pas hésité pendant des années à poser à côté de félins. Une exposition qui a pu donner des idées à d'autres. "Garder des tigres ou d'autres grands félins a longtemps été considéré comme le symbole d'un certain statut dans la culture humaine remontant aux sociétés anciennes, explique à Sciences et Avenir l'association de protection des animaux Peta USA, qui intervient dans l'affaire exposée dans la série Tiger KingCes derniers temps, des célébrités ont popularisé la possession de grands félins et perpétué la croyance erronée que les animaux sauvages font de bons animaux de compagnie".

FREAKS SHOW. "Je suis franc, beau, et j'adore faire la fête". Ainsi s'exprime le "roi des tigres", comprenez Joe Exotic, véritable héros de la nouvelle série documentaire de Netflix, Au Royaume des fauves. Héros, ou plutôt anti-héros, tant le personnage, improbable croisement entre Beetlejuice et Trump, coche toutes les cases dans l'épouvante. Durant cinq années, lui et d'autres patrons de zoos privés des Etats-Unis ont été suivis par la caméra du documentariste Eric Goode. Lequel était parti pour relater les tristes dessous de l'exploitation des grands félins chez l'oncle Sam. Mais Tiger King donne à voir l'étrange évolution d'une enquête journalistique qui mute au fil de sa réalisation : si cette série est un documentaire animalier, ce n'est pas sur l'espèce qu'on pense. Son véritable sujet d'étude est Homo sapiens. Un Homo sapiens du 21e siècle, dopé aux usages numériques comme on peut l'être aux hormones : bouffis d'orgueil, délirants de narcissisme, Joe Exotic et ses comparses se vivent comme des "showmen", des "entertainers". Pour installer leur notoriété, ils chroniquent en permanence leurs frasques à coup de clips vidéo, sites web, réseaux sociaux. Marginaux et "influenceurs", ils filment tout de leur vie, en permanence, comme s'ils étaient les protagonistes d'un programme de télé réalité. D'évidence, ce sont des heures de rushs dans lesquels Eric Goode a pu puiser, bien avant d'installer lui-même sa caméra dans le zoo de Joe (ouvert en 1999). De quoi produire un long documentaire (7 épisodes), qu'on aura le droit de trouver éminemment antipathique, Tiger King évoluant entre le spectacle du sordide et le clin d'oeil au spectateur ("Regardez comme vous et moi sommes plus malin que cette bande de tocards" !). La série de Netflix n'en demeure pas moins fascinante, comme peut l'être la contemplation du vide, celle des abîmes.
Olivier Lascar

 

Les réseaux sociaux ont démultiplié le problème, poussant d'ailleurs Instagram a lutté contre les selfies avec des animaux sauvages. Nombreux sont les "influenceurs" qui se mettent en scène avec un bébé tigre entre les mains. Aux Etats-Unis, les propriétaires de zoo privés, souvent situés en bordure de route, n'ont cependant pas attendu les réseaux sociaux pour flairer une juteuse affaire. Ils ont profité de l'attirance du public pour les tigres et ont commencé à vendre des rencontres avec des félins juvéniles. La série Tiger King montre comment des éleveurs de tigres se rapprochent dès le début des années 80 en réseaux informels, bien avant l'avènement d'Instagram et consorts. "Ce phénomène a gagné en popularité et les propriétaires privés ont commencé à produire des bébés tigres, car ils sont relativement faciles à élever en captivité", poursuit Peta.

A LIRE. L'inquiétante "mode" des bébés félins en France.

Pour ce faire, les tigreaux sont rapidement arrachés à leur mère, parfois seulement quelques heures après leur naissance. Ils peuvent ensuite être expédiés d'un exposant à un autre pour être exploité lors de séances photos avant qu'ils ne deviennent trop massifs et agressifs. "J'ai été idiot, a expliqué Tyson dont les propos ont été rapportés par RMC. Il n'y a aucun moyen de domestiquer ces 'chats' à 100%. Aucun moyen. Ils peuvent vous tuer par accident, surtout quand vous jouez avec eux et que vous les repoussez. Ils deviennent excités, vous frappent en retour et bam, vous êtes mort".

Les zoos privés dévoilés dans Tiger zoo ne peuvent donc utiliser des bébés tigres pour les rencontres que quelques mois avant qu'ils ne deviennent trop dangereux pour entrer en contact avec le public. Une loi limite donc ces interactions entre la 8e et la 12e semaines du petit. "Cette fenêtre étroite réduit la rentabilité de ces tigreaux pour les séances de photos et les caresses et, espérons-le, incitera à réduire la reproduction", note sur son site le Fonds mondial pour la nature (WWF). Un voeu pieux selon Peta, qui dénonce la façon dont les propriétaires de ces zoos s'en accommodent : "Ces animaux sont exploités pour autant de photos que possible durant cette courte fenêtre, leur permettant ainsi de respecter la réglementation, puis ils sont placés dans des cages miteuses pour le reste de leur vie". Et même si un propriétaire avait la volonté de réhabiliter son animal, ce ne serait pas possible. "Ces tigres sont souvent consanguins, ce qui peut provoquer des malformations congénitales et des problèmes de santé et ce qui les rend impropres à l'introduction dans la nature", note le WWF.

Combien de grands félins présents aux Etats-Unis ? Mystère

Malgré le risque élevé d'accident avec des particuliers et le profond traumatisme subi par ces animaux sauvages, le phénomène garde une ampleur considérable aux Etats-Unis. Ils seraient environ 2.000 tigres détenus dans des installations légales, autorisées par le département américain de l'Agriculture. Et selon le WWF, seulement 6% de la population américaine de tigres en captivité résiderait dans des zoos et d'autres installations accréditées par l'Association of Zoos and Aquariums, qui favorise les programmes de conservation des espèces menacées et d'éducation du public.

Au final, ce serait plus de 5.000 tigres qui vivraient captifs aux Etats-Unis. Soit davantage qu'en liberté ! Les chiffres exacts ne sont en réalité pas connus. Pour Peta, "cela témoigne du manque de surveillance de la part des agences gouvernementales" et cela permet à cette crise de se poursuivre outre-Atlantique. Comment mener une action efficace tant qu'un tel recensement ne sera pas effectué ? Qui surveiller ? Dans quel Etat ? Et le problème prend une autre dimension quand on lui ajoute toutes ses composantes : "Les tigres sont de loin la plus prolifique des espèces de félins aux États-Unis, mais si vous incluez d'autres espèces telles que les lions, les jaguars, les léopards, les guépards et les couguars, les chiffres sont sans aucun doute stupéfiants", prévient Peta.

La protection des grands félins doit aussi se mesurer au casse-tête des lois locales, étatiques et fédérales américaines. Ainsi, des installations sont bien autorisées par le département de l'Agriculture quand d'autres trouvent leur légalité auprès des lois de l'Etat qui les abrite. D'ailleurs, certains d'entre eux n'exigent aucune autorisation ce qui implique donc qu'il n'y a pas de loi adaptée pour protéger ces animaux ou encore le public qui va à leur rencontre. Et les propriétaires privés dans ces États n'ont aucune obligation de signaler la présence de ces animaux s'ils ne les exposent pas, les cachant ainsi du décompte officiel.

"Un nombre inconnu de grands félins est conservé dans les sous-sols et les arrière-cours, à l'abri de toute agence gouvernementale, ajoute Peta. C'est pourquoi l'estimation du nombre total de tigres et autres grands félins dans le pays est sûrement vertigineuse : car nous n'avons tout simplement aucune idée du nombre exact qui est détenu entre les mains de propriétaires privés". "Aucune agence gouvernementale ne surveille et ne suit où se trouvent tous ces tigres, qui en est propriétaire, quand ils sont vendus et échangés, ou ce qui arrive à leurs précieuses parties corporelles à leur mort", ajoute le WWF. L'attrait des pays d'Asie du Sud-Est pour celles-ci peut faire craindre une alimentation du marché noir géré par les braconniers alors que ce commerce décime les populations sauvages de tigres.

Une loi de protection qui doit être validée par Donald Trump

Une loi nommée Big Cat Safety Act, censée structurer la possession de grands félins aux Etats-Unis, a déjà été rejetée. Mike Quigley, membre du Congrès parrain de ce projet de loi espère bien que la diffusion de Tiger King pourra faire pencher la balance. "La maltraitance des animaux dans la série a provoqué un tollé public et une attention accrue", se félicite sur son site l'homme politique démocrate. Et d'ajouter : "des projets de loi comme le Big Cat Public Safety Act devraient être promulgués immédiatement".

Cette loi mettrait fin à la détention de grands félins dangereux par des particuliers, elle exigerait un permis fédéral pour les autres détentions et restreindrait les contacts directs entre ces animaux et le public. Les activités avec les bébés félins seraient interdites. "Elle attend actuellement un vote complet à la Chambre des représentants des États-Unis, où la majorité des représentants ont signé le projet de loi", explique Peta à Sciences et Avenir. Le projet de loi a également été présenté au Sénat américain où il doit obtenir la majorité des votes. Si la Chambre des représentants est majoritairement démocrate, le Sénat lui, second organe du Congrès, est républicain et pourrait donc faire barrage à une loi portée par le parti adverse. Dernier obstacle : si elle est adoptée à la Chambre des représentants comme au Sénat, alors elle doit ensuite être approuvée par le président. Or Donald Trump n'a, au cours de son mandat, pas particulièrement montré d'intérêt pour le bien-être animal ou la protection des espèces...

Désormais, la série de Netflix a mis au grand jour l'incroyable cruauté de ce business animalier. Si elle s'attarde surtout sur la crépusculaire galerie de personnages qui animent cette nébuleuse, Peta espère néanmoins que Tiger King conduira les Américains à éviter ces zoos de bord de route et les selfies avec des tigreaux. "Tant que les touristes voudront payer pour faire des câlins à des petits félins - et tant que le manque de réglementation rendra la possession de félins dangereux si facile - l'abus de ces animaux continuera de se poursuivre", conclut l'ONG. Ce business hors de contrôle sape également l'influence des Etats-Unis dans le domaine de la conservation des tigres. "Il est nécessaire qu'ils nettoient leur propre arrière-cour" avant de s'en prendre à l'Asie, met en garde le WWF. Arrière-cour qui abrite sans aucun doute de nouvelles portées de petits tigres.

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