Tribune. Bien avant qu’il ne soit question de construction européenne, et en pleine formation de l’Europe des nations, le banquier Emile Pereire (1800-1875) préconisait déjà de mutualiser les dettes européennes.
En bon saint-simonien, il est hostile à un certain laisser-faire qui conduit au désordre et veut au contraire organiser rationnellement le capitalisme au nom de l’intérêt général. Dans un manuscrit conservé dans des archives familiales, non daté mais remontant probablement aux années 1830, il appelle de ses vœux la création d’un « omnium européen » pour gérer une « dette cosmopolite ».
Il imagine un nouveau fonds qui fonctionnerait comme un panier de dettes souveraines : on y trouverait de l’emprunt à 3 % anglais, du 3 % et du 5 % français, des titres autrichien, napolitain, romain, espagnol, hollandais, belge, grec, russe, prussien et portugais. Un peu de tout donc, rassemblé selon un dosage approximatif, plus ou moins proportionnel à la puissance économique des différents pays : l’Angleterre et la France compteraient pour 20 % chacune, les autres pour 7,5 % ou 5 %, voire 2,5 % pour la dette romaine.
Il calcule ainsi que, pour un capital nominal de 100 000 francs, le coût d’achat du panier, au cours du jour, serait de 85 900 francs et le rapport annuel de 4 112 francs. Il sera donc possible de verser un intérêt fixe annuel de 4 % et d’affecter le surplus aux frais d’administration et à la formation d’une réserve, réinvestie dans de nouvelles acquisitions de titres d’emprunts.
Trois avantages
Elle devra servir à assurer le paiement régulier des intérêts, notamment en cas de réduction d’intérêts ou de suspension des paiements de l’une des dettes composant l’« omnium ». Le fonds sera géré par deux comités, à Paris et à Londres, en liaison avec la Banque de France et la Banque d’Angleterre. Il doit être constitué pour vingt-cinq ans.
Emile Pereire voit trois avantages à ce système.
– La solidarité financière entre Etats diminue les risques de baisse du titre : « Les chances de baisse seraient beaucoup moins fortes sur la rente cosmopolite que sur tous les autres fonds ; il y aurait par là une solidarité financière, une sorte d’assurance mutuelle entre tous les fonds de l’Europe. Une baisse sensible ne pourrait résulter que d’une conflagration générale ; les événements politiques qui affecteraient le crédit d’un Etat en particulier seraient à peu près sans effet sur le cours de l’omnium. »
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