Picasso, Bacon, Dali… les artistes dans l’objectif de Jesse A. Fernández

Picasso, Bacon, Dali… les artistes dans l’objectif de Jesse A. Fernández
Jesse A. Fernández, Francis Bacon, Londres, 1978, tirage argentique vintage. Courtesy galerie Orbis Pictus ©Jesse A. Fernandez/Coll. F. Mazin Fernandez

La galerie Orbis Pictus à Paris rend hommage au grand photographe cubain, peintre de vocation, Jesse A. Fernández (1925-1986) en dévoilant son projet non réalisé de livre d'artistes, associant portraits de peintres et autographes. Une exposition à découvrir dès le 12 mai et prolongée jusqu'au 4 juillet.

Bacon, Dalí, Ernst, Hartung, Hockney, Matta, Miró, Picasso, Tàpies… Autant de grands noms de l’histoire de l’art du XXe siècle portraiturés par Jesse A. Fernández, peintre de vocation devenu photographe, aventurier et photojournaliste. La galerie parisienne Orbis Pictus met en lumière l’un des derniers projets de ce libre-penseur, maître du portrait sur le vif, qui souhaitait créer un livre sur les peintres où chaque artiste aurait ajouter son autographe.

Jesse A. Fernández, Alexander Calder, galerie Paris, New York, 1962, tirage argentique vintage. Courtesy galerie Orbis Pictus ©Jesse A. Fernandez/Coll. F. Mazin Fernandez

Jesse A. Fernández, Alexander Calder, galerie Paris, New York, 1962, tirage argentique vintage. Courtesy galerie Orbis Pictus ©Jesse A. Fernandez/Coll. F. Mazin Fernandez

Capter l’âme des artistes

Né à Cuba en 1925, Jesús Antonio Fernández fuit successivement la dictature du général Machado à Cuba puis la guerre civile en Espagne avant de se rendre à New York où il étudie à l’Art Students League à New York avec le peintre George Grosz. Après avoir suivi le tournage du film Nazarín de Luis Buñuel au Mexique, il se rend en 1958 à La Havane à l’occasion d’un photoreportage pour le magazine américain « Life ». Admirateur de Walker Evans, il y surprend l’écrivain Ernest Hemingway jouant au casino durant ces « années folles », immortalise son ami peintre Wifredo Lam, et se lie avec Guillermo Cabrera Infante, dont il réalise un portrait à Cuba, portant lunettes noires et chapeau, drapé dans une couverture. L’écrivain cubain, actif contre le dictateur Batista, dirige alors le magazine « Lunes de Revolución ». Il publie les photos de Fernández avant de l’inviter à revenir travailler sur l’île, cette fois pour accompagner le leader de la révolution Fidel Castro. Il deviendra, de fait, son photographe attitré jusqu’à son accession au pouvoir en 1959, le suivant « dans bon nombre d’entreprises aussi inquiétantes que secrètes : quand il ne partait pas à la recherche du populaire combattant révolutionnaire Camilo Cienfuegos, […] il allait surprendre à l’aube le débarquement d’une invasion dominicaine au beau milieu d’un affrontement armé », raconte l’écrivain Ben-Amí Fihman. Jesse A. Fernández immortalisera le Líder máximo dans les tribunes comme dans les coulisses, jusqu’à ce qu’il comprenne la vraie nature du personnage et cherche à prendre le large. Lors d’un voyage en avion, dans l’un de ces Dakota dont la porte reste ouverte, il fait tomber ce qu’il a de plus précieux : ses Leica. Fidel Castro est contraint de le laisser partir aux États-Unis pour s’en acheter de nouveaux. Il ne reviendra pas…

Calligraphies intimes

Ce lecteur de Rimbaud – en français – qui estimait qu’« une photo ne vaut pas une vie », reprend alors la peinture, qu’il plaçait au-dessus de tout. Il habite désormais le « Village » et enseigne à la School of Visual Arts de New York, photographie Joan Miró et Antoni Tàpies et fait de longues parties d’échecs avec Marcel Duchamp qu’il fige dans des portraits aux traits émaciés. « J’avais changé et j’ai décidé de repartir à zéro. C’est alors que les premiers crânes apparurent. Beaucoup de ces crânes sont des paysages. Et je recommençais sans cesse. Le jour arriva donc où, à mon sens, je m’étais débarrassé du symbolisme. C’était juste devenu une question d’espace. » Jusqu’à la fin de sa vie, ce passionné de Cézanne n’aura de cesse de représenter à la plume ou au pinceau le motif du crâne humain, dans la tradition européenne des Vanités. « Il peignait, chose curieuse, d’innombrables têtes de mort entourées d’étranges et parfaites calligraphies qui étaient des fleurs d’encre », se souvient son ami Cabrera Infante. Proche de l’esprit surréaliste, l’artiste devenu américain crée aussi des boîtes-collages dans la lignée de celles du sculpteur américain Joseph Cornell, dans lesquelles il réunit peintures, dessins, photos et objets pour évoquer une citation telle que « Un coup de dé jamais n’abolira le hasard » de Mallarmé. « Jesse Fernández sait si bien voir une idée », disait le philosophe Cioran, dont il fixa pour toujours le regard pénétrant.

Fasciné par la mort, pour lui intimement liée à la vie, cet amateur de Nadar avait publié en 1980 un livre de photographies sur les Momies de Palerme, aussi effrayantes que grotesques. Il projetait d’en éditer un autre sur les peintres qu’il avait portraiturés, de Francis Bacon à David Hockney, « où chaque peintre aurait ajouté son autographe comme une calligraphie intime. Mais la mort, sous forme d’infarctus, le précéda dans la chambre noire », écrivit Cabreira Infante lors de sa disparition le 13 mars 1986. La galerie parisienne Orbis pictus dévoile une partie de ce projet inachevé, dans la ville qu’il avait choisie par amour pour France, son épouse, en 1977.

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