REPORTAGEPlace Stalingrad, la présence de fumeurs de crack désespère les riverains

Place Stalingrad, la présence de fumeurs de crack désespère les riverains

REPORTAGEDes consommateurs de crack occupent régulièrement la place Stalingrad, dans le nord-est parisien, au grand dam des commerçants voisins
Guillaume Novello

Guillaume Novello

L'essentiel

  • Les fumeurs de crack sont présents depuis plusieurs années place de la Bataille de Stalingrad dans le 19e arrondissement.
  • Les commerçants voisins se plaignent d’une mendicité agressive et de comportements imprévisibles, faisant fuir les clients.
  • Les pouvoirs publics tentent d’apporter une réponse policière tandis que les associations d’accompagnement des toxicomanes réclament davantage de moyens.

«C’est catastrophique ! Ce matin, l’un d’entre eux m’a encore volé. » Eux, ce sont les consommateurs de crack, ou crackeux, qui ont élu résidence place de la bataille de Stalingrad, à la frontière entre les 10e et 19e arrondissements de Paris. Et Sami, le patron de la boulangerie la Grange aux pains située juste à côté, est excédé : « Cela a un impact sur le commerce car il y a plein de clients qui ne viennent plus. [Les crackeux] sont agressifs, ils mendient devant la boutique et cela fait fuir les clients. »

Au Jaurès, café contigu à la place, Dominique Dettome, qui tient boutique depuis treize ans, est sur la même tonalité, qualifiant le phénomène de « vrai fléau ». « On fait la police sur la terrasse, qu’on a clôturée pour se protéger de la mendicité agressive, explique le commerçant. Sinon, ils rentrent sur la terrasse et n’hésitent pas à s’emparer de la recette laissée sur la table par les clients. » Depuis son zinc, il observe le ballet erratique des crackeux. « Vers 2h du matin, ils sortent du métro et viennent s’installer sur la place Stalingrad puis vers 6h du matin, quand ils sont en manque car ils ont besoin de leur dose, ils deviennent agressifs. »

« On a peur »

« Certains ouvrent leur commerce tôt le matin et la personne qui est seule dans l’avenue a peur », appuie Jérôme Roizen, pharmacien et président de l’association des commerçants de l’avenue Secrétan, artère qui descend vers la fameuse place. Pour Sami, « les nuisances ont lieu tout au long de la journée, de 6h du matin à tard le soir ». En tout cas, « c’est devenu très agressif et quotidien, ajoute le pharmacien. On a peur qu’ils veuillent tellement leur produit qu’à la fin, ils seraient prêts à faire quelque chose qu’ils ne devraient pas faire. »

« Place Stalingrad, on a une situation historiquement enkystée, constate François Dagnaud, le maire du 19e arrondissement. On a effectivement ce que j’appelle des “grands brûlés” de la drogue que sont les usagers de crack. Ce sont aussi des bombes à retardement avec des comportements imprévisibles, très inquiétants et très insupportables pour les gens qui y sont confrontés selon les moments de la journée. » Pour l’édile, le problème s’est intensifié avec l’évacuation en juin 2018 de la colline du crack porte de la Chapelle. « Ça a été de la folie furieuse d’avoir organisé une évacuation sans aucun dispositif d’accompagnement, parce que ça s’est traduit très directement par une dispersion des occupants de cette colline sur des sites où il y avait déjà des scènes de toxicomanie, dont Stalingrad. »

Le jeu des vases communicants

Concernant la seconde évacuation, début novembre, François Dagnaud se félicite des « places dédiées, sur des sites et dispositifs adaptés, qui ont permis de sortir des scènes de crack au moins 70 personnes ». Néanmoins, selon la préfecture de police, « le démantèlement […] a eu un impact sur la physionomie du secteur Stalingrad, certains consommateurs affirment qu’ils en viennent ». « Ce sont des solutions répressives qui ont été mises en place depuis les évacuations porte de la Chapelle et porte d’Aubervilliers », commente pour sa part Léon Gomberoff de l’association Aurore, qui « accompagne vers l’autonomie des personnes en situation de précarité ou d’exclusion ». Il constate également que « place Stalingrad, il y a un essor depuis les évacuations ».

Face à cela, « l’urgence, affirme le maire du 19e, et c’est une demande que je continue de porter, est d’assurer la protection et la sécurité des riverains. Nous demandons un renforcement des moyens et de la présence surtout de la police. » L’élu réclame également le démantèlement des réseaux qui approvisionnent les consommateurs de crack, jugeant qu’on « ne se donne pas dans ce pays tous les moyens d’éradiquer ces trafics ».

La nuit, ça devient compliqué

Cette vision est contestée par la préfecture de police de Paris qui assure que « ces dernières années, la création de la ZSP en 2013 et le travail conjoint de la DRPJ [Direction régionale de la police judiciaire] et de la DSPAP [Direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne] ont permis de démanteler des trafics de crack ». Elle ajoute qu’en « 2019, la situation en journée s’est améliorée, notamment grâce à des opérations multiquotidiennes de contrôles, d’évictions et aux opérations coordonnées avec notamment la propreté de la ville ». Les forces de l’ordre font également état en 2019 de 118 interpellations sur la place Stalingrad dont 69 pour infraction à la législation sur les stupéfiants.

Malgré cela, « la nuit reste un point difficile car le site est compliqué à sécuriser », concède la préfecture de police. En réaction, les riverains s’organisent. « J’ai déménagé à Gambetta à cause de ça, raconte Sami. Avant, j’habitais au-dessus de la boulangerie, mais on retrouvait des seringues dans la cage d’escalier et parfois des drogués en train de consommer. » A la pharmacie avenue Secrétan, le vigile, qui n’était présent que l’après-midi, vient également le matin. « J’ai monté un groupe WhatsApp des commerçants, ajoute Jérôme Roizen. On s’envoie des messages pour signaler les comportements agressifs. »

Favoriser la prise en charge

Une copropriété de trois immeubles rue de Meaux a vu les choses en grand. « Des personnes fumaient du crack sur les escaliers des entrées, ça donnait aussi plus de travail aux gardiens pour nettoyer, et de temps en temps, c’était rock’n’roll », raconte Isabelle, présidente du conseil syndical. En conséquence, lors d’une AG extraordinaire, le déplacement des portes d’entrées au ras du trottoir a été voté, afin de supprimer les porches, « ce qui est un gros avantage pour éviter que les gens traînent sur les escaliers », commente la présidente. Mais un déplacement qui n’a pas été sans frais pour les copropriétaires : « Le surcoût en maçonnerie pour les trois immeubles a tout de même coûté 45.000 euros. »



Mais ces mesures individuelles ne peuvent résoudre le problème. « Il faut une montée en puissance de tous les dispositifs de prise en charge, sanitaires, sociaux et psychiques, estime François Dagnaud. Ces usagers de crack sont des gens qui sont dans une totale précarité avec une addiction très forte et très rapide. » « On peut se désintoxiquer du crack ou au moins réduire sa consommation, note Léon Gomberoff. Mais c’est sûr que quand la vie tourne autour de ça, c’est très compliqué. Il faut un accompagnement et une prise en charge sanitaire. »

« Une seule salle de shoot à Paris, c’est insuffisant ! »

A Paris, le nombre de consommateurs de crack dans la rue est estimé entre 300 et 400. « C’est beaucoup mais ce n’est pas hors d’atteinte », analyse le maire du 19e. « On manque d’endroits pour qu’ils puissent consommer et éviter de le faire en pleine rue, dénonce le responsable d’Aurore. A Amsterdam ou à Luxembourg, il y a trois-quatre salles de shoot, à Paris, une seule, c’est insuffisant ! » « Il faut être honnête, répond François Dagnaud. Il n’y a pas beaucoup de gens qui lèvent la main quand on leur demande s’ils sont prêts à accueillir une unité de soin en bas de chez eux. »

En attendant, l’édile propose de « repenser l’aménagement de la place Stalingrad, car il y a une configuration qui est propice à ces trafics-là avec des points hauts qui sont autant de postes d’observation, des passages dissimulés qui servent de caches, c’est vraiment le terrain parfait pour abriter tous les trafics. » Une réunion publique s’est tenue sur le sujet l’année dernière et, espère François Dagnaud, « ce sera un des grands projets de la future mandature d’Anne Hidalgo ». En tout cas, ce sera un enjeu des municipales.

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