Suicides et sentiment d’abandon : la terrible attente des équipages des bateaux de croisière

Si les passagers ont pu être débarqués, des dizaines de milliers de membres d’équipages restent bloqués en mer depuis plus de deux mois. Cette attente interminable est vécue comme une torture psychologique.

Ryan Driscoll est bloqué sur le bateau de croisière Seabourn Odyssey depuis plus de deux mois.
Ryan Driscoll est bloqué sur le bateau de croisière Seabourn Odyssey depuis plus de deux mois. (AFP)

À cause du coronavirus, des centaines de navires de croisière ont été immobilisés en mer, avec des dizaines de milliers de membres d’équipage coincés à bord depuis deux mois. Certains cherchent à faire de cet isolement une sorte de retraite spirituelle, mais pour d’autres, ce confinement forcé est une torture. Trois personnes se seraient suicidées ces dernières semaines.

« C’est la même chose tous les jours. C’est difficile de rester sain d’esprit », confie Ryan Driscoll, un Américain de 26 ans qui n’a pas mis le pied à terre depuis 80 jours. « On voit la terre ferme tous les jours. Elle est à 200 mètres mais on ne peut pas débarquer », explique le chanteur depuis le Seabourn Odyssey, un bateau du croisiériste Carnival, stationné devant la Barbade.


60 000 membres d’équipage bloqués dans les eaux américaines


Le 13 mars, les paquebots ont reçu l’ordre de ne plus naviguer. Ceux qui avaient des passagers ont réussi à les débarquer à terre au terme de négociations complexes avec les autorités portuaires, mais ils sont ensuite retournés en haute mer avec leur équipage.

« Nous ne savons pas ce qu’il va se passer. On ne nous répond pas. On ne voit pas le bout du tunnel, explique Ryan Driscoll. Ça me manque d’être sur la terre ferme. Parfois je me sens comme en prison ».

Les compagnies ont rapatrié des milliers de leurs membres d’équipage durant ces deux mois, mais le processus est lent et cher car les Centres de lutte et de prévention des maladies (CDC) américains exigent qu’ils soient transportés sur des vols charter -- en supposant que leur pays d’origine les accepte. Dans les eaux américaines seules, environ 60 000 membres d’équipage se trouvaient, jeudi, à bord de 90 navires, ont précisé les garde-côtes américains.


« Je ne veux pas mourir »


Selon le psychiatre Eugenio Rothe, cette expérience, ressentie comme un isolement forcé, peut être vécue comme « une coupure émotionnelle de tout ce qui est important pour la personne, ses proches, son environnement physique, géographique et social ». « Il y a un sentiment d’abandon, de perte, et de deuil, qui peut ensuite se transformer en dépression et même mener à des idées suicidaires », explique ce professeur à l’Université internationale de Floride (FIU).

Ces deux dernières semaines, au moins quatre membres d’équipages sont morts (sans être atteints du virus) : l’un de « causes naturelles », qui n’ont pas été communiquées, et trois autres dans ce qui semblent être des suicides. Parmi ces derniers, deux se sont jetés par-dessus bord.


Plainte aux Nations Unis, grève de la faim…


Caio Saldanha, un DJ brésilien de 31 ans qui a été transféré de bateau en bateau par la compagnie Royal Caribbean, a présenté une plainte devant le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme pour la « situation d’incarcération » qu’il subit à ses yeux. Sa plainte se fonde notamment sur le fait que la compagnie a tardé à signer un document exigé par les CDC pour autoriser les débarquements.

Des dizaines d’employés ont manifesté vendredi à bord du Majesty of the Seas, brandissant des pancartes accusatrices envers Michael Bayley, le président de l’entreprise Royal Caribbean, propriétaire du bateau, a rapporté le blog spécialisé Cruise Law News.

La semaine précédente, d’autres employés avaient entamé une grève de la faim sur le Navigator of the Seas, navire appartenant aussi à Royal Caribbean, qui a assuré que ce conflit avait été résolu. « J’ai peur », a confié un autre membre d’équipage brésilien de 52 ans, qui n’a pas souhaité donner son nom. « Je ne veux pas mourir, mais de mon point de vue ce n’est qu’une question de temps, je vais mourir. Ils nous ont abandonnés, les gens ici vont mourir », dit-il dans une vidéo.


« Le lieu le plus sûr »


Mais pour d’autres membres d’équipage au contraire, les paquebots sont un refuge loin de la pandémie. L’isolement peut alors être perçu comme un « confinement volontaire ». « Je suis dans le lieu le plus sûr de la Terre ! », estime ainsi Gonul O., ressortissante turque qui travaille à bord d’un navire dont elle ne souhaite pas révéler le nom. Elle a passé 70 jours en haute mer, et est désormais en route vers l’Europe.

Joyce Lopez, une Colombienne de 32 ans coincée sur le Caribbean Princess de la compagnie Carnival, dit aussi préférer éviter tout « sentiment négatif ». De son balcon, au large de la Barbade, elle peut voir tout un essaim de bateaux, qui patientent comme le sien.

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