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Le féminisme éclairé de «Mrs. America»

Le féminisme éclairé de «Mrs. America»
Cate Blanchett incarne une Phyllis Schlafly pétrie de contradictions.

Maman Cate Blanchett est magistrale en conservatrice forcenée dans cette série qui revisite à contre-pied l’histoire du mouvement féministe dans l’Amérique des années 1970.

Impossible de réfréner un dandinement au générique de «Mrs. America», galvanisé·e·s sur la 5e de Beethoven remixée façon funk par Walter Murphy. On respire les seventies, poing levé pour les droits des femmes. Ce qui n’est pas le cas de Phyllis Schlafly, lancée bec et ongles contre l’Equal Rights Amendment (ERA), dans l’Amérique de Nixon, de Ford puis de Carter.

Cate Blanchett l’incarne brillamment pour son premier grand rôle en série. Chandail poliment calé sur les épaules, sourire redoutable, stricte et droite, très à droite dans le tailleur de son ultra-conservatisme républicain, Phyllis Schlafly a vraiment existé. Elle a vraiment plombé l’Amérique libertaire, vraiment réussi à bloquer cet amendement d’égalité des sexes déjà déposé dans les années 1920… et toujours non ratifié à l’heure actuelle!

Un personnage complexe
Phyllis Schlafly, experte du nucléaire, que le charisme de Cate Blanchett rend aussi fascinante que détestable, apparaît pétrie de contradictions. Non moins soumise au plafond de verre qu’à l’approbation d’un pater familias qu’il ne faut surtout pas castrer, son ambition politique et personnelle l’oblige à jouer les équilibristes, tout en gérant la charge mentale d’un foyer de six enfants. Dont le cadet déborde peu à peu du placard, ce qui n’aide pas les affaires de sa mère, désormais secrètement flanquée d’un «pervers» à la maison.

Pour gonfler les rangs de son mouvement antiféministe (STOP-ERA, pour «Stop Taking Our Privileges», fondé en 1972), Phyllis doit satisfaire, à coup de newsletters postales à l’ancienne, un petit club blanc pas franchement bien sous tous rapports: une majorité de mères du Midwest cramponnées aux privilèges de la Famille, quelques célibataires égarées, et des racistes décomplexées, acharnées contre l’avortement. Elles s’unissent dans la phobie pour tous ceux qui n’ont pas leurs couleurs, l’ennemi rouge venu de gauche, les Afro-Américains et la menace arc-en-ciel galopante, ces lesbiennes qui narguent le patriarcat.

Le portrait de Phyllis est saisissant parce qu’il absorbe les craintes à vif d’une caste et d’une époque, tout en révélant un nœud de failles intimes qu’elle étouffe dans la rigidité réactionnaire. On observe une fine stratège se débattre dans le déni des obstacles dont elle est au moins autant victime que ses adversaires, à savoir un sexisme rampant, que la créatrice de la série, la canadienne Dahvi Waller, a savoureusement distillé dans des scènes humiliantes de micro-agressions et mansplaining sur des plateaux TV, dans les couloirs comme sur l’oreiller.

La nuance intelligente
La force de «Mrs. America» tient d’abord dans le choix du contre-pied, ce portrait d’une femme acharnée contre la libération de toutes les autres, pour défendre le modèle de la famille puritaine et réaliser ses aspirations politiques dans l’activisme. De l’autre côté, du côté de celles qui se battent pour l’égalité des droits, «Mrs. America» multiplie des personnages tout aussi denses, qu’on adopte immédiatement, des pierres angulaires du mouvement féministe états-unien: Gloria Steinem (Rose Byne), Shirley Chisholm (Uzo Aduba) ou Betty Friedan (Tracey Ullman).

De débats en manifs, d’avancées en défaites, toutes traînent des stigmates qui alimentent le nerf de leurs combats. «Mrs. America» remonte l’histoire d’une sororité grandissante mais complexe. Elle observe aussi dans ces liens la genèse des négociations intersectionnelles, alors que les privilèges de chacune se heurtent parfois radicalement sur les questions raciales, sexuelles et économiques. Comment converger vers un horizon commun de libération avec des préoccupations, des priorités parfois incompatibles? D’un côté comme de l’autre, «Mrs. America» embrasse ces arrangements, cette complexité, joue la carte intelligente de la nuance. Elle choisit de montrer le réalisme constructif mais éprouvant des dissensions et des alliances au cœur de tout mouvement politique.

En mettant dos à dos des femmes multiples projetées dans leurs luttes, la série fait resurgir les conversations brûlantes d’une époque pour mieux renseigner celles d’aujourd’hui, en évitant tout piège manichéen. Presque pédagogique, «Mrs. America» est un récit lumineux à bingewatcher, qui au-delà de nous en apprendre beaucoup, contribue à ancrer l’actualité vigoureuse du féminisme sur les écrans.

«Mrs. America», de Davhi Waller, avec Cate Blanchett, Tracey Ullmann, Sarah Paulson, Uzo Aduba, Rose Byrne. Disponible sur Canal+ et My Canal.