Bill Frischling a eu la révélation il y a trois ans, alors que Margaret, son bot intelligent, tentait de transcrire 127 mots d’un discours de Donald Trump. Dans ce court extrait censé commémorer une bataille de la Seconde Guerre mondiale, tout tanguait dangereusement : Trump mélangeait allègrement les temps des conjugaisons et les sujets, la syntaxe était sens dessus dessous, les conjonctions valsaient. Le président allait de proposition subordonnée en proposition subordonnée, de parenthèse en parenthèse, de préposition en préposition.

C’est quand Trump a prononcé pour la quatrième fois le mot “winning” [“gagnant”] que Margaret a planté. “Le bot s’entêtait à vouloir suivre la ponctuation de la langue anglaise, au lieu d’identifier la ponctuation de la langue trumpienne”, explique Bill Frischling.

Comprendre le “trumpien”

Il a alors décidé de remettre son logiciel à zéro. Bill Frischling s’est adjoint les services d’un expert en informatique titulaire d’un doctorat en apprentissage automatique (ou machine learning) pour désapprendre à Margaret la grammaire et la syntaxe normales et lui apprendre, à la place, à décoder le “trumpien”.

Aujourd’hui, Margaret comprend mieux les constructions de phrases à la Trump, et, surtout, elle comprend sans doute mieux que bon nombre d’Américains le président, ses tics, ses formules, ses préférences et ses habitudes de langage.

Devant une allocution présidentielle, Margaret, baptisée du nom d’un personnage de la série À la Maison-Blanche [The West Wing], capable d’imiter la signature présidentielle, n’est pas du genre à siffler, à applaudir ou à changer de chaîne. Elle s’attache à analyser chaque mot que prononce Trump, et sa façon de le prononcer, et elle utilise des algorithmes pour tenter de mieux comprendre le tempérament erratique du président en puisant dans une base de données riche de quarante ans de déclarations trumpiennes.

L’art du mensonge

Et Margaret a fait plusieurs découvertes, dont celle-ci : quand Trump baratine à vitesse grand V après avoir proféré un mensonge flagrant, il est parfaitement à l’aise.

“La plupart des gens, quand ils ne disent pas la vérité, perdent de leur aisance, explique Frischling, 48 ans, codeur autodidacte en télétravail chez lui, à Great Falls (Virginie), en cette période de confinement. Lui, au contraire, gagne en assurance.”

Margaret est capable de reconnaître le stress chez Donald Trump, d’évaluer son calme et même de prédire les mots qu’il va prononcer en public avant même qu’il ne le fasse, assure son créateur. Le logiciel sait plutôt bien faire la différence, aussi, entre un Trump authentiquement en colère et un Trump qui fait du cinéma.

Pour parvenir à ces conclusions, Margaret procède à un examen exhaustif : pauses dans l’élocution, gestes des mains, débit, type d’adjectifs employés, variantes inhabituelles dans le vocabulaire et ton de la voix, entre autres critères, sont analysés. Ainsi :

Chaque mot prononcé par le président rend Margaret plus intelligente et affine son analyse.”