Ni race, ni couleur de peau, ni religion pour l'excision

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Ni race, ni couleur de peau, ni religion pour l'excision

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Une Soudanaise manifeste à Khartoum le 8 mars 2020 à l'occasion de la journée du droit des femmes. Depuis fin avril dernier, un article du Code pénal qualifie de crime la mutilation génitale féminine. Sous peine de trois ans de prison et d'une amende
Une Soudanaise manifeste à Khartoum le 8 mars 2020 à l'occasion de la journée du droit des femmes. Depuis fin avril dernier, un article du Code pénal qualifie de crime la mutilation génitale féminine. Sous peine de trois ans de prison et d'une amende
© AFP - Ashraf Shazly

Repères. Les mutilations génitales féminines sont communément infligées dans trente et un pays en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique. Si rien n’est fait d’ici 2030, 68 millions de filles risquent de subir une excision. Tour d'horizon alors que la pandémie de Covid-19 entrave la lutte contre ces pratiques.

"Des interventions qui altèrent ou lèsent intentionnellement les organes génitaux externes de la femme pour des raisons non médicales." Cette définition de la mutilation génitale féminine donnée par l’Organisation mondiale de la Santé englobe trois pratiques aux noms méthodiques : la clitoridectomie, ablation totale ou partielle du clitoris, l’excision, ablation du clitoris et des petites lèvres entourant le vagin, et l’infibulation, le rétrécissement de l’orifice vaginal par la création d’une fermeture. D’autres violents traitements existent : des organes génitaux piqués, percés, incisés, raclés ou cautérisés.

La pandémie ralentit la lutte contre les mutilations sexuelles féminines

La crise sanitaire mondiale entrave lourdement les actions des associations de lutte contre ces pratiques. L'association Vision du Monde estime qu'à cause de la pandémie de Covid-19, deux millions de jeunes filles supplémentaires risquent de se faire exciser dans les prochaines années. Ce risque s'explique notamment par le fait qu'elles sont plus isolées à cause de la fermeture des écoles, et donc plus exposées à ces violences. Par ailleurs, la distanciation sociale ralentit les campagnes de sensibilisation menées par les ONG. Or moins les jeunes filles savent ce qu'est l'excision, plus elles risquent d'en être victimes selon Camille Romain des Boscs, directrice générale de Vision du Monde : "Ces filles sorties de l'école n'ont plus la possibilité de parler au personnel de la protection de l'enfance ou à l'école, et sont donc plus sujettes à ces violences. Par ailleurs, on observe actuellement une augmentation de 30% des mariages forcés d'enfants. Et on sait que dans bon nombre de pays, qui dit mariage d'enfants dit aussi mutilation des petites filles pour les préparer à faire de bonnes épouses."

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L'excision partout, pour toutes

Condamnée pour être une atteinte à l’intégrité physique et psychologique, l’excision est imposée à des êtres humains pour la simple raison qu’ils sont de sexe féminin. Les fondements sur lesquelles reposent ces usages divergent selon les communautés. Observées en Ethiopie, en Indonésie, en Inde, à Djibouti, au Sénégal, en Egypte, en Mauritanie, au Kenya, au Yémen, dans trente et un pays dont vingt-deux des nations les moins développées au monde, ces pratiques transmises de descendances en descendances sont un "passage obligé" pour toute fille avant douze ans, au nom du respect des coutumes, des croyances déistes, et de la place de la femme. 

Dans tous les cas, quelles que soient les supposées preuves de sa justification (hygiène, fertilité, foi, transmission,  passage à l’âge adulte, certaines filles sont excisées à l’âge de 15 ans, porte du mariage), il s'agit de contraindre les filles à la chasteté et à la virginité pour qu’elles puissent devenir des épouses. Bien que les excisions soient interdites au niveau international et dans la plupart des législations nationales, 200 millions de filles et de femmes, dont 50 millions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, 600 000 en Europe, en Australie, au Japon et 60 000 en France, ont été coupées au couteau ces trente dernières années.

Centre médical au Burkina Faso, en 2014.
Centre médical au Burkina Faso, en 2014.
© Maxppp - Pascal Deloche / GODONG / picture-alliance / Godong/Newscom

Kakpotia Marie-Claire Moraldo est franco-ivoirienne et a été excisée à l'âge de neuf ans en Côte d'Ivoire. En 2016, elle s'est faite opérer pour une reconstruction chirurgicale, puis a fondé l'association Les Orchidées rouges à Bordeaux, qui accompagne et sensibilise les femmes victimes de mutilations génitales ou qui risquent de l'être. 

Kakpotia Marie-Claire Moraldo : "Je n'ai pas eu le temps de réaliser ce qu'il se passait"

5 min

On m'a embarquée pour une fête, puis dans une pièce. Elles étaient quatre. Elles m'ont plaquée au sol. La quatrième m'a coupé quelque chose avec son couteau. A l'époque, je ne savais pas ce que j'avais vécu ni pourquoi je l'avais vécu. Je m'en suis vraiment rendu compte lors d'une relation.        
Kakpotia Marie-Claire Moraldo

Une effroyable souffrance

"Je ne veux qu’aucune de mes filles ne subisse de mutilations génitales qui laissent des séquelles à vie, mes douleurs ne semblent jamais devoir finir", explique Maria, excisée il y a vingt ans au Sierra Leone. La jeune femme n’a rien oublié : 

Une femme vous entrave la bouche, une autre vous retient par la poitrine et deux autres par les jambes. Puis l’exciseuse vous écarte les jambes, retire le clitoris en entier et vous applique un tissu imprégné d’herbes médicinales.

L’ablation des partie génitales provoque douleur, fièvre, hémorragies, problèmes urinaires, kystes, frigidité, infections, stérilité, complications médicales, voire décès. Sharan, comme 75% des filles au Burkina Faso, a été excisée : "Des femmes âgées m’ont saisie par les épaules, m’ont jetée à côté d’autres petites filles. On m’a tenu les jambes et les bras et je n’ai plus eu mon mot à dire, je n’ai pas su ce qui m’arrivait. C’était la journée la plus terrible de ma vie. Quand on m’a excisée, on m’a dit de ne pas en parler."

Kaya, Burkina Faso, à 100 kilomètres au nord de la capitale Ouagadougou
Kaya, Burkina Faso, à 100 kilomètres au nord de la capitale Ouagadougou
© AFP - OLYMPIA DE MAISMONT / AFP

Les risques d’excision diminuent, mais pas leur nombre

"Si la loi n’est pas assortie de programmes d’accompagnement visant à changer les mentalités, elle est inefficace. Interdire les mutilations sexuelles féminines ne suffit pas à les éradiquer", explique Claudia Cappa, spécialiste en statistiques à l’Unicef, jointe à New York : 

Les lois coercitives freinent les mutilations sexuelles, tout en renforçant la clandestinité et si des parents sont emprisonnés, tenus responsables d’une excision, d’autres membres de la famille ou de la communauté prennent leur place et se chargent de perpétuer leurs rites même dans l’illégalité. Globalement on observe une tendance au recul des pratiques sans que le nombre de filles excisées diminue : déjà fortement peuplés, les pays où l’excision a la vie dure connaissent de fortes croissances démographiques. Chaque contexte culturel, ethnique, identitaire crée différentes dynamiques au sein de la population d’un même pays.

Obligations bafouées

Suivant les directives internationales, l’Afrique du Sud ou la Guinée ont légiféré, il y a trente ans. Et pourtant, encore près de 80% des filles de moins de douze ans ont été excisées. En Mauritanie, la loi interdit les pratiques dans les hôpitaux publics mais les excisions se font quand même sans le recours au personnel de santé. Dans le même temps, le nombre d’adolescentes excisées par des soignants a doublé. 

Le Kenya a adopté des lois criminalisant les excisions en 2001, puis les a renforcées en 2011. Pour autant, il est l’un des pays où le déclin du pourcentage des personnes excisées est le moins important. Les risques qu’une fille soit excisée aujourd’hui sont tout aussi élevés qu’au siècle dernier. En Côte d’Ivoire, si le pourcentage national baisse, il avoisine les 42% de femmes excisées, dans les régions rurales il dépasse les 70 et 80% et il descend à 30% dans la capitale Abidjan, selon l’Onef, l’Organisation nationale pour l’enfant, la femme et la famille. Et ce, bien que l’excision et toutes les autres formes de mutilations génitales féminines (MGF) soient sanctionnées dans le code pénal ivoirien depuis 1998. 

La rupture du Soudan 

Selon les Nations unies, neuf Soudanaises sur dix ont été excisées, dictature aidant. Le dirigeant Omar el Béchir a, pendant trente ans de règne autocrate, plusieurs fois écarté tout progrès en matière de mutilation sexuelles féminines. Aujourd’hui, un an après avoir "dégagé" l’homme fort de Khartoum (avril 2019), le pays tourne la page. Le pouvoir  post-révolution a approuvé un amendement au Code Pénal contre l’excision. Cette nouvelle loi qui doit encore être promulguée condamne les auteurs de mutilation à trois ans et de prison. "Après nous avoir muselées, par des règles rigoristes de la charia, les femmes ont une opportunité de faire entendre leurs voix ", se réjouissent les défenseures de droits des femmes soudanaises :

Un nouveau Soudan est en train de naître avec un gouvernement civil qui permettra l’égalité.

Le dirigeant Omar el Béchir a, pendant 30 ans de règne autocrate, plusieurs fois écarté tout progrès en matière de mutilation sexuelles féminines.
Le dirigeant Omar el Béchir a, pendant 30 ans de règne autocrate, plusieurs fois écarté tout progrès en matière de mutilation sexuelles féminines.
© AFP - ASHRAF SHAZLY / AFP

Génération sans excision 

"En fait, cette question, comme celle du mariage précoce des mineures, relève avant tout de la perception de la femme, de sa place dans la communauté, de son statut social, de ses libertés. Si l’obligation d’abandonner une pratique ancestrale traditionnelle n’est pas comprise comme un changement volontaire d’attitude collective en vue d’améliorer le sort de la gente féminine, les mutilisations génitales ne disparaîtront pas", estime Claudia Cappa, de l’Unicef : 

Les pays du monde entier se sont engagés dans les Objectifs de Développements Durables à les abolir en dix ans, de maintenant à 2030, et je suis optimiste pour une génération sans excision. C’est lent mais partout les rangs des forces de progrès grossissent. De plus en plus de parents et de jeunes, ouverts aux changements, réclament une modernisation de leurs sociétés patriarcales et au moins, en finir avec les mutilations génitales féminines.

La femme, une terrienne à part entière

Claudia Cappa rappelle qu’il y a dix ans, l’Unicef a lancé un programme d’accompagnement à l’arrêt des mutilations sexuelles féminines, au Soudan puis en Somalie et en Egypte. Nommé "Saleema", qui signifie complète, ce plan vise à rendre à la femme l’intégralité de son être et à renvoyer au public une description du corps naturel dont les parties intimes des filles et des femmes en des termes positifs. Les campagnes d’informations et la criminalisation de l’excision vont de pair pour vaincre les abus des sociétés machistes, phallocrates et patrilinéaires. Le processus est long et complexe, comme le prouve la situation en Egypte où l’excision est hors la loi, depuis 2008 et passible jusqu’à sept ans de prison. Dix ans plus tard, selon l’Unicef, moins de 20 % des Egyptiennes âgées de 15 à 49 ans n’avaient pas été excisées. 

L’Ethiopie a augmenté ses moyens pour faire disparaître la mutilation génitale féminine et a débloqué 10% du budget de l’Etat pour chasser ses funestes habitudes illégales, encore largement répandues.

La libération de la parole

L’eurodéputée belge Assita Kanko est l’une des femmes politiques à avoir osé sortir du silence. "Chaque minute dans le monde, il y a sept petites filles qui sont confrontées au risque d'être excisées. C'est une cause que je défends mais qui me touche aussi personnellement, parce que j'ai moi-même été excisée à l'âge de 5 ans. Ce que je tire de mon expérience personnelle, c'est que la chose la plus terrible qui vous arrive, ce n'est pas l'excision en soi, c'est que personne ne vient quand vous appelez au secours. Cela fait extrêmement mal, vous appelez, vous suppliez, mais personne ne vient". La parlementaire en a fait son cheval de bataille. Elle encourage les victimes à s’exprimer et à agir, comme le font par exemple la jeune Guinéenne Hadja Idrissa Bah ou cinq adolescents kényanes qui ont lancé une application permettant à toute femme blessée de trouver une assistance. Un seul clic et la police est prévenue. 

Dessine-moi un clitoris

Comment mettre cette expression triviale "avoir des couilles" au féminin ? "Avoir un clitoris" ? Tout le monde est capable, enfants comme adultes de représenter un pénis et ses testicules, qu’en est-il du sexe de la femme ? L’autorisation d’en supprimer une partie n’insinue-t-elle pas que le clitoris serait une anomalie, un organe inutile sans aucune fonction reproductive, une partie superflue, un obscur objet de plaisir ?  

Ce n’est qu’au XXe siècle que ces mœurs véhiculées de générations en générations ont été dénoncées, bien que dès le XVIe siècle les mutilations génitales féminines ont été contestées en Ethiopie, selon la sociologue Isabelle Gilette-Faye. Parmi les pionnières qui ont brisé le tabou, la Sénégalaise Awa Thiam auteure de Paroles aux négresses, l’éthiopienne qui a écrit Femmes d’Orient, pourquoi pleurez-vous ? livre découvert et divulgué par Benoîte Groult. L’écrivaine ivoirienne Hami Traoré, victime d’excision dans son enfance témoigne dans "Le couteau brûlant". Et puis, le film "Fleur du désert" réalisé par Sherry Hormann avec Lilya Kebede et Sally Hawkins. 

Malgré les pressions sociales et les préjugés qui dominent encore, l’évolution des  modes de vie et de l’état d’esprit des peuples font reculer les archaïsmes. Force est de constater que les mères, victimes de mutilations, refusent davantage de voir leurs filles subir le même traitement, et la proportion de femmes favorables à ce que l’excision cesse a doublé en trente ans. Une décennie supplémentaire suffira-t-elle à éliminer ces sordides actions qui chaque année menacent quatre millions de filles de moins de quinze ans ?