Retour à l'école : "Ce qui m'a frappé, c'est la gravité des enfants"

En France comme dans la région, des milliers d'écoles ont rouvert leurs portes hier.

En France comme dans la région, des milliers d'écoles ont rouvert leurs portes hier.

Photo David Rossi

Enseignants, ils ont retrouvé certains de leurs élèves hier matin

"Y a plein de plantes qui ont poussé dans les fissures de la cour !" Deux mois sans aller à l'école, c'est long et ça laisse des traces. Et Nève, 10 ans, sort un peu perplexe de cette première journée dans son grand groupe scolaire du 4e arrondissement de Marseille. D'autant que personne n'a forcément retrouvé son maître habituel, ou ses copains, en raison de la composition de groupes intégrant les fratries. Seuls 48 enfants sur 350 sont attendus les prochaines semaines ; hier, ils n'étaient que 9. L'immense majorité des parents "attend toujours de voir" avant de rescolariser leurs enfants ; d'autres utilisent encore des mesures transitoires de chômage partiel ou d'autorisation de garde d'enfant pour les garder à la maison. "Tant mieux car on ne pourrait pas accueillir tout le monde", préviennent les enseignants aux quatre coins de la ville.

Rubalise pour condamner bancs et jeux, coin bibliothèque et jouets interdits, marquage au sol, maîtres masqués : "L'école n'est plus l'école", pose, songeuse, Katia, enseignante dans cet établissement du centre-ville, "on est tous dans une perte de repères". Son collègue, Damien, a trouvé ce mardi les enfants "un peu médusés, hagards". Elle a noté des petites choses : "Madame, quand le virus sera parti, est-ce que tout sera comme avant ?" Il a fallu définir ce "comme avant". Entre 6 et 10 ans, c'est souvent "retrouver les copines et jouer dans la cour"... "Je n'ai pas voulu insister pour l'instant, à chaque jour son petit pas", souffle Katia. Damien, qui a perdu une tante du Covid 19, admet des "difficultés à dormir", une angoisse qui demeure. "La peur est bien là", appuie Katia derrière son masque bleu.

À Vitrolles, Christophe, directeur d'une école classée Rep+, a été "frappé par la gravité" des 6 élèves (sur 147) qui ont fait leur retour hier matin. "Ils ont compris ce qui se passait, cette situation de danger potentiel." Et tous ont trouvé le temps bien "long" à la maison... "C'est complètement différent du retour des grandes vacances, où ils rigolent, s'amusent", remarque-t-il encore, "là, il y a encore de la retenue".

"Que les enfants soient heureux..."

Dans cet établissement chamboulé par le protocole sanitaire, l'équipe pédagogique n'espère qu'une chose : "Que les enfants soient heureux. Nous n'avons ni objectifs, ni attentes sur les acquisitions. Ce n'est pas le propos du moment. Nous voulons juste les rassurer, leur dire : Non, tu n'as pas tout perdu de tes apprentissages, regarde, ça tu sais le faire", professe Christophe, pour qui la "bienveillance" sera le maître mot. Pierre aurait bien aimé en faire également bénéficier la quarantaine d'élèves qui espéraient un retour dans son école, fichée dans le plus pauvre quartier de Marseille, Saint-Mauront (3e). "Mais on n'a pas pu ouvrir." Pas en raison de la pandémie... mais de la proximité d'un chantier qui projetait déjà avant le confinement des "nuages de poussière, peut-être d'amiante", vers l'établissement... "Nous n'avons pas réussi à obtenir des garanties suffisantes de l'aménageur pour envisager de rouvrir l'école", explique-t-il. Or, ici, renouer le lien avec les apprentissages est particulièrement nécessaire : à la continuité pédagogique, les enseignants ont souvent dû substituer la distribution de colis alimentaires à des familles en en grande précarité.

"Ceux qui auraient eu le plus besoin de revenir ne sont pas là", constate aussi, à l'autre bout de la ville, dans le quartier du Rouet, Corinne, directrice d'école. Seuls 10 enfants sur 150 en maternelle, 17 sur 270 en élémentaire, ont fait leur retour. "Les parents hésitent, ils veulent voir l'évolution de la pandémie", juge-t-elle.

Parmi les élèves, elle parvient déjà à dire "qui a passé un confinement avec un bout de jardin, qui n'avait même pas un balcon", ceux qui ont été rivés à la télé "qui a pu générer de l'anxiété" et ceux qui saturent. "Le coro, j'en ai marre !" a lâché hier un petit garçon. Un autre, en maternelle, a fait demi-tour en découvrant les enseignants masqués. Et tous ont "passé la journée à se laver les mains" et à découvrir de drôles de jeux : "Au lieu de trap-trap, ils ont essayé d'attraper leur ombre..." Déléguée syndicale Snuipp-FSU, Corinne relaie la "grande attente" de ses collègues sur le matériel de protection à disposition, ou la présence en nombre suffisant des agents municipaux. "Aujourd'hui, on en avait 5 sur 13. Heureusement que des renforts ont été envoyés d'autres établissements fermés", soupire la directrice. "Le vrai test, ce sera après le 25 mai ", avec le retour des petits de maternelle, des CE1, CE1 et CM1.

"Se laver les mains à 6, c'est une chose, dès qu'ils seront 30, c'en est une autre", renchérit Christophe, à Vitrolles.

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