EBITDAC : Le nouvel indicateur financier pour "faire comme si" le Coronavirus n'existait pas

EBITDAC : Le nouvel indicateur financier pour "faire comme si" le Coronavirus n'existait pas

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Par RTBF

Alors que nous déconfinons progressivement en entrant dans la phase ce lundi 18 mai, le spectre de la crise économique se fait de plus en plus sentir. En effet, les entreprises vont avoir besoin de liquidités, vont avoir besoin d’emprunter. Pour ça, il faut montrer des chiffres et des carnets de compte en bonne santé. Mais avec plus de deux mois de cessation d’activité, c’est difficile. C’est là qu’intervient l’EBITDAC.

Un coup de baguette magique ?

Certaines entreprises ont décidé d’utiliser un nouvel indicateur pour publier leurs résultats. Un indicateur qui fait " comme si ", le Coronavirus n’avait aucune conséquence sur leurs revenus. Comme s’il n’y avait pas de crise sanitaire. Par exemple, il y a quelques jours, Schenk Process, un groupe industriel allemand a rajouté à ses résultats du premier trimestre 2020, plus de 5 millions d’euros, des bénéfices qui auraient été réalisés en l’absence de mesures de confinement. Le résultat du groupe est donc présenté en hausse de 20% par rapport à il y a un an, au lieu d’une baisse de 16%.

En gros, il s’agit de montrer quels auraient été les revenus sans crise du coronavirus. Pour faire ça : un nouvel indicateur a fait son apparition : "Ebitdac", de son petit nom.

Le C qui change tout

L’EBITDA, c’est une mesure bien connue du résultat opérationnel d’une entreprise – le bénéfice qu’elle a réalisé au cours d’une période, souvent un trimestre. Moins, des intérêts, et des charges comme les taxes qu’elle va devoir payer – entre autres. Cet indicateur est scruté par les investisseurs, parce qu’il permet de montrer ce qu’une entreprise est en mesure de générer comme profit grâce à son activité. Pour l’entreprise, c’est donc un indicateur qui sert aussi à valoriser l’activité et à trouver du financement. Le "C" ajouté, c’est celui de coronavirus.

En fait, cet indicateur (L’EBITDA) est particulièrement scruté par les investisseurs et les banques. C’est ce qui permet de déterminer si l’entreprise est en bonne santé financière. Et pour l’entreprise c’est en quelque sorte sa vitrine.


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Le coronavirus n’est pas un événement isolé

Jouer un peu sur la présentation des résultats, ce n’est pas inhabituel. "Adapter cette métrique n’est pas nouveau", confirme Mathilde Fox, responsable du département Finance et comptabilité à l’ICHEC. Pour estimer ce que serait un résultat sans tenir compte d’un incendie par exemple, ou d’une grosse restructuration. Il n’est pas rare que des entreprises isolent dans leurs résultats les dépenses liées à ces événements. L’idée, c’est de présenter les résultats de l’entreprise telle qu’elle fonctionne, sans tenir compte d’un événement isolé.

Mais "ces éléments, qui ont engendré des coûts réels, sont beaucoup plus facilement quantifiables que la crise sanitaire", poursuit Mathilde Fox. "Ce qui est problématique avec le Coronavirus, c’est qu’on ne parle pas de coûts uniques, une fois dans la vie d’une entreprise. Il y a des impacts sur les revenus, sur l’entièreté de l’activité et de la structure. Toutes les parties prenantes de l’entreprise sont concernées : pensez au comportement des clients et des fournisseurs, au prix des matières premières, à la réaction des entreprises concurrentes. Quantifier l’ensemble des impacts est donc vraiment très difficile, et donc a fortiori d’ajuster l’EBITDA pour en faire un EBIDTDAC".

Une crise de cash, une crise réelle

Le Coronavirus ne concerne pas la vie et les chiffres d’une entreprise seule, isolée d’autres acteurs et paramètres. Mais alors utiliser l’EBITDAC ? Pour certains observateurs, il y a là une question d’emprunt. Que présenter les choses sous un jour, plutôt flatteur, cela pourrait permettre aux entreprises d’emprunter plus dans les mois qui viennent, parce que leurs perspectives seraient meilleures.

Mais une présentation flatteuse ne change rien à la réalité, nous dit Mathilde Fox : "Il est tentant de montrer des chiffres embellis aux bailleurs de fonds, aux banques et aux marchés financiers. Mais les analystes vont quand même regarder la situation de liquidités, le cash dont dispose une entreprise – et surtout les prévisions de liquidités. Or, la crise du Covid-19 est, pour les petites entreprises, une crise de liquidités. Vouloir embellir les chiffres, c’est bien, mais la réalité est néanmoins présente".

Qui est vraiment dupe ?

Il n’est d’ailleurs pas exclu que les entreprises qui utilisent l’EBITDAC, soient finalement pénalisées plus qu’ovationnées par les marchés financiers. "Nous avons vu à quelle vitesse un marché peut sanctionner une entreprise qui aurait manqué de transparence sur ces résultats". Le procédé est ironique : pour parer aux conséquences du Coronavirus, faire comme s’il n’existait pas. Plutôt que montrer sa gestion responsable de la crise.

Qui est vraiment dupe, en fait, de cette ironie ? Pas les professionnels en tout cas, pour Mathilde Fox., Parce que les marchés sont habitués à analyser les comptes d’une société. "Ils seront tout à fait capables de recalculer une EBITDA non corrigé. Les professionnels de la finance savent faire la différence entre une hypothèse et un chiffre réel quand il s’agit d’investir. Parc contre, si ce résultat modifié est utilisé pour convaincre d’autres parties prenantes parfois moins avisées, comme des fournisseurs ou des clients, alors cet indicateur peut revêtir un caractère manipulateur ou trompeur".

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