Meurtre de Mireille Knoll : le parquet demande un procès pour crime antisémite

Dans son réquisitoire daté du 13 mai, le parquet de Paris n’exclut pas que les deux suspects du meurtre de l’octogénaire juive aient frappé à tour de rôle.

 Le 23 mars 2018, le corps de Mireille Knoll lardé de 11 coups de couteau et partiellement carbonisé était découvert dans son appartement.
Le 23 mars 2018, le corps de Mireille Knoll lardé de 11 coups de couteau et partiellement carbonisé était découvert dans son appartement. AFP/Lionel Bonaventure

    Qui de Yacine Mihoub et Alex Carrimbacus a tué Mireille Knoll ? L'un ou l'autre était-il animé d'une haine antisémite au moment de planter le couteau dans la chair de cette survivante de la rafle du Vel d'Hiv? Après deux ans d'enquête laborieuse sur le meurtre odieux de l'octogénaire juive, retrouvée morte dans son appartement parisien le 23 mars 2018, l'accusation s'est forgé son opinion.

    Selon nos informations, le parquet de Paris a requis un procès devant la cour d'assises pour les deux suspects pour « homicide volontaire » avec les circonstances aggravantes que les faits ont été commis sur personne vulnérable — Mireille Knoll était impotente — et en raison de la religion de la victime. Le ministère public admet que les investigations n'ont pas permis d'identifier matériellement l'auteur des coups de couteau mortel mais renvoie Yacine Mihoub et Alex Carrimbacus, qui s'accusent mutuellement du crime, dos-à-dos.

    « L'hypothèse selon laquelle les deux mis en examen ont pu avoir porté successivement ou concomitamment des coups de couteau (les blessures ayant été portées dans le dos, à la gorge et au ventre, alors même que la victime avait des difficultés à se mouvoir) ne peut être écartée », estime le parquet dans son réquisitoire définitif daté du 13 mai.

    Les deux suspects se rejettent la responsabilité du crime

    Le 23 mars 2018, le corps de Mireille Knoll lardé de 11 coups de couteau et partiellement carbonisé est découvert dans son petit appartement du XIe arrondissement. Les policiers du 2e district de la PJ parisienne identifient rapidement deux suspects. Yacine Mihoub, 30 ans, voisin de l'octogénaire, et Alex Carrimbacus, 24 ans, une connaissance de ce dernier. Ces deux anciens délinquants se sont rencontrés en prison. Le jour du crime, Yacine Mihoub s'était invité chez la vieille dame, décrite comme généreuse et naïve, pour boire et avait appelé Alex Carrimbacus, un marginal, pour qu'il le rejoigne. Ils seront les seuls témoins du meurtre.

    Après leur arrestation, chacun se rejette la responsabilité : Mihoub accuse son ami Carrimbacus d'avoir tué la vieille dame en voulant la cambrioler. Ils auraient ensuite incendié l'appartement à la hâte et se seraient débarrassés de l'arme du crime. Carrimbacus, lui, affirme que Mihoub s'est emporté et a attaqué la victime en criant « Allah Akbar » après une dispute et une discussion sur « la guerre 39-45 » et « les juifs ». Il la tiendrait la victime pour responsable de son ancienne incarcération pour une agression commise sur la fille de son aide-soignante.

    Ni ADN, ni aveux, ni exploitation technique n'ont permis de les départager au cours de l'enquête. « Force est de constater que l'information judiciaire n'a pas permis d'obtenir de l'un et de l'autre des explications concordantes et cohérentes sur le déroulement des faits », admet le parquet, regrettant « la propension au mensonge de chacun ».

    La décision revient désormais aux juges d'instruction

    Sur la question du mobile religieux, l'accusation relève que rien n'étaye un fond antisémite chez les suspects. En revanche, il est souligné que Yacine Mihoub avait effectué des recherches sur Internet sur « la libération de la Palestine, l'islam salafiste ou les frères musulmans ». Le voisin de Mireille Knoll avait par ailleurs été signalé par l'administration pénitentiaire pour avoir tagué des inscriptions faisant l'apologie des attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher dans sa cellule.

    Quant à Alex Carrimbacus, il aurait demandé si la victime était fortunée avant de se rendre à son appartement. « Ces éléments interrogent légitimement sur l'état d'esprit tant de Yacine Mihoub que d'Alex Carrimbacus et sur les raisons profondes de l'homicide », écrit le parquet pour justifier sa demande d'un procès pour crime antisémite.

    La décision de renvoyer ou non les deux suspects sous cette qualification juridique revient désormais aux juges d'instruction.

    La défense s'insurge

    Mais d'ores et déjà, la défense s'insurge contre les conclusions du parquet de Paris. « Nous sommes évidemment surpris par la teneur des réquisitions qui mettent les deux mis en cause strictement sur le même plan. C'est faire fi des éléments pourtant concrets du dossier et accablants contre Yacine Mihoub, estime l'avocat d'Alex Carrimbacus, Me Karim Laouafi, du cabinet Khiasma. Nous ne pouvons sur une affaire aussi grave raisonner sur de simples hypothèses. Si nous avons une certitude dans ce dossier, c'est que ce crime abject n'a pas été commis par notre client. L'instruction n'a jamais révélé le moindre ressentiment de notre client à l'encontre tant de Madame Knoll que de la communauté juive. »

    « Le réquisitoire admet que la mort de Mireille Knoll s'analyse plus justement en crime sur personne vulnérable qu'en crime antisémite, notent quant à eux les avocats de Yacine Mihoub, Mes Charles Consigny et Fabrice de Korodi. Le parquet n'a cependant pas eu le courage d'abandonner ce mobile, qui n'a toujours tenu qu'aux déclarations invraisemblables et changeantes du second suspect. Nous avons confiance dans l'indépendance des juges. La seule responsabilité de Yacine Mihoub est d'avoir laissé pénétrer Alex Carrimbacus dans l'appartement de Mireille Knoll. »

    Du côté des parties civiles, on salue au contraire les réquisitions du ministère public. « Dans ce type d'affaires où la justice n'est pas toujours passée, le parquet a cette fois vu clair et a bien compris que Mireille Knoll avait été tuée parce qu'elle était une vieille femme sans défense et parce que ses assassins n'aimaient pas les juifs », fait valoir Me Gilles-William Goldnadel, avocat de la famille Knoll.

    Le meurtre avait suscité une grande émotion dans la classe politique et dans la communauté juive. Le président Emmanuel Macron avait lui-même déclaré que « Mireille Knoll avait été tuée parce que juive », contribuant à mettre une certaine pression sur la justice.